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FEPEM Emploi à Domicile

Étude

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Février 2019

Travailler au domicile de particuliers employeurs âgés. Enjeux et orientations pour développer une prévention des risques au domicile

Leïla Boudra
Céline Bédel
En collaboration avec Pascale Mercieca (ANACT)

Remerciements

Cette étude a été pilotée par l’Observatoire des emplois de la famille dans le cadre d’une recherche postdoctorale réalisée avec le laboratoire de recherche universitaire Environnement, Ville, Société et l’équipe ergonomie de l’Institut d’études du travail de Lyon de l’université Lumière-Lyon 2.

Elle a été réalisée en collaboration avec le département Expérimentations et développement des outils et méthodes de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) et s’inscrit dans les actions du troisième plan Santé au travail qui couvre la période 2016-2020. Elle s’est déroulée en région Auvergne-Rhône-Alpes et a associé le réseau local des acteurs institutionnels de l’emploi à domicile. Nous remercions l’équipe de la FEPEM et le Réseau particulier emploi de Lyon pour leur participation.

D’autres partenaires institutionnels ont contribué à la réussite de cette étude. Nous remercions très sincèrement la direction scientifique d’IPERIA et Fédération mandataires pour leur disponibilité et leur aide. Nous remercions également les organismes de formation et structures mandataires qui ont accepté d’échanger avec les auteures sur les thématiques de cette étude.

Les auteures remercient Isabelle Puech et Abdia Touahria-Gaillard pour leurs relectures attentives et leurs commentaires ainsi que les membres du comité scientifique de l’Observatoire des emplois de la famille. Elles remercient également Sylvie Leclercq et Corinne Van de Weerdt, chercheures à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) pour leurs éclairages et leur disponibilité, Valérie Pueyo et Pascal Béguin de l’Université Lyon 2 et les collègues du séminaire d’ergonomie pour leurs apports toujours éclairants.

Elles remercient également Marie-Laure Hanfouri, prestataire chargée de la réalisation des retranscriptions des entretiens menés, pour la qualité de son travail et pour l’immense aide qu’elle a apportée aux auteures et aux partenaires de l’étude.

Enfin, cette étude n’aurait pas pu être réalisée sans l’apport de toutes les personnes qui nous ont accordé leur confiance et nous ont donné à voir à travers leurs témoignages et, en fonction de leur profil, leur travail, leur rôle en tant qu’employeur ou salarié, leur engagement dans le secteur de l’emploi à domicile ou la prévention des risques professionnels. Nous les remercions à nouveau pour leur précieuse participation.

Résumé

Contexte et objectifs de l’étude

Cette étude porte sur la prévention des risques au domicile pour les particuliers employeurs âgés et leurs salariés et vise plus précisément la prévention des risques professionnels pour les salariés et la prévention de la perte d’autonomie pour les employeurs âgés. Elle a été réalisée par l’Observatoire des emplois de la famille en collaboration avec l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT). C’est une première étape exploratoire menée à l’échelle de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Elle poursuit les actions de prévention déjà engagées par la CNAMTS, la FEPEM et le groupe IRCEM qui ont conçu et diffusé, à destination des particuliers employeurs et des salariés, des outils d’information, de sensibilisation, de formation et d’aide au repérage des risques professionnels. Elle répond également à l’engagement des partenaires sociaux dans le cadre du troisième plan Santé au travail (2016-2020), dans lequel l’emploi à domicile est ciblé comme secteur prioritaire pour expérimenter et déployer des démarches d’actions innovantes en prévention des risques professionnels. Enfin, elle vient nourrir les actions des partenaires sociaux qui ont signé en 2016 un accord interbranches relatif à la santé au travail des salariés des branches du particulier employeur.

Méthodologie

Cette étude repose sur une démarche qualitative menée à partir de 23 entretiens semi-directifs réalisés auprès d’acteurs de différents niveaux décisionnels – à l’échelle nationale, territoriale et du domicile. Les données ont été analysées au prisme de l’approche ergonomique du travail. Cette approche place au cœur de ses analyses l’activité des travailleuses et travailleurs en situation réelle, pour mieux comprendre les conditions réelles de travail et les stratégies construites pour gérer les variations et les écarts entre le travail qui leur a été prescrit et le travail tel qu’il se présente réellement ; et cela dans une perspective de prévention et d’amélioration.

Principaux résultats

L’analyse du travail menée à partir d’entretiens semi-directifs, dont les résultats ont été complétés par de nombreuses recherches bibliographiques tendent à indiquer la manière dont le travail des salariés à domicile peut être à la fois un socle et un vecteur pour la prévention des risques au domicile.

Le travail au domicile est réalisé dans un environnement privé et professionnel partagé entre l’employeur et le salarié. Ce travail, dans le milieu singulier qu’est le domicile, s’inscrit dans une dimension relationnelle structurante entre l’employeur et le salarié, et cela a fortiori lorsqu’il s’agit d’accompagner une personne âgée, dépendante ou non. La qualité de cette relation apparaît comme un enjeu de durabilité de la relation d’emploi.

Le travail est co-produit entre l’employeur et le salarié et ainsi peut être un facteur de santé et d’autonomie pour l’employeur âgé. Du côté du particulier employeur, cela permet (i) d’anticiper sa perte d’autonomie en assurant la durabilité de la relation d’emploi et (ii) de mieux identifier les risques domestiques et assurer sa sécurité dans son logement.

Du côté des salariés, leur activité de travail vise à favoriser l’autonomie et le bien-être du particulier employeur âgé avec la mise en place de stratégies pour prévenir le risque de chute ou sensibiliser les employeurs âgés sur les aménagements à apporter au domicile.

Toutefois, les salariés sont exposés à des formes d’usure professionnelle qui semblent altérer la construction de leur santé : liées aux déplacements multiples et aux contraintes de temps, liées aux sollicitations physiques et cognitives multiples et liées à l’environnement psychosocial.

Malgré cela, les salariés peuvent compter sur des ressources individuelles, collectives et organisationnelles qui peuvent être activées dans leurs situations de travail, ressources qu’il est nécessaire de développer pour accroître les marges de manœuvre disponibles et prévenir les dégradations de la santé liées à l’usure professionnelle. Elles constituent des orientations pour développer la prévention des risques au domicile puisqu’elles permettent de favoriser à la fois la prévention des risques professionnels et de renforcer les stratégies déployées en faveur de l’autonomie des particuliers employeurs âgés.

Conclusion

L’emploi à domicile peut être observé comme un exemple illustratif des mutations des formes de l’emploi (travail autonome, travail indépendant, etc.) et du travail (télétravail, multiplication des lieux de travail, etc.) qui tendent à se développer dans l’ensemble des milieux professionnels. Les spécificités de la relation entre un particulier employeur et un salarié, associées au volume d’emploi du secteur, offrent un cadre favorable et opérationnel à l’examen de la prévention des risques et de la santé au travail pour ces modèles d’emploi et ces formes de travail en développement.

Orientations pour une prévention des risques au domicile

Cette première étape de l’étude propose des résultats signifiants sur la nature du travail, les conséquences négatives et les effets positifs sur la santé. Des orientations pour la construction d’une prévention des risques au domicile peuvent être identifiées à deux niveaux.

Au niveau de la construction, de l’organisation et du déploiement du processus de prévention

  • Impulser une démarche coordonnée et concertée de prévention associant les acteurs qui interviennent dans les champs de l’emploi à domicile, des risques professionnels et de la prévention de l’autonomie, au niveau national et local, en prenant le mieux possible en considération les réalités du travail réalisé au domicile des particuliers employeurs.
  • Identifier les acteurs porteurs de la prévention au domicile positionnés simultanément sur les domaines d’action de la prévention des risques professionnels pour les salariés du particulier employeur et de la prévention de la perte d’autonomie pour les particuliers employeurs âgés.
  • Évaluer les outils produits et les démarches entreprises, partager les résultats des enseignements.
  • Construire des démarches d’action en prévention dont le point d’entrée porterait sur la relation aidant/aidé et dont la finalité serait la qualité des conditions de travail associée simultanément à la qualité de l’aide apportée et la prévention de la perte d’autonomie.
  • Organiser une « mise en patrimoine » des connaissances sur le travail des salariés des particuliers employeurs et construire un programme d’études commun sur le travail des salariés des particuliers employeurs.

Au niveau du contenu des futures actions de prévention

  • Identifier les ressources dans les situations de travail nécessaires à la construction d’une prévention efficiente (au niveau individuel, collectif et organisationnel).
  • Mieux qualifier le domicile du point de vue du travail et de la prévention et identifier les actions possibles.
  • Appréhender les effets du cumul des formes d’usure professionnelle sur la santé des salariés et sur la santé et l’autonomie des employeurs âgés.

Introduction

En France, plus d’un million de particuliers employeurs ont au moins 60 ans et les trois quarts d’entre eux sont considérés comme « fragiles » au sens de la Sécurité sociale1À ce titre, ils bénéficient d’une exonération liée à leur âge ou à leur dépendance.. Les projections démographiques indiquent une forte progression du nombre de personnes âgées dans les vingt prochaines années. Entre progression de l’espérance de vie et recomposition des cellules familiales en termes géographiques et sociologiques, ces projections invitent à interroger les conditions du maintien à domicile des personnes âgées et l’aide humaine professionnelle dont elles pourront bénéficier. De nouveaux défis se posent, notamment en termes d’enjeux de santé pour les personnes vieillissantes, de maintien à domicile et de prévention de la perte d’autonomie, considérés comme conditions du « bien vieillir2FEPEM, & CNSA. (2017). Bien vieillir à domicile. Guide pratique de l’emploi à domicile à destination des plus âgés… et de ceux qui les accompagnent. Document interne. » à domicile.

L’une des pistes à explorer pour répondre à ces enjeux se situe au sein de la relation de travail qui se construit à domicile entre une personne employeuse et son salarié. Cette relation est singulière : le caractère intime des tâches à réaliser comme du lieu privé dans lequel se réalise le travail donne à voir des situations de travail très différentes de celles observées en entreprise ou dans le cadre d’une prestation de service3Touahria-Gaillard, A., en collaboration avec Bédel, C. (2015). Expériences vécues de particuliers employeurs en situation de handicap. Paris : Observatoire des emplois de la famille, FEPEM..

Début 2017, la FEPEM et l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) ont engagé une collaboration pour la réalisation d’une étude qualitative pilotée par l’Observatoire des emplois de la famille et portant sur la prévention des risques au domicile.

Cette étude se situe dans le prolongement des nombreuses études réalisées par l’Observatoire sur les particuliers employeurs âgés et/ou fragilisés et leurs salariés. Elle propose un nouvel angle d’investigation de la relation d’emploi à domicile, en étudiant la prévention des risques au domicile des particuliers employeurs âgés, c’est-à-dire la prévention de la perte d’autonomie pour ces particuliers et des risques professionnels pour leurs salariés.

Ces différentes études portées par l’Observatoire des emplois de la famille se sont déjà intéressées aux dimensions du travail alors même qu’il n’en constituait pas l’objet central. Sans entrer ici dans le détail, voici les principaux axes d’analyse de ces études :

  • la durabilité de la relation d’emploi4Bressé, S. (2010). Durabilité des relations d’emploi entre les particuliers employeurs utilisateurs du CESU et leurs salariés. Paris : Observatoire des emplois de la famille, FEPEM. Non publiée.;
  • les critères d’évaluation de la qualité de l’aide au domicile5Meuret-Campfort, E. (2015). La qualité de l’aide au domicile des particuliers employeurs âgés. Paris : Observatoire des emplois de la famille, FEPEM.;
  • les enjeux des formations professionnalisantes6Bédel, C., Touahria-Gaillard, A., Tocqueville, M. & Puech, I. (2016). Étude sur les assistantes de vie formées au module de formation « aidant familial auprès d’un parent âgé » de la branche professionnelle des salariés du particulier employeur. Alençon : IPERIA Les Éditions.;
  • la perception des conditions de travail par les salariés7Bressé, S. & Puech, I. (2011). Qui sont les particuliers employeurs en perte d’autonomie et leurs salariés ? Paris : Observatoire des emplois de la famille, FEPEM..

En s’appuyant sur ces résultats, et en analysant plus précisément l’objet « travail », la présente étude interroge les conditions de développement d’une prévention des risques au domicile au bénéfice du salarié et de son employeur.

Simultanément, l’étude s’inscrit dans le cadre du troisième plan Santé au travail (PST3), qui couvre la période 2016-2020 et cible l’emploi à domicile comme secteur prioritaire pour expérimenter et développer des démarches d’action innovantes en prévention des risques. Le PST3 propose de s’appuyer sur les branches professionnelles du secteur concerné pour produire ces démarches à l’échelle territoriale et les déployer ensuite au niveau national.

Dans ce contexte, la FEPEM et l’ANACT, associées à la Direction générale du travail, ont souhaité réaliser une étude dont la finalité est de proposer des démarches d’action innovantes qui tiennent compte le plus possible des réalités du travail des salariés et intègrent les spécificités du secteur de l’emploi à domicile.

Ces spécificités relèvent de dimensions juridiques et organisationnelles telles que :

  • l’employeur particulier, personne physique différenciée d’une entreprise ;
  • la réalisation du travail au sein du domicile privé défini comme inviolable ;
  • des relations de travail sans finalité lucrative ;
  • la multi-activité liée aux temps de travail partiels et à la pluralité des particuliers employeurs pour un même salarié.

Au-delà de ces spécificités, des difficultés émergent pour développer la prévention en raison de différents facteurs :

  • l’éparpillement et l’isolement sur les territoires des salariés et des particuliers employeurs ;
  • la multiplicité des acteurs qui interviennent à l’échelle nationale ou territoriale sur les différentes thématiques qui touchent ce secteur économique (petite enfance, vieillissement, dépendance, handicap, etc.) ;
  • l’importante diversité des lieux de vie et des lieux de travail ;
  • les difficultés d’accès aux lieux de travail, également lieu de vie de l’employeur, pour mener des analyses in situ.

Ces spécificités réinterrogent les modalités d’action traditionnelles en prévention des risques professionnels puisque ce secteur peut être considéré comme atypique au sens où ses caractéristiques s’éloignent de la norme de référence que constitue l’entreprise d’un point de vue réglementaire. Elles renforcent d’autant plus l’enjeu de l’analyse du travail tel qu’il se réalise concrètement. Et cela d’autant que les études menées en prévention sur les métiers de l’aide et du soin à domicile n’ont à l’heure actuelle pas permis de réinterroger ces modalités d’action traditionnelles, le choix ayant été fait de cibler principalement les structures prestataires d’aide à domicile.

Pour l’Observatoire des emplois de la famille, l’enjeu est de mieux appréhender la prévention des risques au domicile, avec l’hypothèse que les facteurs de risques professionnels pour les salariés peuvent également être facteurs de risques domestiques pour l’employeur : le domicile du particulier employeur est également le lieu de travail des salariés. De ce fait, les intervenants professionnels apparaissent comme des acteurs majeurs pour le repérage ou l’alerte des personnels soignants et de l’entourage familial sur les signes précurseurs de dépendance ou de perte d’autonomie. De précédentes études menées par l’Observatoire des emplois de la famille ont montré que les salariés intervenant pour l’entretien du domicile de personnes âgées, du fait de l’avancée en âge de leurs employeurs, voient leur rôle évoluer vers un accompagnement de la dépendance8Bédel, Touahria-Gaillard, Tocqueville, & Puech, 2016, op. cit.. De tels résultats rappellent que la perte d’autonomie est un processus marqué par des évolutions, sur lequel se déploient la relation et les interactions entre la personne aidée et l’intervenant professionnel. Une meilleure compréhension du rôle des intervenants au domicile des personnes âgées pourrait contribuer à mettre en visibilité la complémentarité des rôles de chacun des acteurs de la situation : soignants, intervenants professionnels et aidants familiaux9Bloch, M.-A. (2012). Les aidants et l’émergence d’un nouveau champ de recherche interdisciplinaire. Vie sociale, 4(4), 11-29., comme d’autres études l’ont fait pour la prévention des conduites addictives et les consommations abusives d’alcool chez les personnes âgées10Moscato, A., & Varescon, I. (2011). Les aidantes professionnelles à domicile et les personnes âgées en difficulté avec l’alcool : évaluation et réflexions cliniques. Gériatrie, psychologie et neuropsychiatrie du vieillissement, 9(4), 491-498.. Dans ce contexte, la coordination devient un enjeu de plus en plus pressant11Gallois, F. (2013). L’aide à domicile, parent pauvre du système de santé. Journal de gestion et d’économie médicales, 31(1), 15-29. et n’est pas sans conséquence sur l’évolution du travail des intervenants à domicile et la reconnaissance des compétences de ces salariés12Voir le dossier INRS « Soins à domicile, l’organisation au centre de la prévention », disponible sur le site www.inrs.fr..

L’étude s’appuie sur une démarche qualitative menée à partir de vingt-trois entretiens semi-directifs réalisés auprès d’acteurs de différents niveaux décisionnels – à l’échelle nationale, territoriale et du domicile (cf. méthodologie de l’étude détaillée en annexe 1). Au niveau national et territorial, l’idée était de comprendre comment s’organise le champ et quelles formes de collaborations entre ces acteurs existent déjà. Au niveau du domicile, l’idée était de mieux comprendre comment se construisent et se développent les relations d’emploi et comment la prévention au domicile s’y intègre.

Les données ont été analysées au prisme de l’approche ergonomique du travail13Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Duraffourg, J., & Kerguelen, A. (1991). Comprendre le travail pour le transformer. La pratique de l’ergonomie. Montrouge : ANACT Éditions.. Cette approche place au cœur de ses analyses l’activité des travailleuses et travailleurs en situation réelle, c’est-à-dire la manière dont les sujets s’engagent dans leur travail, transforment leur environnement et se transforment eux-mêmes14Teiger, C. (1993). L’approche ergonomique : du travail humain à l’activité des hommes et femmes au travail. Éducation permanente, 116, 71-96.. Plus précisément, l’ergonomie cherche à étudier l’activité pour mieux comprendre les conditions réelles de travail et les arbitrages et stratégies construites par les individus au travail pour gérer les variations et les écarts entre le travail qui leur a été prescrit et le travail tel qu’il se présente réellement. Elle participe ainsi à mettre en évidence les liens entre travail et santé, liens souvent opaques ou invisibles15Lhuilier, D. (2010). L’invisibilité du travail réel et l’opacité des liens santé-travail. Sciences sociales et santé, 28, 31-63.. Cette approche a pour but de mieux comprendre les conditions de réalisation du travail des salariés du particulier employeur, c’est-à-dire identifier les déterminants qui conditionnent et influencent le travail et leurs effets sur l’individu et le milieu qui l’entoure.

TROIS MODES D’INTERVENTION À DOMICILE

L’aide professionnelle à domicile peut être exercée selon trois modalités16Devetter, F.-X., Jany-Catrice, F. & Ribault, T. (2009). Les services à la personne. Paris : La Découverte. : l’emploi direct pour lequel le particulier gère l’intégralité de la relation d’emploi, le mandat dans le cadre duquel le particulier conclut un contrat avec une structure mandataire qui aura pour mission la mise en relation entre un employeur particulier et un salarié, et la gestion des tâches administratives de la relation d’emploi ; le mode prestataire pour lequel une structure emploie un salarié et fournit une prestation de service à un particulier.

Le particulier, bénéficiaire du service, a le statut de particulier employeur en emploi direct comme en mode mandataire, puisqu’il emploie directement le salarié qui intervient à son domicile. Ces deux modes d’exercice relèvent de la même branche professionnelle, celle des salariés du particulier employeur, et désignent tous deux dans ce rapport « l’emploi à domicile » ou « l’emploi à domicile entre particuliers ».

1. Travailler au domicile

Parmi les vingt-trois entretiens réalisés, cinq personnes âgées employeuses (dépendantes et non dépendantes) (notées ci-après PE1 à PE5) et cinq salariées (notées SPE1 à SPE5) ont été interviewées17L’ensemble de ces données sont présentées dans l’annexe n° 2 de ce rapport.. Ces entretiens nous ont permis de recueillir un matériau riche d’enseignements sur dix situations de salariées, directement interviewées ou dont le travail nous a été décrit par leur employeuse. Toutes ces salariées sont des femmes, âgées en moyenne de 50 ans. Elles vivent en milieu urbain pour cinq d’entre elles, périurbain pour deux et rural pour les trois autres. Certaines sont en emploi dans ce secteur depuis moins d’un an, comme Jeanne (SPE2)18Dans un souci de confidentialité et de respect de l’anonymat, tous les prénoms ont été changés. ou moins de cinq ans, comme Lise (SPE5). D’autres ont plus de 20 ans d’ancienneté, comme Christelle (SPE1) par exemple ou la salariée qui intervient au domicile de Marianne (PE4). Certaines ont également exercé ou exercent encore des tâches similaires via une structure mandataire, comme Sonia (SPE4), ou en étant simultanément salariée d’une structure prestataire, comme Christelle (SPE1). Certaines d’entre elles travaillent à temps partiel, d’autres à temps complet. La majorité travaille en journée. Enfin, deux salariées travaillent de nuit pour aider des personnes dépendantes à leur domicile. Ces situations illustrent la grande diversité des conditions d’emploi et de travail des salariés du particulier employeur.

1.1. Le travail au domicile : un milieu singulier

1.1.1. Le domicile, un lieu de travail peu commun

Le travail au domicile se caractérise par l’intervention d’un professionnel dans la sphère privée que constitue le domicile. Il s’agit de travailler « chez » les autres et pour les salariés dont la tâche principale est l’entretien du domicile, ce dernier est simultanément l’espace de travail et l’objet du travail19Reyssat, F. (2016). Quand espace et objet de travail se confondent. Le cas du nettoyage. La Nouvelle Revue du travail, 9, 1-15..

La notion de domicile privé recouvre au moins deux champs distincts :

  • d’une part, le champ juridique qui lui confère son caractère d’inviolabilité et rend inaccessible le lieu de travail pour un certain nombre d’acteurs du domaine de la prévention des risques professionnels, comme les médecins du travail par exemple20Bardot, F. (2006). Mouvements de la clinique individuelle et construction d’espaces de discussion collective : effets sur la santé. Communication au 29e congrès national de médecine du travail. ;
  • d’autre part, le champ symbolique lié à l’intimité familiale qui a conduit certains auteurs à parler d’une « intimité perturbée » par une forme d’intrusion que créerait la présence d’un intervenant21Moscato, & Varescon, 2011, op. cit. ; Bonamy, P., et al. (2012). Les freins à la bientraitance dans l’aide à domicile. Vie sociale et traitement, 116(4), 66-72., et qui pose dès lors la question de la frontière entre deux dimensions du privé : le privé partageable avec autrui, le privé qui relève de l’intime, de la vie intérieure et strictement personnelle22Eleb, M. (1995). La frontière mouvante entre vie privée et vie publique dans la maison. In, J.-C. Kaufmann (dir.), Faire ou faire-faire ? Famille et services. Rennes : PUR..

En tant qu’espace d’habitation, le domicile n’est pas neutre, c’est même dans une certaine mesure un marqueur social. Il possède une valeur symbolique matérialisée par l’espace, son agencement et les objets qui le composent (par exemple des objets considérés par leur propriétaire comme précieux ou délicats). Il est aussi un marqueur d’historicité culturelle. Par exemple, l’absence de commodités, telle que l’absence de salle de bains à l’intérieur du domicile, est un marqueur d’une époque ou d’un milieu social auquel les habitants sont souvent attachés.

Il est attendu du salarié qu’il s’adapte dans son activité à ce milieu social et aux codes sociaux qui lui sont associés. Certains auteurs ont d’ailleurs fait mention de formes de « conflits serviciels » qui émergent dans la relation salariale au domicile, du fait de valeurs et d’intérêts divergents. Ces conflits se cristallisent par exemple autour du respect de l’organisation de l’espace, ou sur la discrétion attendue par l’employeur23Le Petitcorps, C. (2016). Travailler chez les autres. Quels espaces dans les services à domicile ? La Nouvelle Revue du travail, 9, 1-14..

Clarisse (PE1) : (…) Elle ne savait pas très bien repasser, je lui ai montré deux ou trois trucs. Elles ne sont pas très malignes, quand vous avez quatre taies d’oreiller, elle en plie deux d’une façon et deux d’une autre. Qu’est-ce que vous voulez faire ? Dans la même maison, ça veut dire qu’elle ne réfléchit pas, elle s’en fout et puis je ne peux pas lui en vouloir. Non ? (…) Elles ne se rendent pas compte, c’est des filles qui n’ont pas eu… autant ma première dame que j’ai gardée, elle avait été lingère dans une grande maison de Lyon où il y avait des cuisiniers : les piles de draps, c’était une merveille, etc., c’était même trop bien.

Analyste : Quelles sont pour vous les qualités d’un travail bien fait ? Sur quoi vous laissez un peu de lest ?

Clarisse (PE1) : Chez moi, elles rentrent dans un appartement qui est propre et elles me regardent déjà en pensant : « Mais pourquoi elle me demande de venir faire le ménage ? » Bah si, quand on prend l’aspirateur, on voit qu’il y a quand même un peu besoin. Moi, j’aime les choses raffinées, donc je leur explique. Ma belle-fille qui travaille, qui a trois gosses qui sont à la maison, ce qu’elle veut c’est qu’on lui range, que l’on fasse tout un tas de trucs différents. Vous comprenez ? Je crois que c’est vraiment une question de feeling de la personne par rapport à la personne qui est là.

Comme le laisse entendre Clarisse (PE1) dans ce court extrait, il y a une dynamique entre les deux parties qui est à construire pour éviter les quiproquos et les éventuels conflits. Les échecs de la discrétion du travail attendu24Molinier, P. (2009). Des féministes et de leurs femmes de ménage : entre réciprocité du care et souhait de dépersonnalisation. Multitudes, 37-38, 113-121., en ce qui concerne par exemple les façons de plier le linge de maison ont été marquants dans son histoire en tant qu’employeuse. Elle amène ainsi l’idée d’une connaissance nécessaire des codes sociaux du milieu de l’employeuse.

Sophie, coordinatrice d’une structure mandataire, confirme cette idée, comme l’indique l’extrait ci-après.

Sophie (coordinatrice mandataire) : Il y a des profils de salariés, vous pouvez les envoyer n’importe où. Dans tous les milieux sociaux, ça passe. Il y en a d’autres, on le sait, on ne peut pas les envoyer dans certains milieux sociaux. On en a une, elle est très efficace, elle travaille très vite, elle est appréciée. Il y a des milieux sociaux un peu aisés, on ne peut pas l’envoyer, ça ne passe pas. Je pense que c’est son attitude, sa manière de faire qui ne convient pas…

Analyste : … qui n’est pas en adéquation avec les attentes des personnes ?

Sophie (coordinatrice mandataire) : Voilà. Donc elle va trop vite, elle n’est pas assez délicate. Alors dans certains milieux de ce style-là, il faut respecter le mobilier machin et tout, il ne s’agit pas d’aller trop vite parce qu’on peut casser. Donc, on sait que ça ne va pas. C’est comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Donc ce n’est pas la peine. Par contre, on sait qu’à certains endroits, on va pouvoir l’envoyer, ça va être bien, elle va être efficace, elle va réagir, elle nous a dépanné des situations… Et ça passe, le courant passe et elle est bien… Donc en fait, on le sait maintenant, on la connaît bien…, donc ça, on en discute entre nous, quand ma collègue me dit « Je veux l’envoyer là, qu’est-ce que vous en pensez ? », je dis : « On peut faire un essai, mais je n’y crois pas beaucoup, ce n’est pas tout à fait le style. »

Analyste : Il y a plein de critères en fait… il y a évidemment, j’imagine, le besoin, la nature de la mission…

Sophie (coordinatrice mandataire) : Voilà. Après il y a le cadre d’intervention, le domicile en tant que tel et je suis sûre… je pense quand même ne pas faire d’erreur en me disant que le milieu social a une importance aussi.

La coordinatrice de la structure mandataire évoque les critères qu’elle a identifiés à partir de son expérience pour faciliter l’adéquation entre l’intervenant à domicile et les attentes informelles de l’employeur. Pour résumer, il est attendu que le salarié fasse la démonstration d’une connaissance des codes sociaux des habitants. Le résultat de la tâche importerait moins que la manière de l’exécuter et la posture professionnelle attendue par le particulier employeur et adoptée par le salarié. L’enjeu sous-jacent est-il de faire faire le travail de manière identique à ce que l’employeuse aurait pu faire et ainsi que personne ne s’avise de cette substitution ? Mais dans ce cas, quelle place l’activité de la salariée pourrait-elle occuper ? Le travail des intervenants à domicile, quelles que soient les tâches qui leur sont confiées, ne se résume pas à une exécution de tâches ménagères que l’on pourrait qualifier d’ordinaires. C’est un « travail du prendre soin »25Dussuet, A. (2013). Santé au travail et prévention des risques professionnels dans les associations d’aide à domicile. La Revue de l’Ires, 78(3), 77-97. qui suppose un investissement fort pour répondre au mieux aux attentes et besoins des employeurs bénéficiaires, et qui demande une personnalisation importante de l’activité. Cela est d’autant plus vrai dans les situations d’accompagnement de personnes âgées dépendantes ou d’adultes en situation de handicap pour lesquels certains intervenants deviennent « vos bras et vos jambes »26Touahria-Gaillard en collaboration avec Bédel, 2015, op. cit.. Toutefois, le témoignage de Clarisse (PE1) tend à mettre en avant une autre perspective à travers l’idée d’un équilibre nécessaire à trouver qui se construit comme un apprentissage coordonné par l’employeuse et qui repose sur des ajustements conjoints.

De surcroît, nous avons pu noter que le partage des valeurs doit s’établir entre les deux parties qui composent la relation d’emploi. Ainsi, ces « conflits serviciels » peuvent également naître du côté des salariés. Lise (SPE5) explique à l’occasion de la poursuite de l’échange avec l’analyste, au-delà du cadre formel de l’entretien enregistré, avoir eu un conflit quelques années auparavant avec l’un de ses employeurs, qui a conduit à une rupture de contrat de sa propre initiative. Si plusieurs facteurs dont elle a fait part ont contribué à cette rupture, notamment un manque de formalisme contractuel de la part de son employeur et une rémunération qu’elle considérait comme trop faible, elle raconte avoir été surprise de voir la feuille d’imposition de la personne posée dans le salon de manière tout à fait visible, alors qu’elle était chargée de l’entretien du domicile. Elle a attribué cela à un acte volontaire de la part de l’employeur lui montrant le montant de sa rémunération annuelle qu’elle a jugé rabaissant compte tenu de l’écart entre leurs rémunérations respectives, et cela d’autant plus qu’elle jugeait son salaire trop faible. Cet élément aurait déclenché la décision de rupture de la relation d’emploi à l’initiative de la salariée. Sans que nous connaissions les motivations réelles de l’employeur, cet élément déclencheur pourrait-il être considéré comme un indicateur de l’absence de valeurs partagées entre les deux parties et de leur impossible réconciliation ?

Cette question nous amène à revenir sur les notions d’espace privé, social et intime. Il apparaît très nettement dans les témoignages qui nous ont été accordés que le domicile est configuré par deux espaces distincts. En effet, au sein du domicile privé, tout n’est pas rendu « public » et ne peut donc pas entrer dans l’espace social partageable avec autrui. Il y a des frontières entre des espaces privés mis en partage avec l’intervenant et des espaces définis comme intimes par l’employeur qui limite l’espace de travail ou le contenu du travail du salarié. Par exemple, certains ne souhaitent pas que leur salarié ouvre les placards ou touche à certains objets.

Le partage de l’espace ne va pas de soi. Il est plus souvent imposé par le contexte et la situation que choisi. Il peut être la source de problèmes liés par exemple au respect de l’intimité (conversations, documents, objets de valeur), à l’appropriation de l’espace ou au droit à en disposer pour le salarié dans le cadre de son activité de travail. Ce partage est d’autant plus susceptible de devenir conflictuel dans les cas de co-présence simultanée du salarié et de son employeur27Caradec, V. (1995). L’aide-ménagère : une employée ou une amie ? In, J.-C. Kaufmann (dir.), Faire ou faire-faire ? (pp. 155-167). Rennes : PUR. : comment établir un équilibre entre une proximité trop importante qui pourrait gêner le salarié ou être vécue comme une forme de défiance et de contrôle de son travail et le droit de l’employeur à user de son lieu d’habitation de manière ordinaire ?

L’espace privé du domicile acquiert une forme de polyvalence en s’ouvrant à une personne extérieure à la cellule familiale. L’exercice du travail au domicile de l’employeur amène à des conversations entre l’employeur et son salarié qui ont trait à la vie privée de chacun, et parfois peu au travail lui-même. Différents sujets peuvent être abordés : l’éducation des enfants, la famille, la politique ou encore la religion par exemple. Il y a ainsi une forme de dévoilement, de mise en partage de sa vie privée, de ses valeurs sur lesquelles circulent des conseils. Ce dévoilement s’appuie sur des formes d’authenticité nécessaires aux relations d’aide et d’accompagnement. Hochschild28Hochschild, A.R., & Ehrenreich, B. (2002). Global woman: nannies, maids and sex workers in the new economy. New York : Metropolitan Books. associe cette authenticité des sentiments ressentis et exprimés à l’engagement psychologique requis par ce travail. L’authenticité s’inscrirait comme une composante de la santé au travail et permettrait d’éviter des atteintes à la santé, notamment les conséquences psychosociales.

La proximité relationnelle qui se construit entre les deux parties semble s’approcher d’une forme d’affectivité, que certains auteurs rapprochent de l’amitié ou de la parenté29Caradec, 1995, op. cit., forme à laquelle les salariés adhèrent ou que tout du moins ils participent à construire. Par exemple, des contacts hors du temps de travail formel et rémunéré peuvent avoir lieu. Les intervenants peuvent également prendre des nouvelles de personnes dont ils ne sont plus aujourd’hui salariés. Ils consentent à accepter ou à avoir des petites attentions au moment des fêtes de fin d’année ou lors des congés. Ils peuvent s’autoriser également à utiliser un registre plus affectif, comme appeler leur employeuse âgée « ma petite mamie » et laisser l’employeuse leur donner un surnom marquant son affection.

Analyste : Tout à l’heure vous me disiez que vous appeliez l’une de vos employeurs « ma petite mamie » ? Il y a une dimension un peu affective qui s’est créée ?

Lise (SPE5) : Oui, c’est ma petite mamie. Ça fait trois ans et puis cette dame a trois enfants et ils ne vont jamais la voir. Donc pour elle, cela lui est difficile, elle les voit, mais c’est très rare. Donc elle s’est un petit peu attachée à moi, c’est bête parce qu’elle m’appelle « ma chérie », moi je l’ai toujours respectée, je lui ai toujours dit vous. Donc, c’est ce qui fait que c’est ma petite mamie et quand je fais l’entretien chez elle, elle est là tout le temps parce qu’elle ne bouge pas.

Ce type d’échanges montre une spécificité de la relation d’emploi entre particuliers, que l’on retrouve de manière peu courante dans les environnements de travail plus traditionnels pour lesquels la séparation entre la vie privée et le travail est peut-être plus nette et où la discrétion sur les aspects de la vie personnelle est souvent requise. Sans doute, le lieu dans lequel se déroule cette action contribue à cette superposition des registres, au point de devenir un objet de débat, voire un sujet de conflits qui peut mener à la fin de la relation d’emploi, comme le relate le témoignage de Fabienne.

Fabienne (PE2) : (…) Et puis, je crois que c’est à propos d’une élection, où je lui [sa salariée] ai demandé : « Où est-ce que tu vas voter ? » Elle m’a dit : « Bah, je ne vais pas voter. » Je lui ai dit : « Tu ne vas pas voter ? Tu es depuis 10 ans en France, tu viens d’acquérir la nationalité française, on t’a bercée, aidée, choyée. (…) Eh bien, écoute, tu es dégueulasse. » Elle s’est fâchée et elle a dit que j’étais une emmerdeuse voilà et ça s’est arrêté. Mais moi j’aime mieux parce que je ne peux pas être en face de gens qui sont de cette mentalité.

Analyste : Elle est restée combien de temps chez vous ?

Fabienne (PE2) : Elle est restée un an et demi (…). Moi j’ai pris ça comme un échec personnel. J’avais tort, complètement, mais on est entier ou on n’est pas entier.

Empreint de valeurs symboliques relatives aux représentations, aux croyances et à l’expérience pragmatique de l’individu qui l’a composé pour lui-même, le domicile pourrait ainsi être considéré comme un « milieu ». En ce sens, le domicile est un territoire produit de et par la subjectivité de l’individu lui-même. Mais l’intervention d’autrui – extérieur à ce milieu et porteur de sa propre subjectivité – va modifier ce milieu. Toute activité humaine implique une action sur le milieu dans lequel elle s’exerce et le travail humain n’échappe pas à cette règle. Cette capacité d’action sur son milieu est aussi un enjeu de santé. La santé peut s’étudier comme la capacité des individus à modifier le milieu dans lequel ils agissent pour y affirmer leurs propres normes ; ces normes structurent l’activité humaine et se révèlent motrices dans son développement.

Considérer le domicile comme un milieu de vie et de travail simultanément n’est pas sans poser de difficultés, d’autant plus si l’on considère que le travailleur doit nécessairement avoir une capacité d’action sur celui-ci pour développer son activité et sa santé. Une connaissance plus fine de ce que demande la réalisation de ce travail apparaît alors nécessaire pour identifier des marges de manœuvre qui permettent d’agir sur le lieu.

1.1.2. S’adapter à la diversité des situations de travail

L’une des principales caractéristiques attribuées à l’activité des intervenants à domicile est l’importance des variabilités anticipables et imprévisibles rencontrées dans les situations de travail :

  • des lieux et des environnements de travail (par exemple : types de surfaces/matériaux à nettoyer) ;
  • des outils et des produits mis à disposition et utilisés ;
  • des demandes et besoins auxquels le salarié doit répondre qui peuvent provenir de l’employeur lui-même, d’autres intervenants, du personnel soignant, ou de la famille ;
  • de l’état de la personne chez laquelle ils interviennent (éventuelles pathologies ou degré d’incapacité, souffrance, etc.) ;
  • de l’état des travailleurs eux-mêmes (âge, expérience, fatigue, etc.).

L’importance des variabilités des situations de travail implique un fort degré de technicité30Devetter, F.-X., & Rousseau, S. (2011). Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité. Ivry-sur-Seine : Raisons d’Agir Éditions. pour intervenir dans des environnements si diversifiés tout en conciliant les exigences de la personne ou de son entourage, celles de la situation et ses propres exigences (qualité du travail, stratégies de protection, etc.31Cloutier, E., David, H., & Teiger, C. (2003). Agir sur les conditions de travail des auxiliaires de vie : croiser les approches. Travail et emploi, 94, 75-83.).

La technicité requise est d’ailleurs régulièrement mise en avant par les employeuses rencontrées. Lors de nos échanges, ces dernières insistent sur la prise d’initiatives et l’autonomie nécessaire à la réalisation des tâches.

Cherchant à mieux comprendre l’environnement de travail, nous avons interrogé les salariées sur les équipements et les outils de travail mis à leur disposition. Ces derniers ne semblent manifestement pas représenter une préoccupation importante pour les salariées réalisant des travaux d’entretien du logement, ni pour les employeuses rencontrées. Le plus souvent, les questions que nous avons posées sur ces thématiques n’ont donné lieu qu’à de brefs échanges descriptifs de la part des personnes interrogées, indiquant que cette question ne revêt que peu d’importance ou qu’elle n’est pas problématique pour elles.

Certaines personnes rencontrées ont néanmoins évoqué l’intérêt d’avoir des équipements mieux adaptés pour gagner en efficacité et limiter les sollicitations physiques, comme par exemple dans le cas du nettoyage des sols.

Jeanne (SPE2) : Il y en a un [un employeur] en particulier d’ailleurs chez qui je vais depuis trois semaines et qui a un aspirateur. C’est la première fois que je vois un truc pareil, on dirait un truc industriel. Il pèse deux tonnes (sic.), mais alors, je n’ai jamais vu ce modèle nulle part. Il est très lourd, très encombrant, très puissant, donc là, au niveau de l’efficacité, il n’y a rien à dire, impeccable.

Analyste : Mais au niveau de la maniabilité, ce n’est pas ça.

Jeanne (SPE2) : C’est très difficile à manier, très difficile, très lourd, très encombrant. Après, on fait avec ce que le client a, il ne va pas racheter un autre aspirateur pour nous faire plaisir.

En revanche, lorsqu’il s’agit d’accompagner des personnes dépendantes, la question du matériel disponible contribuant à un meilleur bien-être de la personne âgée semble constituer un sujet plus central. L’exemple ci-dessous illustre l’imbrication de la question des équipements de travail et celle de l’équipement de la personne dépendante.

Analyste : Est-ce que vous avez de bonnes conditions de travail ? Est-ce que vous avez du matériel ?

Christelle (SPE1) : On n’a pas de matériel. (…) C’est le matériel de l’employeur. (…) Ça dépend des moyens des personnes. J’arrivais déjà chez une personne, elle n’avait pas de salle de bains. Ici, ça arrive encore. Il y a des personnes qui n’ont pas de salle de bains et qui sont dans un milieu un peu précaire. Ils n’ont pas les finances non plus qui s’adaptent ou bien ils ne sont pas au courant. Donc, ça serait bien aussi de savoir tous les droits qu’ils peuvent avoir et qu’on puisse leur dicter. (…) On ne sait pas tout, on n’est pas non plus renseigné là-dedans. Ce n’est pas évident des fois.

Cet extrait conduit à s’interroger sur les configurations de l’interaction entre la personne aidante et la personne aidée dans le cadre de la réalisation du travail. En effet, l’hypothèse d’une co-construction du travail entre les deux parties émerge. Cette co-construction pourrait être l’un des socles sur lequel développer la prévention des risques au domicile. Dès lors, elle permettrait d’aller au-delà d’une approche de la prévention qui se limiterait à l’amélioration du confort matériel et aux aménagements techniques du domicile.

1.1.3. Des formes collectives de réalisation du travail à domicile

Il est coutume de considérer – à juste titre – les intervenants à domicile comme isolés d’un collectif de pairs, le travail s’exécutant seul et pourtant toujours orienté vers autrui, ou plus précisément vers le ou les bénéficiaires du service. Nos résultats tendent à indiquer qu’il existe également d’autres configurations possibles, plus collectives, en fonction des caractéristiques de la situation de travail. En effet, une autre spécificité des situations que nous avons cherché à étudier est la co-présence au domicile, c’est-à-dire une présence simultanée au domicile de l’employeur et du salarié lors de la réalisation du travail. D’autres formes de travail collectif ont été identifiées dans l’emploi à domicile, par exemple pour les employeurs en situation de handicap32Touahria-Gaillard en collaboration avec Bédel, 2015, op. cit.. Dans cette étude, la présence à domicile de l’employeuse qui est retraitée, donc présente le plus souvent à son domicile, et gérant les tâches domestiques de son domicile, conduit à construire des formes collectives de réalisation du travail.

La co-activité

La première forme qui apparaît est la co-activité, c’est-à-dire des actions individuelles différentes mais réalisées dans le même lieu. Par exemple, lorsque la salariée nettoie les sols alors que l’employeuse regarde la télévision assise dans un fauteuil, ou lorsqu’il y a des conversations pendant l’activité de travail ou après.

La présence de l’employeur ou d’autres intervenants, dans un espace partagé, tend toujours à modifier d’une certaine manière la réalisation de l’activité, comme le révèle l’extrait suivant, d’autant que les tâches du salarié évoluent en fonction des besoins et des demandes de l’employeur qui donne les consignes pour chaque journée de travail ou pour une durée plus longue.

Jeanne (SPE2) : Cela m’est arrivé de le faire [le ménage] pendant que l’auxiliaire de vie était là. Le matin, elle s’occupe de le sortir du lit, elle l’aide à la toilette. Pendant qu’il est dans la salle de bains, moi je peux essayer de faire une partie de la chambre. Ensuite, elle l’aide à s’habiller, elle le met dans son fauteuil, ils vont dans le salon. Donc là après, je peux continuer à faire le reste.

La coopération

La seconde forme collective identifiée est la coopération entre employeur et salarié, c’est-à-dire une activité collective réalisée ensemble, dans le même lieu. Les tâches varient à la demande de l’employeur et sont réalisées simultanément avec lui.

Fabienne (PE2) : Alors, chez moi les femmes de ménage ça n’existe pas. C’est quelqu’un qui occasionnellement fait du ménage. Généralement, pendant qu’elle fait le ménage, les sols, des choses comme ça, moi je cire les meubles. Je tape les coussins, je fais toujours quelque chose (…). Je travaille avec elle ou je dis : « Bon écoute, je regarde mon ordinateur, j’ai des coups de téléphone à passer. » Mais, elle m’aide pour mon ordinateur, pour mon téléphone, pour aller ranger la cave, tout ce que je fais, elle le fait. (…) On partage.

Notons toutefois que ces formes collectives semblent être tout à fait singulières puisque l’employeur et l’employé travaillent de concert à la réalisation de la même tâche, ce qui pousse certaines employeuses interrogées à considérer qu’elles « travaillent ensemble » avec leur salariée. Une situation que l’on retrouve assez peu couramment dans des milieux professionnels plus traditionnels, du fait d’une division hiérarchisée des tâches plus marquée.

Certains travaux ont montré que la coopération se jouait également pour les activités de soins à domicile dispensées à des personnes âgées dépendantes. Par exemple, l’intervenante et la personne âgée vont échanger au moment de la prise de poste, pour déterminer ensemble la meilleure stratégie pour réaliser un soin long ou douloureux33Cloutier, David, & Teiger, 2003, op. cit.. La coopération physique et empathique qui se construit entre les deux parties va permettre de prodiguer le soin de la manière la plus efficiente possible et de prendre soin du patient comme du travail réalisé.

1.2. La dimension relationnelle au cœur du travail

Le travail au domicile se construit comme une intrication entre des dimensions physiques, cognitives, relationnelles et émotionnelles34Teiger, C., Cloutier, E., & David, H. (2005). Les activités de soins à domicile : soigner et prendre soin. In, M. Cerf & P. Falzon (dir.), Situations de service : travailler dans l’interaction (pp. 179-204). Paris : PUF.. Aussi, ce qui apparaît constituer le cœur du travail est la gestion des dimensions relationnelles.

Cette gestion de la relation requiert une nécessaire adaptabilité à chacune des situations de travail : aux demandes des employeurs, à l’évolution de leurs besoins, à leurs éventuelles pathologies, etc.

En définitive, les missions des salariés intervenant au domicile de personnes âgées mêlent ces deux aspects : techniques et relationnels. Il s’agit de réaliser une tâche technique (par exemple faire le ménage) tout en assurant simultanément un soutien social et moral à la personne âgée et/ou dépendante35Bressé, S. (2003). L’enjeu de la professionnalisation du secteur de l’aide à domicile en faveur des personnes âgées. Retraite et société, 39(2), 119-143..

Jeanne (SPE2) : J’avais déjà eu une première expérience, mais en emploi direct avec une personne handicapée à son domicile. Elle avait une poche abdominale donc avec des soins assez spécifiques, journaliers, donc avec l’aide à la toilette, l’aide à la marche aussi parce qu’elle avait des difficultés à se tenir debout. Elle travaillait, elle avait gardé son activité, elle était prof, donc elle travaillait chez elle à mi-temps et à mi-temps à l’extérieur. Donc, j’y allais le matin pour l’aider à sortir du lit, à prendre sa douche, s’habiller et se coiffer. Je faisais un petit peu de ménage, un petit peu de repassage et puis je l’accompagnais quand elle avait des rendez-vous avec les médecins à l’hôpital.

Ces missions contribuent à assurer un rôle social notamment lorsqu’il est question d’intervention au domicile de personnes âgées dépendantes36Abecassis, P., Beaumont, N., Gomis, C., Lafon, D., Métin, P., Michel, A., Pitol-Belin, E., Revillet, S., Seneque, B., Bedoit, G., Ferry, P., Gaillard, A., & Giroud, C. (2005). Évaluation et prévention des risques chez les aides à domicile. Documents pour le médecin du travail, 102, 161-189. qui peuvent se trouver en situation d’isolement compte tenu des symptômes pathologiques qu’elles présentent et de la limitation de certaines de leurs capacités fonctionnelles, à l’image de la situation décrite par Gwenaëlle (SPE3).

Gwenaëlle (SPE3) : Il n’y avait plus forcément de relations avec des amis ou ce style de choses, ni avec les voisins, enfin elle était désociabilisée complet mis à part moi, les infirmières, les ambulanciers, sa fille, sa petite-fille, c’est tout (…). En plus, au niveau des oreilles, ce n’était pas forcément ça, le diabète, les yeux, elle n’y voyait pratiquement plus, ça met beaucoup de barrières. Elle était en déambulateur, donc elle ne pouvait pas sortir de chez elle parce qu’il y avait des escaliers, il n’y avait pas d’ascenseur (…).

La dimension relationnelle revêt ici une importance considérable : elle est mise en avant par les salariées et par les employeuses rencontrées comme l’une des spécificités de ce travail mais également comme son principal attrait. À la question « Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail ? », le contact humain et la dimension relationnelle sont le plus souvent évoqués. Pour certaines employeuses, le « souci » et le « soin » sont partagés. C’est pour certains auteurs ce qui différencie les métiers d’accompagnement et d’aide des métiers de service37Doniol-Shaw, G. (2009). L’engagement paradoxal des aides à domicile face aux situations repoussantes. Travailler, 22(2), 27-42.. Toutefois, si la dimension relationnelle est souvent recherchée, elle ne s’impose pas. Elle passe notamment par la construction d’une relation de confiance.

1.2.1. Construire la confiance

La question de la confiance émerge comme un pré-requis à l’inscription dans le temps de la relation d’emploi et donc à sa durabilité. La notion est mobilisée par les salariées et par les employeuses rencontrées et donne un indice de l’état des relations interpersonnelles. Le partage d’aspects personnels dans le registre de la familiarité lié au partage de l’espace du domicile contribue évidemment à sa construction. Mais au-delà, la confiance porte tant sur la qualité du travail apporté que sur la qualité de la relation.

Pour les salariées rencontrées, il s’agit à la fois d’avoir confiance et de se sentir en confiance, comme l’indique Lise (SPE5) lors de notre entretien.

Analyste : Il y a aussi une relation un peu plus personnelle qui se construit au fur et à mesure. Et c’est important pour vous cette relation ?

Lise (SPE5) : Oui parce que ça permet d’être beaucoup plus à l’aise, de rencontrer l’employeur, le côté employeur/employée, je ne dirais pas que c’est froid, mais si c’est « Bonjour, j’ai ça à faire ». Non, discuter un peu, c’est sympa. (…) Cela met plus à l’aise, plus en confiance.

Pour un certain nombre d’employeuses rencontrées, la confiance se traduit également par le fait de pouvoir compter sur leur salariée : sur ses compétences techniques, sur sa présence et son investissement dans son emploi et dans la relation qui la lie à son employeuse, sur sa discrétion et son professionnalisme, sur la possibilité de pouvoir lui confier des tâches auxquelles l’employeuse accorde une importance particulière.

Analyste : J’ai entendu dans votre discours, plusieurs fois, la question de la confiance qui revenait. Pour vous, c’est ce qui est fondamental dans cette relation ?

Marianne (PE4) : Oui, parce que c’est vrai que quand elle arrive, elle prend le café rapidement, on discute, je connais sa famille. Enfin bon, c’est des relations de confiance. Quand je m’absente un peu longtemps, elle peut éventuellement par exemple venir m’arroser mes fleurs. C’est des choses que je ne demanderais pas à une personne que je ne connais pas bien.

Analyste : Oui, la confiance, c’est à la fois la relation entre vous, le fait que vous vous connaissiez bien et en plus, vous vous connaissez depuis longtemps. C’est peut-être aussi la qualité de son travail ou la qualité du service rendu ?

Marianne (PE4) : En fait, c’est global. Il y a des choses qu’elle ne me fait pas parce qu’elle n’a pas le temps sinon, si elle avait du temps, elle me ferait le complément de ce que je fais, et puis laisser ses clefs à quelqu’un en permanence comme ça, c’est quand même une relation…

Analyste : Oui, on rentre dans l’intime.

Marianne (PE4) : Oui, c’est comme je le ferais avec quelqu’un de ma famille.

Confier son intimité et ses biens les plus précieux – tout du moins symboliquement – appelle évidemment à une importante confiance. L’acte de laisser ses clefs est vécu comme une étape essentielle de la relation qui se développe entre l’employeuse et sa salariée. Une nouvelle fois, émerge un discours qui assimile l’une des parties à un membre de la famille.

1.2.2. Des limites symboliques à la relation d’emploi

Ces dimensions relationnelles, ces intrications entre les registres de l’intime et du professionnel floutent les contours du travail. Mais des limites à ces relations familières, parfois quasi familiales, sont toutefois posées. Elles sont plus souvent de nature symbolique que matérielle ou temporelle.

Analyste : Mais vous tenez quand même à garder une certaine distance ou une barrière, peut-être une frontière entre ce qui est de l’ordre de la relation professionnelle et puis ce qui serait de l’ordre d’une relation plus intime, amicale… ?

Gwenaëlle (SPE3) : Ah oui. Je vouvoie toujours. Voilà, la barrière est là, des fois ils me tutoient parce qu’à force des fois c’est « Tu, ah non, vous, oh la la, je ne sais plus ». Mais… je rectifie quand ça va quand même un petit peu trop dans l’affection parce que… Après, je suis là quand même pour une prestation.

Analyste : Donc, ça fait partie des limites professionnelles que vous vous fixez ?

Gwenaëlle (SPE3) : Oui. Je n’ai pas beaucoup de limites. C’est vrai que ça fait plus de 10 ans que je vais chez les gens, on s’attache. Donc après des fois ce n’est pas forcément évident de mettre des limites ou de ne pas forcément s’investir dans un projet ou dans ce style de choses. C’est à la demande, je vais chez eux, si jamais ils ont besoin et qu’ils me demandent et que je peux, je fais. Voilà. S’ils ne demandent pas, je ne vais pas…, des fois, je propose, c’est une réponse positive ou négative, mais voilà après ça s’arrête là.

La logique salariale ne s’efface pas complètement de cette relation d’emploi particulière. En revanche, cette logique se trouve bousculée par les singularités des configurations d’emploi. Des enquêtes38Voir par exemple Bernardo, L. (2003). La place des sentiments dans l’aide professionnelle de gré à gré. In, F. Weber, S. Gojard & A. Gramain (dir.), Charges de famille. Dépendance et parenté dans la France contemporaine (pp. 362-389). Paris : La Découverte. ont montré la manière dont la dimension relationnelle pouvait déplacer le cadre formel de l’emploi : le registre de familiarité voire de parenté qui s’instaure peut conduire par exemple à un déplacement des tâches prises en charge par l’employé, de plus en plus diverses (entretien du cadre de vie, garde d’enfants, éducation, etc.). Toutefois, il apparaît nécessaire de poser des limites à la situation de travail : pour préserver son emploi, pour se protéger en termes de santé et de sécurité et éviter la prise de risques comme par exemple avec le travail en hauteur sans mesure de sécurité.

1.2.3. Une logique du travail au-delà de la logique salariale ?

La logique salariale dépasse ainsi le cadre du travail stricto sensu, c’est-à-dire une prestation rémunérée dans une société marchande et de droit39Schwartz, Y. (2004). La conceptualisation du travail, le visible et l’invisible. L’Homme et la société, 152-153(2), 47-77.. Un tel constat renvoie immanquablement à l’histoire des activités d’aide et d’accompagnement des personnes vieillissantes et fragilisées. Leur construction se structure autour des logiques d’entraide familiale, un rôle notamment assuré par les femmes, et des logiques d’action sociale au bénéfice des personnes en difficulté, un rôle assuré initialement par le secteur associatif40Puech, I. (2012). La régulation des services à la personne et le secteur associatif des années 1970 à nos jours. Informations sociales, 172(4), 94-100.. En étudiant l’histoire dans laquelle s’inscrit le développement de ces métiers, il semble peu étonnant que le travail ne puisse être contenu dans un cadre restreint. Des auteurs41Bernardo, 2003, op. cit. ont d’ailleurs mis en évidence le développement d’une forme d’économie des sentiments qui prend le pas sur la rationalité économique de l’employeur. Par exemple, des employeurs peuvent faire le choix de poursuivre la relation d’emploi alors que leurs besoins ont évolué et sont moins importants que précédemment, assumant un surcoût économique pour éviter un coût affectif qu’ils jugeraient trop important en cas de licenciement. Mais la rationalité économique ne disparaît pas pour autant. La question des moyens financiers peut d’ailleurs être la raison principale qui conduit à la fin d’une relation d’emploi, comme l’exprime Catherine (PE5).

Analyste : Est-ce que vous prévoyez peut-être une fois que vous serez « réellement » à la retraite de prendre plus de personnes ?

Catherine (PE5) : Non, il y a la réduction de moyens. Ça s’est produit pour moi en 2013, j’ai quand même réduit d’un tiers mon activité, et puis encore un autre tiers et puis encore une petite partie, donc la question était réglée. Je ne pouvais plus financer de la même manière.

Mettre fin à la relation d’emploi semble souvent présenter des difficultés. Lorsque la relation a pris fin suite à un conflit – dont la résolution peut nécessiter une saisine du conseil des prud’hommes – les souvenirs sont toujours vivaces et la douleur liée à ce conflit est souvent exprimée par les employeuses rencontrées ayant connu cette situation. Lorsque la relation d’emploi est en passe de s’achever, par exemple en raison du départ à la retraite de la salariée, se projeter dans la construction d’une nouvelle relation avec une autre salariée est tout aussi difficile.

Marianne (PE4) au sujet du départ en retraite de sa salariée prévue en milieu d’année suivante : Pour moi, c’est compliqué de trouver quelqu’un maintenant à la place de [sa salariée] en qui j’ai confiance et qui, je ne sais pas, pourra me faire le travail aussi bien. Peut-être qu’elle a trop bien fait le travail ?

Le travail des salariés au domicile des particuliers employeurs âgés apparaît ainsi se construire dans une forme d’intrication entre les registres de l’emploi, de la relation, de l’affection voire de la familiarité ou de l’amitié. Il relève donc de plusieurs logiques issues des attentes de chacune des parties – celle d’un travail humanisé42Banens, C. (2014). L’humain avant tout. Recherche d’humanisation et de reconnaissance du travail dans le ménage à domicile (mémoire de master 2). Paris : EHESS. et celles posées par la singularité de la situation.

2. Accompagner un particulier employeur âgé

Le travail au domicile d’un particulier employeur âgé consiste simultanément en une aide technique et une aide sociale pour celui-ci, a fortiori quand la personne âgée n’est plus autonome. Les frontières entre les emplois d’employé familial, dont la tâche principale est l’entretien du cadre de vie, et d’assistant de vie, dont la mission est l’aide à la personne limitée dans ses capacités fonctionnelles, apparaissent floues. La distinction entre ces deux « postes » ne semble pas refléter la réalité des situations vécues par les salariées et les employeuses rencontrées. Un faisceau d’indices converge vers le constat que le travail auprès d’une personne vieillissante est un travail d’accompagnement dont les missions démarrent avant même que les premiers signes de perte d’autonomie apparaissent.

2.1. Perte d’autonomie de l’employeur et glissement des tâches du salarié

D’une manière générale, les tâches prescrites aux salariés sont décrites du point de vue des opérations techniques à effectuer : par exemple, nettoyer les sols, repasser du linge, préparer le repas, etc. Mais les tâches ne se limitent pas à ces buts donnés préalablement à l’activité et réalisés dans des conditions déterminées. Les tâches réelles exercées par les salariés sont multiples et de plus elles doivent être réalisées simultanément.

Les salariés travaillant à domicile auprès de personnes âgées exercent au moins trois tâches simultanément43Leduc, S., & Valléry, G. (2006). Approche des compétences sociales par l’analyse de l’activité : une étude chez les aides à domicile. O.S.P. l’orientation scolaire et professionnelle, 35(3), 397-419. :

  • réaliser l’opération technique attendue ;
  • gérer la relation et la co-présence ;
  • prélever de l’information sur la personne en vue d’élaborer une veille attentive sur la santé et la sécurité de cette dernière.

Réaliser ces trois tâches en même temps implique une double attention continue sur la tâche à réaliser et sur la personne aidée.

Lise (SPE5) : Et cette mamie-là, je l’ai déjà rattrapée une fois. Elle n’est pas très grande, elle m’a dit qu’elle mesurait 1,48 m, vous voyez elle n’est pas grande du tout. Et je l’ai vue, elle a voulu reculer en tirant la chaise et en fait, je l’ai vue tomber. Je l’ai rattrapée par le bras parce que de l’autre côté j’avais un truc que j’ai balancé et je l’ai tenue. Si je ne l’avais pas rattrapée, elle était par terre. Donc j’ai eu déjà le réflexe de l’attraper.

Gwenaëlle (SPE3) a été amenée à accompagner l’une de ses employeuses devenue dépendante jusqu’à son décès et s’est trouvée ainsi engagée dans un rôle d’assistante de vie.

Gwenaëlle (SPE3) à propos de son expérience d’accompagnement d’une personne dépendante : Après il n’y a plus lieu que ce soit, donc ça redevient ce que c’était avant, finalement : « le ménage de la relation ». La personne qui est décédée, chez qui j’allais 30 heures par semaine… c’est pour ça que je ne travaille pas aujourd’hui… Là, c’est vrai que ça a été progressif. Il y a eu une chute, après il y a eu une hospitalisation et après, je suis intervenue de plus en plus au fur et à mesure que sa santé se détériorait. Là, j’étais vraiment auxiliaire de vie.

Le cas de Gwenaëlle illustre le glissement des tâches qui peut s’opérer lorsqu’une employée familiale travaille auprès d’une personne âgée non dépendante et est amenée à l’accompagner dans l’évolution de sa dépendance. Le contenu du travail et les tâches à réaliser évoluent également en fonction des besoins de la personne âgée. Une évolution temporaire qui conduit Gwenaëlle (SPE3) à décrire son travail à la fois comme du « ménage du domicile » et du « ménage de la relation ». Ce glissement de l’employé familial à l’assistant de vie peut dans certains cas être brutal et synonyme d’urgence à laquelle il faut remédier rapidement.

De surcroît, le contenu du travail décrit par les salariées rencontrées laisse apparaître une porosité des tâches dévolues à ces deux profils de métier.

Les salariées qui ont toujours exercé le métier d’assistante de vie revendiquent leur professionnalité en se référant au périmètre de leur cadre d’emploi, comme le présente Christelle (SPE1).

Christelle (SPE1) : J’adore mon métier. C’est mon choix, j’ai fait mes études, depuis l’âge de 14 ans, je suis partie dedans. J’ai eu les structures au départ et j’ai toujours aidé les personnes âgées, même petite, donc ça ne change pas (…). Puis moi, je suis auxiliaire de vie, je ne suis pas aide-ménagère, il ne faut pas confondre auxiliaire de vie et femme de ménage. Enfin aide-ménagère, je préfère employer ce mot. (…) Je suis employée en auxiliaire de vie, il y a des limites. Je ne vais pas m’amuser à monter sur les escabeaux pour aller faire des cuisines en hauteur ou faire des trucs de cheminée ou des trucs comme ça.

Les tâches ne peuvent rester cantonnées à des missions d’accompagnement de la personne dans les actes de la vie quotidienne prises indépendamment de son cadre de vie. Aux tâches d’accompagnement s’additionnent des tâches d’entretien du cadre de vie qui, si elles ne sont pas toujours mises en avant dans les entretiens, font partie intégrante du travail.

Christelle (SPE1) : Ce sont des personnes âgées. J’ai un monsieur qui est pareil, je ne fais que du ménage, parce qu’il ne peut plus. Certaines personnes ont le bras…, ils ne peuvent plus bouger. J’avais une dame aussi qui ne pouvait plus du tout…, la pauvre il n’y avait personne qui intervenait, elle avait fait appel et ça faisait plusieurs mois qu’elle faisait appel à quelqu’un, elle avait la sclérose en plaques, donc elle avait les bras, les mains toutes raides et elle ne pouvait pas faire de vaisselle, elle n’avait pas d’aide.

Les tâches évoluent également en fonction des besoins des habitants du domicile. Lorsque l’assistant de vie intervient chez un couple de personnes âgées, bien que l’aide apportée soit orientée vers l’une des personnes qui composent ce foyer, certaines tâches (la préparation des repas par exemple) sont étendues pour intégrer le conjoint ou la conjointe, comme l’indique Christelle (SPE1).

Analyste : S’il y a un compagnon, vous n’intervenez pas pour lui ?

Christelle (SPE1) : Non, je suis juste pour la personne. C’était défini avec mon contrat. C’est mon contrat qui le stipule. Mais bon on est là, on fait à manger pour trois, on ne fait pas à manger pour un. Dans l’ensemble, c’est pour la toilette, je ne veux pas faire la toilette de monsieur.

Ainsi, les salariés qui interviennent au domicile de personnes âgées non dépendantes ne réalisent pas exclusivement des tâches d’entretien du cadre de vie. Ils accompagnent déjà la personne dans son avancée en âge en veillant à son autonomie et à son bien-être. Ces salariés réalisent ainsi, avant même l’arrivée de la dépendance, des missions d’accompagnement du vieillissement de la personne et de prévention de sa perte d’autonomie. Quant aux salariés qui interviennent au domicile de personnes déjà dépendantes, ils ne réalisent pas exclusivement des tâches d’aide fonctionnelle à la personne, mais également des tâches d’entretien du domicile de la personne dans l’objectif d’améliorer son bien-être et son confort en vue de favoriser les conditions de son maintien à son domicile et le lien social. Ce constat renforce la dimension nécessairement évolutive du travail des salariés qui s’inscrit pleinement dans l’évolution de l’autonomie de la personne aidée44Rocher, M. Langevin, V., Castejon, C., Frachon, M., Poete, V., & Villatte, R. (2005). Regard sur le travail : quand les aides à domicile deviennent « auxiliaire de vie sociale » pour agir sur leurs conditions de travail et sur leur santé. Note scientifique & technique, 257. Vandœuvre : INRS..

2.2. Une mission d’accompagnement

Il apparaît in fine que le travail réalisé auprès des personnes âgées peut être envisagé comme un travail d’accompagnement. Ce travail s’apparente à une mission. Il est à la fois un but en soi, une charge, une fonction, un mandat qui est confié au salarié par la personne elle-même et/ou par sa famille en vue d’accomplir cette tâche d’accompagnement de la personne aidée. L’accompagnement ainsi produit permet, pour les personnes en perte d’autonomie, d’assurer une combinaison entre la vie autonome à domicile et la sécurisation de l’environnement45Stiker, H.-J., Puig, J., & Huet, O. (2009). Handicap et accompagnement. Nouvelles attentes, nouvelles pratiques. Paris : Dunod..

La mission d’accompagnement s’achève au décès de l’employeur, ce qui conduit certaines salariées à considérer qu’elles sont en contrat à durée déterminée, la mission pouvant durer de quelques mois à quelques années. Elle peut dans certains cas se poursuivre quelque temps après le décès de l’employeur et prendre alors une autre forme avec, par exemple, des demandes pour l’accompagnement de la famille du défunt, comme en témoigne Monica, formatrice pour les salariés du particulier employeur.

Monica (formatrice) : Je pense que des fois, elles n’avaient pas forcément pensé que cela pouvait arriver ; donc du coup il n’y avait pas forcément dans leur tête l’élément de réflexion qui leur aurait permis de se positionner et quand arrive l’événement traumatisant parce que pour elles aussi, c’est une perte et du coup : « Bah, ça fait dix ans que j’étais chez eux, il faut que je les aide ! Je les ai toujours côtoyés, ce n’est pas possible. Je ne peux pas les laisser dans cette situation-là. » Et après, elles peuvent se dire : « Je vais aller jusqu’ici » et après, elles vont se dire : « Non, non je n’irai même pas à l’enterrement et franchement, je n’ai pas envie de faire la veillée avec la famille », par exemple. Cela a été jusqu’ici quand même ! (…)

J’ai dit : « Après il faut pouvoir mettre une limite », c‘est-à-dire affectivement parlant et professionnellement (…). Il faut que les deux sachent au moins jusqu’où on peut aller et qu’après les enfants fassent au moins les funérailles. J’entends que c’est dramatique de perdre quelqu’un qui était dépendant. (…) On n’est jamais assez bien préparé à pouvoir perdre un être cher et les enfants étaient perdus et la seule personne qui pouvait gérer, c’était l’assistante de vie. Je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure place pour l’assistante de vie (…). Et je pense également qu’elles ne savent pas dire jusqu’où elles peuvent aller, vous comprenez ? Ou alors, elles sont prises affectivement parlant, c’est une autre raison. Elles ne peuvent pas dire non parce qu’elles n’ont jamais dit non à un moment donné. Et là, dire non quand il y a la catastrophe qui vient d’arriver, ce n’est pas faisable.

2.3. Mission d’engagement et responsabilité

Le glissement des missions – progressif ou brutal – est difficile à anticiper. Il peut conduire les salariés à un sentiment d’isolement face à la charge de travail et notamment face à la charge psychologique.

Les salariés peuvent être les premiers confrontés à un accident ou à une situation d’urgence lorsqu’ils arrivent au domicile d’une personne isolée, comme en témoigne Christelle (SPE1).

Christelle (SPE1) : J’ai une dame qui a une fois trébuché. J’arrivais, elle était déjà par terre. On a appelé les pompiers, elle a été à l’hôpital, je l’ai accompagnée. (…) Je suis arrivée à temps. (…) Donc, j’ai bipé, parce qu’ils ont des bips et j’ai dit qu’il fallait vite venir, madame Untel n’est pas bien. (…) Mamie avait peur d’y aller toute seule, donc j’ai pris l’initiative d’y aller, je suis restée toute une nuit avec elle à l’hôpital jusqu’à 4 heures du matin. Donc, j’ai dépassé mes horaires. Je l’ai fait pour la personne, jusqu’à temps qu’elle s’endorme et puis une fois qu’elle s’est endormie, je suis partie, mais je suis revenue le lendemain la voir quand même parce que je ne pouvais pas la laisser. (…) Elle avait 92 ans. Elle est toujours là. Je lui ai sauvé la vie en quelque sorte. Elle vit toujours et elle va bien. Voilà. Elle n’a pas de famille proche, elle est fille unique.

Les salariées rencontrées abordent explicitement dans les entretiens le sentiment de responsabilité qui découle des missions qu’elles exercent au domicile des personnes âgées, à savoir :

  • la gestion de la personne et de sa pathologie, parfois sans formation spécifique pour comprendre les symptômes et y répondre au mieux ;
  • la gestion du quotidien de la maison, y compris de l’entretien ;
  • la gestion des relations avec la famille ;
  • la gestion des relations avec les soignants ;
  • la gestion administrative en cas de licenciement (décès).

La charge de la responsabilité, notamment dans des situations d’isolement du salarié et de son employeur, peut conduire à devoir opérer des arbitrages en défaveur de sa propre santé. Gwenaëlle (SPE3), par exemple, déclarait « ne plus se reconnaître physiquement » durant la période où elle a accompagné une personne dépendante en fin de vie : l’accumulation de fatigue, la charge psychologique et l’ampleur des heures travaillées, qui s’ajoutaient aux heures de travail qu’elle réalisait chez d’autres particuliers employeurs, l’avaient physiquement marquée. Christelle (SPE1) a aussi décrit pendant l’entretien une situation durant laquelle elle a rencontré un problème de santé important qui a nécessité une hospitalisation. Ce problème s’est déclenché lors de son temps de travail chez une personne dépendante, chez qui elle intervient jour et nuit. Elle ne s’est rendue à l’hôpital que le lendemain, après la fin de son temps de travail, ne s’autorisant pas à laisser la personne aidée en situation de dépendance importante seule à son domicile et ne pouvant joindre aucune personne pour la remplacer.

Christelle (SPE1) : Cette année, j’ai fait une grosse crise d’asthme, je me suis gérée toute seule heureusement. C’était en pleine nuit en plus. La mamie m’a dit : « Je vais me coucher. » Elle n’a pas du tout réagi et moi je me suis dit, je ne peux pas la laisser toute seule. Donc, j’ai pris sur moi. J’ai fait mes soins, j’ai téléphoné à mon médecin parce que j’ai son numéro directement en cas de problème. Avec mon asthme, je ne rigole pas, je fais des grosses crises. Et puis quand j’ai fini mon boulot, j’ai été aux urgences. Je suis restée deux jours à l’hôpital quand même. Je n’arrivais plus à respirer presque. Mais bon, j’ai fini mon boulot. Parce qu’il n’y avait personne pour prendre la relève. C’est ça le problème (…).
J’avais ma ventoline, j’avais tout, mes médicaments, la cortisone. J’ai tout pris comme m’avait dit le médecin. Il m’a dit si vraiment après ça ne va pas, il faut aller aux urgences. Donc, j’ai attendu quand même sept heures avant d’aller aux urgences. Et quand j’y étais, il était temps. Je me suis fait disputer même. Mais j’ai dit que je ne pouvais pas laisser mamie toute seule. Après, ils ont compris. C’est vrai qu’on ne peut pas laisser les personnes toutes seules. C’est ça, notre problème. (…). Je ne peux pas laisser une personne qui ne peut pas marcher, qui ne peut pas se déplacer toute seule dans un lit et puis partir. C’est de la maltraitance. Il n’y avait personne, sa fille n’était pas là.

Les salariés intervenant au domicile sont parfois confrontés à des situations que l’on pourrait considérer comme « repoussantes »46Doniol-Shaw, 2009, op. cit., notamment en termes d’hygiène et de salubrité des lieux dans lesquels ils travaillent, comme l’illustre ce témoignage.

Christelle (SPE1) : Je suis intervenue chez elle, j’ai dû faire du ménage, mais alors à fond la caisse. J’avais une vaisselle qui datait depuis deux mois à peu près. (…) C’était vraiment insalubre. Ça arrive. Ça m’est déjà arrivé plusieurs fois. Ben, on fait le ménage. Et là, on met tout son cœur, on y va. On n’a pas le choix. On ne chôme pas. Il y avait de la moisissure dans les plats, vous jetez des trucs, vous n’avez pas le choix. Vous faites le tri.

Ces situations repoussantes ne les conduisent pas à renoncer à intervenir. Au contraire, Christelle (SPE1) « y met tout son cœur » quand d’autres décrivent « se blinder » pour agir dans de telles situations. L’engagement dans la situation dépasse ce qui pourrait être qualifié de « sale boulot ». D’une part, pour certaines d’entre elles, cet engagement tient d’abord à la nécessité financière d’honorer un contrat47Isaure, & Ferrier, B. (2012). Mémoires d’une femme de ménage. Paris : Éditions Points.. D’autre part, l’engagement repose sur la perspective de la métamorphose du logement par l’action du salarié. L’aide apportée est supposée transfigurer la situation repoussante en lui conférant une fonction sociale.

2.4. Évolution et reconnaissance du travail

Ces missions d’accompagnement engageant la responsabilité du salarié travaillant auprès de particuliers employeurs âgés semblent toutefois peu reconnues et en attente d’une meilleure valorisation. Par exemple, les contrats de travail, lorsque ceux-ci ont été rédigés au démarrage de la relation d’emploi48Le contrat de travail écrit, bien qu’il soit conseillé, n’est pas obligatoire pour les emplois dont la durée de travail n’excède pas 8 heures par semaine ou ne dépasse pas 4 semaines consécutives dans l’année. Ce qui peut expliquer que dans un certain nombre de situations de travail déclaré, le contrat de travail reste toujours sous forme d’accord verbal entre les deux parties., ne sont pas systématiquement modifiés lorsque la perte d’autonomie de l’employeur modifie les activités du salarié, posant la question de la reconnaissance symbolique et monétaire de l’évolution des missions du salarié.

De la même manière, le vocabulaire utilisé par la famille pour désigner l’employé (« la femme de ménage » par exemple) n’évolue pas nécessairement de manière concomitante à l’évolution de ses missions. Cette difficulté de reconnaissance du statut pose également la question de la place occupée et celle accordée au salarié dans le processus d’accompagnement de la personne âgée dépendante ou non. Quel rôle tenir vis-à-vis des proches ou des personnels soignants ?

La reconnaissance des missions d’accompagnement des salariés semble être un enjeu fort pour mieux coordonner le travail des différents intervenants au domicile (professionnels, soignants, familiaux). C’est également un enjeu pour les salariés eux-mêmes dans une perspective de professionnalisation et de développement de ces emplois et de ce secteur d’activité. En ce sens, la reconnaissance devient un enjeu de santé pour l’employeur âgé et pour le salarié.

3. Le travail du salarié : facteur de santé et d’autonomie pour le particulier employeur ?

L’objet du travail des salariées rencontrées est la personne âgée bénéficiaire de l’aide apportée. Autrement dit, une personne considérée entièrement dans ses dimensions physiques, psychiques, cognitives, émotionnelles. S’occuper d’une personne plus ou moins autonome, pouvant également souffrir de diverses pathologies altérant ses capacités fonctionnelles, oblige la salariée à exercer une veille attentive continue sur la personne aidée, comme nous l’avons abordé dans le chapitre précédent.

Cette caractéristique propre aux métiers du soin et de l’aide humaine et qui les différencie des autres activités de service49Teiger, Cloutier, & David, 2005, op. cit. confère au travail une dimension collective d’autant plus importante. Le travail, toujours adressé, toujours en relation avec autrui, est également créateur de rapports sociaux et de communautés humaines. Ce qui implique que le travail des salariés est à la fois dirigé vers, s’articule autour de et dépend du particulier employeur auprès duquel il intervient. Autrement dit, le travail repose sur une production commune orientée vers la personne âgée.

En ce sens, le travail du salarié peut être considéré comme un facteur de santé et d’autonomie pour le particulier employeur :

  • D’une part, l’aide apportée par l’intervenant professionnel peut mener l’employeur à développer ses propres stratégies pour prévenir et anticiper les conséquences liées à l’avancée en âge.
  • D’autre part, des stratégies sont mobilisées par les salariés pour assurer les conditions d’un soutien au domicile et favoriser l’autonomie de la personne âgée.

3.1. Du côté du particulier employeur : se maintenir en santé

3.1.1. Assurer la durabilité de la relation d’emploi

Pour les employeuses rencontrées, la relation d’emploi comporte un aspect prospectif qui s’inscrit dans la projection de l’avancée en âge et l’anticipation des besoins futurs. Cette projection peut conduire l’employeuse à ajuster ses attentes pour assurer la durabilité de la relation, comme l’explique Clarisse (PE1).

Analyste : Comment définissez-vous votre rôle sur une très longue période comme vous me l’avez dit ?

Clarisse (PE1) : Honnêtement, je ne sais pas vous répondre. Mon rôle – parce que c’est aussi mon intérêt, c’est d’avoir quelqu’un qui aime bien venir travailler chez moi et qui m’est fidèle. Je vous dis que c’est un peu intéressé parce que c’est casse-pied de retrouver quelqu’un, de changer de contrat, de changer d’habitude, etc., donc j’essaie que ça se passe bien. Au début, je suis un peu plus à l’écoute et après, je laisse faire. (…) Je vais lui dire : « Faites un peu à fond. » Mais encore, c’est pareil, elle le fait à fond, mais elle ne range pas pareil. Si vous voulez, je retrouve les trucs qui étaient dans le deuxième tiroir dans le troisième. Ce n’est pas grave.

Analyste : Ce que vous voulez, j’ai l’impression, c’est avoir une relation sur le long terme, donc c’est peut-être aussi ça qui fait que vous dites que ce n’est pas grave parce que vous avez l’intention de garder la personne ?

Clarisse (PE1) : Oui et puis les besoins sont totalement différents. Quand j’étais jeune maman, c’était plus une attention auprès des enfants parce que je n’étais pas là et qu’il fallait une présence, etc. Maintenant, j’ai un appartement qui est nickel, ce n’est pas très grand.

Analyste : Et demain, quels seront vos besoins si vous continuez avec ces personnes ?

Clarisse (PE1) : Demain, ça sera peut-être de m’aider un peu plus à certaines choses que je ne pourrai plus faire, peut-être aller faire des courses, ce ne sera pas facile, car elle ne parle pas français, mais peut-être que d’ici là, elle aura fait des progrès. Après, ça dépend totalement, vous voyez… Ou juste une présence par rapport à mes enfants qui seront contents de savoir qu’il y a quelqu’un qui passe et s’il y a un problème, ils pourront leur dire.

3.1.2. Prévenir les risques domestiques

La présence d’un salarié au domicile peut pousser à mieux identifier les risques domestiques qui sont partagés et assurer la sécurité du logement, comme le résume Emmanuelle (PE3).

Analyste : Est-ce que vous vous sentez suffisamment armée pour identifier les risques et proposer des actions ? Et comment pourrait-on vous aider ? Savez-vous où aller chercher de l’information ou avez-vous identifié des personnes ressources sur cette question ?

Emmanuelle (PE3) : Je ne vois pas trop parce que, dans la mesure où la personne qui vient chez vous, c’est quelqu’un qui vient vous aider dans quelque chose que vous faites tous les jours ou que vous êtes susceptible de faire tous les jours. Oui, il y a tous les trucs envers les personnes dites âgées, la sécurité de la maison en général puisqu’on vit dans cette maison. On utilise tous les objets qu’elle va utiliser, donc ce n’est pas lui faire prendre les risques que nous, on ne prendrait pas.

Les situations à risques spontanément citées par les employeuses mais aussi par la plupart des salariées rencontrées sont celles liées aux facteurs de risque domestique : chutes, glissades, coupures, travail en hauteur à l’aide d’un escabeau, risque électrique, contact avec des produits ménagers et chimiques, etc. Ces éléments sont autant de facteurs de risques potentiels partagés par l’employeur et par le salarié, et sont ainsi bien identifiés par les deux parties. Souvent les employeuses évoquent leur vigilance face à des situations considérées comme risquées, étant elles-mêmes directement exposées aux facteurs de risques domestiques dans le cadre de leur vie quotidienne.

Fabienne (PE2) : Un jour, elle [la salariée] me dit, parce que j’ai des placards qui sont très hauts : « Non, Madame, je vais le mettre là-haut. » Je lui dis : « C’est en haut, c’est haut. » Alors elle me dit : « Non, ça va aller, je vous le promets. » Alors je suis derrière elle, je la tiens par le pantalon et puis j’ai senti qu’à un moment, elle soufflait en haut de son échelle. Moi, cela me suffit, ça m’alerte. Je lui ai dit : « Tu descends tout de suite » (…). Elle m’a dit : « J’ai fini, Madame, j’ai fini, je vous jure; » Je lui ai dit : « Tu descends tout de suite et tu vois bien que je suis extrêmement fâchée; » On a convenu de quelque chose, même pour me faire plaisir, on ne change rien. J’ai eu très peur et je me suis dit : « Si elle tombe, c’était dans mon cagibi si elle se pète la tête contre le mur en face… » (…) Elle risquait de tomber et alors elle a poussé un soupir qui était : « Je ne vais pas y arriver. »

Analyste : Qui était nouveau pour vous en fait ?

Fabienne (PE2) : Oui parce que je ne la mets jamais en situation de péril, jamais. Moi, je fais toujours très attention.

Analyste : Qu’est-ce qui pourrait être une situation de péril dans votre domicile par exemple ?

Fabienne (PE2) : Justement qu’elle monte sur l’escabeau au dernier étage et qu’elle tombe ou qu’en voulant trop bien faire, en voulant aller vite, elle ne fasse pas comme il faut, qu’elle prenne un risque. Moi je dis toujours aux gens : « Je ne veux pas que vous alliez vite. Chez moi, on travaille doucement, on fait à fond, mais doucement. »

Plusieurs témoignages recueillis indiquent des mesures de prévention mises en œuvre entre l’employeur et le salarié qui passent par une répartition des tâches précises et un aménagement sécurisé des missions confiées. Par exemple, des tâches définies en amont et qui n’évoluent pas ont pour fonction d’éviter les situations considérées comme dangereuses, comme le précise Marianne (PE4).

Analyste : Vous m’avez parlé des équipements que vous avez réadaptés au fur et à mesure et dans l’immeuble aussi avec la régie. Globalement, quels risques particuliers vous voyez dans le travail de votre salariée ? Est-ce que vous avez identifié des risques ?

Marianne (PE4) : Ça peut être un risque de chute ; qu’elle glisse sur un sol mouillé par exemple. Cela peut arriver aussi, c’est l’accident assez classique. Après, elle peut avoir un problème avec les produits qu’elle utilise. Ce problème est en partie réglé chez moi parce qu’on utilise de l’huile de lin pour les sols, donc si on veut, ce n’est pas très agressif.

Analyste : C’était votre choix ?

Marianne (PE4) : Oui, c’est mon choix parce qu’elle peut utiliser d’autres produits, mais bon… Les risques peuvent être liés à ça aussi, des mélanges de produits par exemple. Ça pourrait arriver si elle le faisait. Des risques de coupures, elle n’en a pas vraiment l’occasion chez moi parce qu’elle ne fait pas de travaux comme par exemple nettoyage de la vaisselle ou du plan de travail et tout ça, elle ne le fait pas.

Analyste : Ces risques sont aussi des risques pour vous dans votre quotidien ?

Marianne (PE4) : Bien sûr, mais il y a des travaux qu’elle ne fait pas elle, donc il n’y a pas de risque pour elle (…).

Les situations considérées comme à risque, notamment les chutes de hauteur qui représentent le deuxième facteur d’accidentologie chez les salariés de l’aide et du soin à domicile, nécessitent une gestion particulière. Cette gestion peut prendre la forme d’une restriction du périmètre des tâches prescrites comme nous venons de le voir. Elle peut également être assurée par la présence physique de l’employeur lors de la réalisation de l’opération à risque, comme l’indique une autre employeuse (Catherine PE5).

Analyste : Tout à l’heure, vous me parliez d’une activité que vous aviez identifiée comme étant risquée ?

Catherine (PE5) : Oui, c’est surtout les activités en hauteur. D’abord, il faut porter l’escabeau, moi j’ai des escabeaux légers et puis les activités en hauteur, le dessus des rideaux, raccrocher les rideaux quand on les lave, je veux qu’on soit toutes les deux.

Dans les discours, on constate que les risques sont le plus souvent associés à la sécurité de la salariée et de l’employeuse. La crainte de l’arrêt de travail suite à un accident est exprimée par chacune des parties. Les entretiens menés auprès des salariées et employeuses l’indiquent clairement. Pour les salariées, la chute est synonyme d’immobilisation et donc de défaillance face à ses responsabilités dans la mission d’accompagnement. Pour les employeuses, la chute de leur salariée et ses conséquences renvoient à une charge administrative et organisationnelle supplémentaire pour faire face à l’absence temporaire de leur salariée et organiser un éventuel remplacement. Lorsque c’est l’employeuse âgée qui est victime de la chute, ses conséquences peuvent être synonymes d’hospitalisation, de perte d’autonomie et de dépendance même temporaire.

Ainsi, la relation d’emploi et de travail entre salariés et employeurs participe à construire des formes de prévention des risques domestiques dans la perspective de maintenir l’employeur et son salarié en santé.

3.1.3. Rechercher des conseils pour maintenir son autonomie

L’aide apportée par le salarié ne se limite pas aux frontières de la tâche prescrite et formalisée. Elle s’inscrit bien au-delà dans l’apport de conseils pour vivre mieux à son domicile. Ils sont véritablement recherchés par l’employeur auprès de son salarié dans la perspective de se maintenir en santé.

Ces conseils peuvent porter sur l’organisation du travail domestique, comme le mentionne Fabienne (PE2).

Fabienne (PE2) : Ce sont des métiers où elles font ce qu’on leur demande. Elles n’ont pas beaucoup d’autonomie et elles ne savent même pas si elles peuvent en avoir, si elles peuvent proposer quelque chose. Je ne sais pas si elles osent.

Analyste : Chez vous, elles osent ?

Fabienne (PE2) : Oui et puis moi, je lui dis tout le temps : « Je vais te demander un conseil. » On fait l’inverse et je sais qu’elle a souvent raison et je lui dis : « Tu vois, c’est la différence entre une vieille et une jeune, c’est toi qui as raison. Oui, oui je t’ai dit ça, mais c’est complètement idiot, on ne peut pas faire ça. » Souvent, elle me propose un aménagement sur quelque chose.

Ils peuvent également porter sur l’aide à l’utilisation des outils numériques.

Fabienne (PE2) : Je l’appelle mon assistante de vie. D’ailleurs, je lui dis : « Tu n’es pas femme de ménage, tu es mon assistante de vie. » Quand elle arrive, des fois je lui dis : « Je t’attendais, j’ai beugué sur mon ordinateur. » Ou alors, on fait des achats ensemble. J’ai 86 ans. Je m’étais mise, il y a quelques temps de ça, à faire des achats sur Internet. Je le faisais avec [la salariée], cela l’a fait rigoler, ou elle me montre ses photos, enfin voilà.

3.2. Du côté du salarié : favoriser l’autonomie du particulier employeur âgé

Les salariés mettent en place de multiples stratégies pour assurer le confort, le bien-être et l’autonomie des personnes âgées auprès desquelles ils travaillent. Dans les entretiens semi-directifs que nous avons menés, nous avons pu identifier quatre formes de stratégies qui contribuent à la prévention de la perte d’autonomie des particuliers employeurs. Elles visent à prévenir les risques de chute, sensibiliser les particuliers employeurs aux conséquences du vieillissement, favoriser l’autonomie, et participer au bien-être au domicile.

3.2.1. Des stratégies pour prévenir les risques de chute

Dans leur travail au quotidien, les salariées rencontrées opèrent une veille active pour repérer des informations – signes ou symptômes correspondant à un problème de santé pour la personne âgée – et pour assurer la sécurité de cette dernière.

Mais assurer la sécurité ne se limite pas à cette veille active. Elle passe également par un ensemble d’actions mises en place par les salariés dans un but immédiat de sécurité pour la personne âgée. Consciente des risques de chute et de leurs conséquences pour les personnes âgées – parmi les premiers facteurs de dépendance –, Lise (SPE5) décrit certaines de ses stratégies lorsqu’elle effectue l’entretien du domicile de l’une de ses employeuses octogénaires.

Lise (SPE5) : Une fois que j’ai fini le côté canapé, je repousse les fauteuils et je la mets sur son relax et elle ne bouge plus surtout quand c’est mouillé, surtout qu’elle ne lève pas les pieds, vous savez, elle traîne les pieds. (…) Si elle glisse, je serais mal.

3.2.2. Des stratégies pour sensibiliser les employeurs âgés

D’autres actions conduites par les salariées visent à sensibiliser leurs employeurs aux conséquences potentielles du vieillissement et à la nécessité d’anticiper ces conséquences, notamment en réalisant des aménagements de leur domicile. Ces stratégies de conseil et de sensibilisation sont déployées lors des temps d’échanges avec les employeurs, qui peuvent se tenir avant, pendant ou après le temps de travail rémunéré. Certaines salariées, comme Gwenaëlle (SPE3), mobilisent leur expérience familiale personnelle pour amener le sujet du vieillissement et de la perte d’autonomie, un sujet parfois considéré comme sensible.

Analyste : Vous arrivez à aborder le sujet avec eux sur certaines dispositions à prendre, sur des investissements, même mineurs, mais qui pourraient leur faciliter la vie ?

Gwenaëlle (SPE3) : On en parle de temps en temps parce que j’évoque mes parents, des fois ils me servent bien pour aborder le sujet, en leur disant : « Oui, mes parents envisagent de mettre un petit truc pour monter. Ils ont refait faire la douche. » Mais, en fait, ils n’y arrivent pas, ils s’accrochent. Ils s’accrochent à leur mode de fonctionnement. Jusqu’au bout ils vont tenir.

3.2.3. Des stratégies pour favoriser l’autonomie

Certaines stratégies sont construites de manière à permettre à des personnes en situation de dépendance de retrouver de l’autonomie et notamment hors du temps de présence des aidants professionnels, lorsque la personne se retrouve seule à son domicile. Ces stratégies s’appuient sur la connaissance et l’anticipation des besoins de la personne dépendante et passent par l’aménagement et l’agencement de l’espace par exemple, comme en témoigne Christelle (SPE1).

Christelle (SPE1) : J’interviens chez cette personne âgée pour faire le repas le midi, le dimanche des fois. Cette personne est aveugle. Donc, on a fait tout un système pour l’aider. Donc, elle reste dans sa maison, elle connaît très bien ses lieux, elle se déplace quand même avec une canne blanche, avec beaucoup de barres sur les murs de façon à ce qu’elle se déplace sans se blesser. J’ai trouvé le système au niveau du micro-ondes. On met du bulgomme50Le bulgomme est un matériau caoutchouté fréquemment utilisé pour les revêtements de sol ou les protections d’objets du quotidien (exemple : sous-nappe en bulgomme). Son positionnement sur le minuteur permet de matérialiser le temps de chauffe idéal., on a collé sur le micro-ondes de façon à ce qu’elle sache qu’on met [le minuteur] jusqu’à cette boule pour réchauffer son plat. Quand on n’est pas là, quand vraiment elle n’a personne, parfois ça peut arriver. Elle a besoin d’un café et on n’est pas là dans l’après-midi parce qu’on n’intervient que jusqu’à 15 heures, après elle est toute seule et après il y a quelqu’un qui vient le soir. Mais, de 15 heures à 19 heures, il n’y a personne. Si elle a envie de quelque chose de chauffé, un thé, on prépare tout, on met tout dans le micro-ondes, de l’eau avec le sachet de thé, on met le sucre. Et puis on programme le micro-ondes et je laisse la porte du micro-ondes ouverte. Elle a juste à fermer la porte et le micro-ondes se met en route tout seul. On a fait en sorte qu’elle ne se brûle pas aussi, c’est tiède, ce n’est pas bouillant. Cette personne arrive à prendre sa tasse et à boire sa tasse de thé à ces heures quand on n’est pas là. (…) Donc, on la rend autonome aussi. Elle est contente.

3.2.4. Des stratégies pour favoriser le bien-être

Enfin, nous avons pu relever des stratégies dont l’objectif est d’apporter un soutien au domicile d’une personne âgée dépendante et favoriser son bien-être en apportant un confort supplémentaire. Ces stratégies peuvent passer par les réseaux personnels de la salariée, comme l’indique Gwenaëlle (SPE3).

Gwenaëlle SPE3 : Mon ami travaille dans une lingerie, donc c’est vrai qu’au niveau des draps, j’ai pu avoir des draps, des housses de couette, parce que [pour l’employeuse] « non, il ne faut pas acheter », « je ne vais pas avoir de sous », enfin bon, ce style de choses. Elle ne voulait pas dépenser de sous pour ce style de choses (…).

Ces quelques exemples donnent à voir le rôle tenu par le salarié pour assurer un soutien à l’autonomie de la personne âgée aidée. La relation humaine et la confiance partagée permettent à la fois de connaître les besoins et les attentes et de pouvoir les anticiper, de proposer des aménagements et sensibiliser les particuliers employeurs âgés pour assurer leur autonomie. Pour ce faire, le travail du salarié dépasse nécessairement le cadre prescrit et le temps rémunéré. Il implique une compréhension fine des situations personnelles vécues par chacune des personnes aidées et engage des ajustements nécessaires pour assurer l’efficience du dispositif d’accompagnement tout en maintenant une juste distance. En ce sens, le travail d’accompagnement favorise la prévention de la perte d’autonomie pour l’employeur âgé et permet de développer la santé de la personne aidée.

4. Le travail, facteur de santé pour le salarié ?

Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser au sujet du travail, c’est-à-dire au salarié lui-même, en posant la question de la soutenabilité du travail. Nous analyserons ici les formes d’usure professionnelle rencontrées et les ressources mobilisées pour y faire face.

4.1. Des situations d’emploi contrastées

Les conditions d’emploi des salariées rencontrées ou décrites par les employeurs tendent à indiquer des différences importantes en matière de temps de travail hebdomadaire.

Toutes les salariées rencontrées pour cette étude cumulent plusieurs contrats à temps partiel chez des particuliers employeurs différents. Certaines collaborent également avec des structures mandataires ou travaillent dans d’autres secteurs, par exemple en effectuant des prestations de type ménage industriel. D’autres ont également eu des expériences d’emplois au sein de structures prestataires.

Le travail multi-employeur fait partie intégrante du secteur. En effet, les salariés sont le plus souvent recrutés à temps partiel : 76 % des salariés du particulier employeur (hors assistantes maternelles) travaillent chez des particuliers employeurs pour moins de 50 % d’un temps plein51Observatoire des emplois de la famille. Rapport de la branche salariés du particulier employeur. Édition 2018. FEPEM.. Les salariés multiplient les employeurs, les types de mission, et par conséquent, les lieux de travail52Haddad, P. (2008). Mutations des services à la personne et enjeux qualitatifs. In, F. Dumalin & N. Rahou (coord.), Services à la personne : évolutions, organisation et conditions de travail (pp. 15-26). Lyon : ANACT. : près de la moitié des salariés travaillent auprès d’au moins deux particuliers employeurs53Observatoire des emplois de la famille. Rapport de la branche salariés du particulier employeur. Édition 2018. op. cit.. Les travailleurs doivent donc également organiser la gestion de leurs différents emplois. En outre, pour une partie des salariés, l’activité au domicile des particuliers employeurs est une source secondaire de revenu, leur activité principale étant exercée dans un autre secteur d’activité.

Christelle (SPE1) évoque un temps de travail qui peut sembler excessif, atteignant régulièrement près de 90 heures par semaine, avec des week-ends complets de présence au domicile d’une personne âgée dépendante. Elle cumule des employeurs différents, en emploi direct, en mandataire ou en remplaçant un proche aidant de son parent dépendant.

Analyste : Pourquoi avez-vous des volumes d’heures aussi importants ?

Christelle (SPE1) : Déjà pour une personne, j’ai 48 heures et après les autres… Comme je suis mandataire avec la société, elle m’appelle pour une urgence. Donc, j’ai eu deux urgences cette semaine et la semaine dernière. Donc ça m’a fait des 30 heures d’affilée, plus mes 48 heures, plus mes personnes que j’avais (…). Comme ils sont coincés la plupart du temps, j’accepte. Car je suis quelqu’un de bon cœur et puis je ne veux pas laisser mes papys et mes mamies dans le besoin (…).

Autre exemple, la salariée de Marianne (PE4) ne peut travailler au domicile de cette employeuse seulement 1 heure 30 par semaine, alors que Marianne aurait souhaité qu’elle effectue 2 heures ou 2 heures 30 de manière hebdomadaire. Sa salariée travaille pour différents particuliers employeurs et effectue également des heures de travail pour l’entretien de l’immeuble dans lequel vit Marianne, en étant en contrat avec le syndic de la copropriété.

Ces deux exemples de cumuls d’emplois dans des domaines différents ne sont pas isolés. D’après les données de la DARES54DARES Analyses, février 2015, n° 010., en 2013, 11 % des salariés de la branche du particulier employeur travaillent également auprès d’une structure prestataire du secteur des services à la personne et 32 % occupent également un poste en dehors du secteur55Observatoire des emplois de la famille. Rapport de la branche salariés du particulier employeur. Édition 2018. op. cit..

Dans d’autres situations, c’est au contraire le sous-emploi qui est mis en avant par les salariées concernées. Jeanne (SPE2) par exemple souhaiterait voir augmenter le nombre d’heures que lui propose la structure mandataire avec qui elle collabore, pour atteindre un temps plein. Gwenaëlle (SPE3) a connu une réduction de moitié de son temps de travail (passant de 30 à 14 heures par semaine) suite au décès de l’une de ses employeuses quelques mois avant notre rencontre. Son salaire est depuis complété par une indemnisation de Pôle emploi. Elle connaît une perte de revenus modérée qui lui permet de se donner le temps nécessaire pour reconstruire une nouvelle relation d’emploi. Lise (SPE5) est également indemnisée par Pôle emploi en complément des 13 heures de travail hebdomadaire qu’elle effectue chez les particuliers employeurs. Elle est en recherche d’heures complémentaires. Dans ces configurations, le temps partiel n’est pas un choix de la salariée, il est subi et s’accompagne d’une certaine précarité économique. Celle-ci peut être compensée par une indemnisation de l’Assurance chômage si le temps partiel est consécutif à la perte d’un ou plusieurs emplois, comme c’est le cas pour Gwenaëlle (SPE3) ou Lise (SPE5). Elle peut également être compensée par des prestations sociales. Une étude de la DREES publiée en février 201756Rémila, N. (2017). Les principaux métiers des salariés bénéficiaires de minima sociaux. Études & résultats. DREES, 0994. montre que les salariés du particulier employeur sont très représentés parmi les salariés bénéficiaires de minima sociaux.

4.2. Des contours du travail instables

De nombreux travaux ont montré que les interactions perduraient hors du temps de travail57Caradec, 1995, op. cit., et nous l’avons vu, les relations interpersonnelles peuvent se poursuivre au-delà de la fin de la relation d’emploi. Le temps de travail rémunéré peut être dépassé pour répondre aux contraintes et aux besoins de la situation.

Analyste : Là, actuellement, vous avez combien d’heures par semaine ?

Gwenaëlle (SPE3) : J’ai 14 heures. 14-15, ça dépend.

Analyste : Est-ce qu’il peut y avoir des petits ajustements ?

Gwenaëlle (SPE3) : Voilà, des petits ajustements, s’il y a vraiment un gros ménage à faire (…). Un besoin particulier. Ce n’est pas bien grave que je finisse une demi-heure, une heure plus tard. On n’a plus d’enfant à domicile, enfin, à charge, donc on profite.

Certaines tâches peuvent aussi être réalisées hors du temps de travail rémunéré, parfois pour se conformer au cadre réglementaire qui structure la relation d’emploi.

Lise (SPE5) : Ma petite mamie, une fois, m’a demandé de l’emmener faire des courses. Donc je l’ai fait et par la suite, je lui ai dit que ce n’est pas que je ne voulais plus, mais qu’elle avait un mari et qu’il fallait qu’il le fasse parce qu’en fait, je ne suis pas assurée pour ça. C’est en ayant fait la formation « droits et devoirs » que j’ai su cela (…). Là, j’ai bien dit à ma petite mamie que ce n’était pas que je ne voulais pas lui rendre ce service, mais… ou alors que ce soit en dehors du travail. Quand c’est pour le travail je suis là pour le travail, mais si un jour dans la semaine, en tant que copine, elle m’appelle : « Emmène-moi faire des courses », à ce moment-là, je l’emmènerai, mais sinon… je lui ai bien expliqué, car moi je suis très à cheval sur les règles et ne le sachant pas, sur le coup je me suis dit : « Mince ! »

Le périmètre du travail semble donc complexe à définir précisément : à quel moment s’arrête la relation d’emploi pour laisser place à une relation affective presque amicale ? Ce lien d’affection entre les parties ici mis en avant semble contribuer à flouter le périmètre du travail et particulièrement le périmètre temporel. Comment prescrire un aspect aussi subjectif que la dimension relationnelle ? Comment formaliser un cadre suffisamment souple pour laisser se déployer la nécessaire dimension relationnelle sans dériver vers des formes de travail dissimulé ?

4.3. Des facteurs d’usure professionnelle

De nombreux témoignages recueillis lors des entretiens tendent à indiquer des formes d’usure professionnelle pour les salariées rencontrées. L’usure professionnelle est un processus d’altération de la santé liée au travail dont les conséquences ne sont pas forcément immédiatement visibles ou perceptibles. Elle est la conséquence des conditions dans lesquelles le travail s’exerce (exposition aux facteurs de risques divers, dimensions organisationnelles telles que le rythme, les cadences, la pression temporelle et psychologique, etc.). Elle est également un symptôme de cumul des pénibilités et le signe de conditions de travail qui ne sont pas soutenables.

L’usure ressentie, particulièrement lors des dernières années de la vie professionnelle, contribue à déterminer le fait de rester dans le même emploi jusqu’à l’âge de la retraite ou au contraire de souhaiter et/ou de quitter son emploi plus ou moins tôt58Pommier, J.-L., Bardouillet, M.-C., Gilles, M., & Molinié, A.-F. (2006). Ce salarié devrait cesser de travailler : une approche de l’usure professionnelle des 50 ans et plus. Retraite et société, 49(3), 39-59.. En effet, les problèmes de santé rencontrés au cours de la carrière professionnelle peuvent conduire à devoir quitter son emploi, alors que la personne aurait souhaité poursuivre son activité professionnelle, pour des raisons financières ou pour des questions de rapport plus subjectif au travail, comme l’explique Marianne (PE4) au sujet de sa salariée dont le départ en retraite est prévu pour l’année suivante.

Analyste : Du coup, le fait qu’elle parte à la retraite l’année prochaine, est-ce que vous avez commencé à en discuter avec elle ? Est-ce que ce sont des choses qui ont été anticipées de votre côté et du sien ?

Marianne (PE4) : Oui je sais, on en parle. Ce sera vraisemblablement à sa date d’anniversaire, donc ce sera au mois d’août l’année prochaine, pas cette année, dans un an. Je sais qu’elle est très ennuyée de prendre sa retraite, mais qu’il faut qu’elle la prenne parce qu’elle est fatiguée.

Analyste : Mais elle aurait eu envie de continuer ?

Marianne (PE4) : Oui, parce qu’elle ne peut pas vivre sans travailler. Elle a été malade pendant quelque temps, elle a eu des problèmes de genou enfin, elle a été opérée d’un genou et après de la main.

Analyste : C’était lié au travail qu’elle faisait ?

Marianne (PE4) : La main, vraisemblablement, c’était le canal carpien. Le genou, peut-être bien aussi, je n’en sais rien, je ne suis pas médecin, mais je pense que oui. Il faudrait éventuellement qu’elle travaille un peu moins, mais elle ne sait pas faire. Ce n’est pas à moi de juger ça.

Trois facteurs de pénibilité du travail et d’usure professionnelle ont pu être identifiés : la gestion du temps et des déplacements, les sollicitations physiques et cognitives et les conséquences psychosociales du travail.

4.3.1. Gestion des contraintes temporelles et déplacements

Le premier facteur de pénibilité au travail et d’usure professionnelle est relatif à la gestion des temps dans une activité professionnelle composée de multiples lieux de travail. Plus précisément, il s’agit de gérer les nombreux déplacements entre ces différents lieux compte tenu de la distance kilométrique qui sépare le domicile du salarié et ses différents lieux de travail, et les lieux de travail entre eux. En effet, la multiplicité des lieux de travail implique des déplacements réguliers entre ces différents endroits. Ce qui pose la question de la prévention du risque routier dans ces métiers, un risque professionnel déjà bien identifié par les employeuses et les salariées rencontrées.

La gestion du temps est un enjeu double : à la fois pour l’organisation du travail, pour ne pas « courir » entre deux emplois, deux lieux de travail et pour l’organisation de la vie personnelle de la salariée, dans une tentative de conciliation entre vie professionnelle et vie privée.

De surcroît, ces distances parfois importantes qui séparent les multiples lieux de travail et le domicile de la salariée entraînent des sensations de fatigue, liées au cumul des temps de trajet, des temps de travail et des tâches physiques à réaliser, comme l’explique Lise (SPE5).

Lise (SPE5) : Qu’est-ce qui me plaît le moins ? C’est peut-être de courir des kilomètres parce que quand je vais chez l’un, chez l’autre, cette distance, il est rare que je quitte un employeur pour aller chez un autre de suite derrière. En général, j’ai toujours une coupure et je rentre chez moi. C’est vrai que tous ces kilomètres, l’idéal serait un bâtiment où il y a plusieurs propriétaires et je ne fais que ça…, voilà c’est la voiture, c’est les kilomètres (…). Vous voyez le jeudi, j’ai deux personnes et au total je fais 50 kilomètres, donc le jeudi est la journée la plus chargée (…). [Je travaille] six heures, minimum en partant le matin, en rentrant chez moi et en recommençant le trajet l’après-midi. C’est vrai que là, six heures de ménage dans la journée, ça commence à faire. Quand je rentre, je n’ai plus envie de rien faire. Je me pose sur le canapé et terminé, il ne faut plus rien me demander.

Les déplacements ordinaires sont souvent associés à des émotions négatives, ce qui leur confère un caractère pénible59Enaux, C., Lannoy, P., & Lord, S. (2011). Les mobilités éprouvantes. Regards sur les pénibilités des déplacements ordinaires. Articulo – Journal of Urban Research, 7, 1-9.. lls sont en effet placés sous le signe de la gestion du temps, et souvent synonymes de pression, tension, respect des exigences, etc. et sont ainsi des dimensions de la pénibilité60Devetter, F.-X., Messaoudi, D., & Favarque, N. (2012). Contraintes de temps et pénibilité du travail : les paradoxes de la professionnalisation dans l’aide à domicile. Revue française des affaires sociales, 2, 244-268..

4.3.2. Sollicitations physiques et cognitives

À ces temps de trajet, parfois vécus comme difficiles, se surajoutent les conditions dans lesquelles se réalise le travail, une activité sollicitante aussi bien sur le plan physique que psychologique.

Ces sollicitations sont liées aux besoins des personnes accompagnées et à leur éventuelle pathologie, comme le souligne Christelle (SPE1) qui s’occupe pendant 48 heures consécutives d’une personne atteinte d’une maladie neurodégénérative.

Analyste : À la fin de la journée ou à la fin d’une mission que vous avez faite d’un
week-end chez quelqu’un, comment vous vous sentez (…) ?

Christelle (SPE1) : Ça dépend des jours. Il y a des jours où on est fatigué, on n’en peut plus, on a hâte de rentrer, je suis désolée, mais c’est la vérité. Une fois qu’on a passé 48 heures, on a fait deux nuits un peu agitées, on n’a pas dormi, ça fait lourd quand même. Donc je rentre, je suis épuisée.

La fatigue est également mentionnée par Sonia (SPE4) qui travaille de nuit auprès d’une personne âgée dépendante.

Sonia (SPE4) : C’est difficile quand c’est agité, avec les psychoses, les personnes en fin de vie deviennent un peu séniles, ce n’est pas facile. Il faut tenir le coup parce que quand on fait x nuits agitées… On fait x nuits calmes en temps normal. Ce n’est pas la même fatigue. Par exemple, des aides-soignantes ou des infirmières à l’hôpital, elles ne vont pas faire x nuits. C’est un quota. Donc alors déjà je me suis sentie… pas écoutée et… un petit peu… légèrement… alors attention un petit peu en danger, parce que quand vous ne dormez pas et que vous avez x nuits à faire, et que vous ne vous sentez pas écoutée… Je pense que les nuits devraient être valorisées, parce qu’on est absent de chez soi et on ne dort pas, même si en nuit calme on peut dormir, on est là aussi pour être à l’écoute.

Les sollicitations physiques et cognitives sont aussi liées aux tâches à accomplir, notamment les tâches d’entretien du domicile, et peuvent engendrer des atteintes à la santé, par exemple des troubles musculo-squelettiques liés aux gestes répétitifs, aux contraintes posturales ou aux manutentions manuelles (port et déplacement de charge, etc.), comme le mentionne Gwenaëlle (SPE3) qui, outre la sensation de fatigue, souffre de douleurs au niveau des coudes et des épaules.

Analyste : À la fin d’une journée de travail, vous vous sentez comment ?

Gwenaëlle (SPE3) : Fatiguée. Souvent, ça, c’est sûr il faudrait que j’aille voir le médecin, mais après ce sont les coudes, les épaules qui morflent (…). J’avais une amie qui faisait la même chose que moi, mais qui a arrêté. Elle, c’était au niveau du dos. Moi je n’ai pas ce souci-là… C’est vrai que quand je faisais mes 30 heures par semaine, j’avoue que…, j’avais moins bonne mine que ce que j’ai actuellement, voilà (…). Plus de fatigue accumulée, les traits de plus en plus tirés, je me disais : « Mais mon Dieu, ce n’est pas possible, les cernes sous les yeux ! » Là, ça va, enfin je ne suis pas forcément en très grande forme, mais pas de souci particulier.

Analyste : Les douleurs que vous ressentez au niveau du coude ou des épaules, elles sont handicapantes dans votre travail au quotidien ou dans votre vie personnelle ?

Gwenaëlle (SPE3) : Oui, enfin surtout celui-ci, mais il faudrait que j’aille voir le médecin parce que je pense que j’ai une tendinite, il faut que je me soigne. Enfin, je mets de la pommade anti-inflammatoire (…). C’est récurrent.

Les tâches liées à la manipulation d’une personne dépendante nécessitent aussi de fortes sollicitations physiques associées à un port de charge important, comme en témoigne Sonia (SPE).

Sonia (SPE4) : Et puis, oui alors ce qui est lié à mon travail, c’est une personne, elle est très tendue, elle est très lourde, c’est de la tension (…). Elle est tendue et elle ne veut pas qu’on la manipule. C’est un poids mort, vraiment… C’est vraiment un poids. Elle fait de la tension, elle lutte quand on veut la… Et c’est vrai que j’ai un souci… C’est marrant parce qu’on est deux ou trois, on a tous un souci du côté droit, parce que c’est plus du côté droit où on la manipule. [Elles sont droitières].

Toutefois, la dimension relationnelle peut être vue comme un facteur de « réconfort » dans le travail, comme l’indique Gwenaëlle (SPE3).

Analyste : Tout à l’heure, vous me parliez de feeling, de relations…

Gwenaëlle (SPE3) : C’est essentiel. Je veux dire on y va toutes les semaines, donc si on ne se sent pas forcément bien, c’est sûr, ça peut se faire si on a besoin d’argent ou ce type de choses, il n’y a pas de souci, ça se fait, parce que je l’ai fait. Mais quitte à choisir, autant aller chez des gens chez qui on est content d’arriver. Parce que si c’est pour aller au boulot… déjà faire du ménage, ce n’est pas forcément très drôle en soi, si en plus les gens sont rébarbatifs…

Dans cet extrait, la salariée met en avant la relation humaine comme l’un des aspects les plus appréciables dans son travail, comparativement à la nature de la tâche elle-même qui apparaît dans son discours comme peu attractive.

4.3.3. Conséquences psychosociales du travail

Les sollicitations physiques apparaissent évidentes dans ces situations et ont largement alimenté les outils de sensibilisation des risques professionnels diffusés dans la branche professionnelle des salariés du particulier employeur. Le cumul des dimensions physiques et cognitives de ces sollicitations reste cependant à approfondir. En revanche, les dimensions psychosociales restent encore peu traitées du point de vue de la prévention des risques professionnels, alors qu’elles apparaissent de manière très marquée dans les situations décrites par les salariées.

Ces conséquences psychosociales peuvent apparaître sous forme de stress suite à un désaccord ou un conflit avec l’employeur par exemple, et participent à modifier la façon de travailler.

Les situations de stress, voire d’épuisement professionnel61Voir Pezet-Langevin, V. (2014). Burnout : mieux connaître l’épuisement professionnel. Hygiène et sécurité du travail, 237, 6-9. Voir aussi Messaoudi, D., Farvaque, N., & Lefebvre, M. (2012). Les conditions de travail des aides à domicile : pénibilité ressentie et risque d’épuisement professionnel. In, R. Marquier et S. Nahon, Les conditions de travail des aides à domicile en 2008. Dossiers solidarité et santé de la DREES n° 30 (pp. 5-28). Paris : DREES., peuvent aussi apparaître à la suite du décès d’un employeur accompagné dans sa fin de vie, comme en témoignent Gwenaëlle (SPE3) et Christelle (SPE1).

Gwenaëlle (SPE3) : [Après le décès] Je me suis posée, parce que j’en avais besoin, parce que le décès, mine de rien, enfin ça touche. Je ne pensais pas forcément autant. Voilà et j’ai été très fatiguée en fait après.

Christelle (SPE1) : Parfois, on aurait besoin d’un truc psychologique, je pense, pour aider à tout évacuer ce qu’on a pendant des années. J’ai vécu des morts, des décès, ça fait mal, il ne faut pas croire, on s’attache. Et puis des fois c’est vrai qu’on a envie de parler et comme on est lié au secret professionnel, on ne dit rien, on garde tout pour nous, tout reste dedans. Ce serait bien de temps en temps d’avoir un psy et d’évacuer.

Ces difficultés sont mentionnées aussi par Sonia (SPE4) qui, au cours de son entretien, évoque la question du positionnement difficile à tenir face à une personne en fin de vie entre l’accompagnement pour un meilleur confort, la gestion des émotions de l’entourage et la gestion de ses propres émotions62Voir sur ce thème Ribert-Van De Weerdt, C., & Baratta, R. (2016). L’analyse de l’activité et des émotions : regard sur une méthode en évolution à partir d’une étude de cas. Le travail humain, 79(1), 31-52 : Van de Weerdt, C. (2016). Les émotions au travail des intervenants à domicile. Hygiène et sécurité du travail, 243, 42-46..

Analyste : Comment vous sentez-vous après une journée de travail et à la fin de semaine ?

Sonia (SPE4) : Je suis fatiguée physiquement, si par exemple, j’ai une semaine où j’ai trois nuits et trois journées de 6 heures 30. Alors, oui, celle-là, je me sens fatiguée et je suis moralement fatiguée. Je pense que j’accepte quelque part de voir une personne qui est en phase finale, en fin de vie, [une phase] qui dure quand même. C’est notre boulot, c’est notre travail, donc si on l’hydrate, si on fait tout pour qu’elle soit bien, elle va bien sûr « durer » plus longtemps, Ce n’est pas « durer », c’est un peu barbare… Et c’est très difficile à vivre. Moi, je lui ai dit, « Voilà tu peux partir maintenant ». (…) C’est un duel dans la tête, inconscient, c’est notre travail, il faut qu’elle soit bien, mais en même temps c’est une personne qu’on aimerait voir partir. C’est contradictoire. (…) Et ça, mentalement…, des fois, je n’ai pas le moral. Et puis, je vois sa fille qui a un problème de santé et qui doit quand même… c’est un poids aussi même s’il y a des moyens matériels et qu’il y a une équipe. Mais il y a plein de choses à penser. Et de voir sa mère comme ça, je sais, il y a des moments, c’est difficile pour elle. Donc des fois, elle vient discuter quand elle n’a pas le moral. (…) Moralement ça m’affecte quand même.

D’autres situations qui affectent les salariées ont été relevées. Il s’agit de situations de violences (verbales, morales ou physiques) dont les salariées peuvent être victimes63Abecassis et al., 2005. notamment face à des employeurs atteints de maladies neurodégénératives, ou de violences envers d’autres personnes présentes au domicile (conjoint, entourage familial, etc.) dont les salariées ont été témoins. L’isolement et la solitude parfois ressentis par les salariées64Voir Marc, J., Grosjean, V., & Marsella, M.C. (2011). Dynamique cognitive et risques psychosociaux : isolement et sentiment d’isolement au travail. Le travail humain, 74(2), 107-130 ; Ladreyt, S., Lhuilier, D., Marc, J., & Favaro, M. (2014). Rapport subjectif à l’isolement au travail : régulation, résistance, dégagement. Note scientifique et technique, 325. Vandœuvre : INRS. semblent d’autant plus forts lorsque surviennent ces situations à fortes tensions émotionnelles ou psychosociales.

Ainsi, Gwenaëlle (SPE3), qui accompagne une personne âgée dépendante, aurait souhaité pouvoir s’appuyer sur un collectif professionnel pour échanger sur les situations vécues, partager les difficultés comme les stratégies de préservation mises en place et construire de nouvelles ressources. Or la situation dans laquelle elle se trouvait ne permettait pas d’intégrer un collectif de pairs en l’absence de réseaux professionnels construits. Elle raconte avoir tenté de le faire en recherchant des lieux d’échanges tels que les Relais assistants de vie qui, au moment de l’entretien, n’étaient pas encore proposés dans son département. Cette situation l’a conduite à s’interroger sur son avenir professionnel et à engager une réflexion sur une évolution de son parcours professionnel vers une structure d’aide à domicile dans la perspective de trouver un collectif sur lequel s’appuyer.

4.4. Se projeter dans son avenir professionnel

Les salariées rencontrées ont souvent admis connaître des difficultés pour se projeter dans leur emploi compte tenu des contraintes du métier et du manque de reconnaissance des missions qui sont exécutées65Avril, C. (2006). Le travail des aides à domicile pour personnes âgées : contraintes et savoir-faire. Le Mouvement social, 216(3), 87-99.. Par conséquent, la recherche d’une évolution professionnelle est souvent évoquée par les salariées rencontrées.

De surcroît, le travail exercé par ces salariées peut difficilement se conformer au cadre temporel du temps de travail rémunéré. Il dépasse ce cadre et déborde dans tous les autres temps sociaux. Travailler auprès d’une personne âgée et dépendante peut avoir des conséquences sur la vie privée par exemple. Outre la fatigue qui peut s’accumuler, les habitudes familiales peuvent s’en trouver modifiées, comme le souligne Gwenaëlle (SPE3).

Analyste : Et dans ce cas-là, comment est-ce qu’on gère ce changement de missions [vers un accompagnement dans la dépendance] ?

Gwenaëlle (SPE3) : Comment on gère ? On court beaucoup, on court énormément. Avec le recul, je me demande « Mais comment tu as pu tenir pendant deux ans à ce rythme-là ? » Le conjoint a râlé énormément. Il a pris en charge pas mal de choses au niveau de la maison. Voilà, il s’y est fait, après c’est vrai que c’est devenu une habitude. Bon, quelques petites remarques, mais après… c’est vrai que pendant six mois, ça a été un petit peu laborieux.

Cette continuité du travail dans la sphère privée peut être source de conflits familiaux, et pose ainsi la question d’une éventuelle articulation entre ces deux sphères. Quatre salariées sur les cinq rencontrées ont spontanément mentionné qu’elles pouvaient se permettre d’exercer ce travail au périmètre instable sans rencontrer trop de difficultés du fait qu’elles n’ont plus d’enfants à charge.

À l’inverse, la vie privée peut s’avérer être une ressource pour « tenir » au travail, comme le rapporte Gwenaëlle (SPE3) lors de notre entrevue.

Analyste : Est-ce qu’il y a des choses qui vous semblent plus désagréables ? Moins faciles ? [dans votre travail]

Gwenaëlle (SPE3) : C’est sûr que le ménage en soi, ce n’est pas forcément…, au bout d’un moment, des fois, un petit peu marre, mais ça passe. Non, des fois, il y en a marre, je me dis que je ne vais pas faire ça toute ma vie quand même. [Cela passe] en prenant l’air, en partant, en profitant de la vie différemment, après quand on revient, on a la tête qui est vide, enfin qui est remplie d’autres choses… et après ça baigne. Voilà. C’est juste trouver la compensation personnelle, qu’il y ait un équilibre entre se faire plaisir et faire des choses pour soi ou ce type de choses… et faire du ménage. Il y a quand même la relation avec l’autre qui est importante, mais ça reste quand même à la base, du ménage.

4.5. Marges de manœuvre dans le travail

Pour tenir les objectifs et réaliser un travail de qualité, notion dont on comprend aisément l’importance dans une activité d’aide et d’accompagnement d’une personne âgée en situation de dépendance ou non, les salariés doivent proposer des ajustements de leur activité de travail, en régulant66Teiger, C. (1977). Les modalités de régulation de l’activité comme instrument d’analyse de la charge de travail dans les tâches perceptivo-motrices. Le Travail humain, 40(2), 257-272. ; Pueyo, V., & Gaudart, C. (2000). L’expérience des régulations individuelles et collectives des déficiences. In A. Weill-Fassina, & T.-H. Benchekroun (dir.). Le travail collectif. Perspectives actuelles en ergonomie (pp. 257-272). Toulouse : Octarès Éditions. ; Leplat, J. (2006). La notion de régulation dans l’analyse de l’activité. Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 8(1), 2-25..

La possibilité de construire ses régulations renvoie aux marges de manœuvre que la situation de travail permet de construire. D’une manière générale, ces marges de manœuvre relèvent d’une combinaison entre des ressources individuelles, collectives et organisationnelles.

4.5.1. Ressources individuelles

Trois exemples de ressources individuelles mobilisées par les salariés dans leur activité de travail peuvent être présentés : choisir ses outils pour réaliser la tâche, répartir les tâches et la charge de travail, et faire appel à des connaissances développées dans un autre environnement professionnel.

Ces trois catégories de stratégies, mises en œuvre individuellement à l’échelle de la situation de travail par le salarié, poursuivent un double objectif : d’une part préserver sa santé, d’autre part assurer l’efficacité du travail.

Choisir ses outils pour réaliser la tâche

Les salariées rencontrées ont la possibilité de choisir certains des outils avec lesquels elles vont devoir travailler. S’il n’est, dans la plupart des cas, pas possible pour elles de sélectionner un équipement technique spécifique (par exemple un aspirateur), le choix se concentre sur les produits consommables. Pour la réalisation des tâches d’entretien, Lise (SPE5) indique par exemple qu’elle refuse d’utiliser certains produits chimiques courants comme l’eau de javel. Ce produit peut être irritant au contact cutané. Mélangé à certains produits contenant un acide (par exemple un détartrant chimique), un dégagement de chlore peut se produire et entraîner une irritation des muqueuses, particulièrement si ces produits sont utilisés dans une pièce exigüe et peu ventilée67Voir le guide de bonnes pratiques face aux risques professionnels dans les services à la personne réalisé notamment par le réseau ANACT-ARACT..

Jeanne (SPE2) non plus ne souhaite pas utiliser de javel. Elle propose à ses employeurs de mettre à sa disposition des contenants vides afin qu’elle puisse utiliser plus facilement dans son travail d’autres produits comme le vinaigre d’alcool ou le bicarbonate de soude par exemple.

Jeanne (SPE2) : Moi j’essaie toujours de dire : « Gardez un pistolet vide à portée de main, si vous avez la possibilité de prendre du vinaigre, du bicarbonate, je ferai mon ménage et le garderai à portée de main pour pouvoir l’utiliser, mais bon ce n’est pas obligatoire ».

Répartir les tâches et la charge de travail

Pour certaines tâches récurrentes et fastidieuses, les salariées peuvent proposer à leur employeur une organisation spécifique. C’est le cas de Lise (SPE5) par exemple, qui doit nettoyer 37 fenêtres chez l’un de ses employeurs. Pour limiter une exposition prolongée à des conditions météorologiques peu favorables et dans le même temps préserver sa santé, elle s’est organisée afin de réaliser chaque semaine une partie de cette tâche.

Lise (SPE5) : Pour moi ce qui est difficile, c’est chez ceux que je vois très rarement, ils ont de grandes baies vitrées en plein soleil. Alors là, avec un temps comme ça, je ne peux pas les faire. Quand je suis à l’intérieur, je suis éblouie par le soleil, mais quand je suis à l’extérieur, ce n’est pas possible parce que je prends le soleil vachement fort surtout que chez eux c’est l’après-midi, donc là, le travail est vraiment difficile.

Analyste : Dans ce cas-là, comment vous vous organisez ?

Lise (SPE5) : Je fais petit bout par petit bout, c’est ce que je lui disais, je ne les fais pas tout d’un coup, car elle a quand même 37 fenêtres. C’est un domaine. Ce qui fait que du coup, elle est bien au courant, c’est dommage parce qu’elle ne va pas avoir une baie vitrée toute propre en même temps et comme je lui dis, quand le temps est supportable et un petit peu couvert, je vais le faire. Mais quand c’est un soleil comme ça…

Analyste : Et vous faites les baies vitrées toutes les semaines ?

Lise (SPE5) : Je tourne. Tous les jours, à chaque fois je vais en faire deux, trois par-ci par-là.

Analyste : Donc il y a toujours des vitres à nettoyer ?

Lise (SPE5) : Oui, elle en a 37 (…). Ça, c’est mon travail le plus difficile. Les vitres, ce n’est pas compliqué à faire, mais c’est le soleil et l’hiver pareil, cet hiver je ne l’ai pas fait non plus. Cet hiver elle m’a dit : « Vous attendrez qu’il fasse meilleur » (…).

Analyste : Il y a quand même des ajustements et des discussions qui vous permettent d’être assez libre dans votre organisation.

Lise (SPE5) : Oui, bien sûr et heureusement.

Faire appel aux connaissances développées dans un autre environnement professionnel

De nombreux salariés ont exercé, ou exercent toujours, des emplois dans d’autres milieux professionnels. Les expériences professionnelles antérieures sont mobilisées régulièrement dans l’activité de travail actuelle auprès de personnes âgées ou dépendantes.

Lise (SPE5) : Avant ça, j’étais cuisinière en maison de retraite.

Analyste : Donc vous aviez déjà l’habitude de travailler auprès de personnes âgées.

Lise (SPE5) : Oui et avant j’étais ATSEM dans une école maternelle. Donc vous voyez les enfants, les retraités, l’entretien et la cuisine, c’est un ensemble, mais tout est réuni.

D’autres catégories de ressources individuelles pourraient être mobilisées par les salariés dans leur activité de travail mais n’ont pas pu être examinées dans cette étude exploratoire, par exemple des stratégies pour anticiper les besoins de la personne aidée ou anticiper une évolution de sa charge de travail, des stratégies de mobilisation du corps et d’appréhension de l’espace.

4.5.2. Ressources collectives

Une configuration de débats collectifs sur le travail pouvant contribuer à développer des marges de manœuvre a pu être examinée dans le cadre de cette étude exploratoire : les Relais assistants de vie.

Leur objectif principal est de contribuer à enrichir les pratiques professionnelles et l’émergence d’une dynamique collective en proposant des cycles de formation à des assistants de vie de particuliers employeurs et aux proches aidants.

C’est l’une des raisons qui a motivé notre souhait de rencontrer Monica, chargée de formation, qui s’occupe depuis près de trois ans des Relais assistants de vie de son département et a pu en observer les effets favorables.

Monica (formatrice) : Les gens continuent à venir parce que, ce qui les intéresse, c’est sortir de l’isolement et enfin être reconnus comme de vrais professionnels. En fait, je trouve que ça fait un peu comme l’analyse de la pratique… quand tout à l’heure vous évoquiez ces notions de limites professionnelles, vous êtes à peu près sûr qu’il faut leur donner ce temps de parole. Elles en ont besoin pour échanger et elles se rendent compte qu’en fonction de la situation ce n’est pas de cette manière-là qu’il aurait fallu se positionner.

Créer du collectif est donc une solution pour construire des ressources permettant de faire face à la diversité des situations rencontrées. D’une part, des experts sont invités à chacune des séances, en fonction des questionnements que les salariés ont émis. Leurs apports permettent ainsi de développer et faire évoluer leurs gammes opératoires. D’autre part, les échanges leur permettent de partager des situations parfois difficiles à gérer, du point de vue de l’usure professionnelle et de la pénibilité dont nous avons présenté les dimensions dans la partie précédente. L’échange collectif qui s’ensuit permet de construire collectivement des limites professionnelles partagées entre pairs.

Monica (formatrice) : Elles voient des choses. Vous voyez la souffrance psychologique, etc. Elles ont besoin de savoir comment elles doivent se positionner par rapport à la fin de vie ou à des personnes qui ont des troubles cognitifs vraiment profonds ou également jusqu’où elles doivent aller dans la limite de leur champ d’intervention et avec l’usure professionnelle parce que des fois, elles sont également usées de la situation sur le fait qu’on leur en demande beaucoup et qu’elles n’ont pas forcément toujours tous les outils qui leur permettraient par la suite de réagir correctement à la situation.

Le travail et ses conditions de réalisation peuvent ainsi devenir un objet de débats collectifs, permettant de développer l’activité individuelle de travail du salarié et de favoriser la construction de ressources qui enrichissent les gammes opératoires des salariés. Travailler requiert toujours une réflexion sur la construction de règles communément partagées, formalisées et validées par un collectif de professionnels. Cette construction commune suppose l’existence d’espaces de débat, d’échanges, de confrontation68Davezies, P. (1993). Éléments de psychodynamique du travail. Éducation permanente, 116(3), 33-46.. Ces espaces de débat sont autant de lieux producteurs de ressources pour la prévention des risques professionnels69Rocha, R. (2014). Du silence organisationnel au développement du débat structuré sur le travail : les effets sur la sécurité et sur l’organisation (thèse de doctorat). Bordeaux : université de Bordeaux..

Toutefois, à l’occasion de cette étude exploratoire, une seule configuration pouvant contribuer au développement de marges de manœuvre collectives a pu être présentée. Sans doute n’est-elle pas la seule forme possible. Nous pensons par exemple aux dynamiques de travail en équipe de salariés intervenant pour des particuliers employeurs en situation de dépendance importante, comme le décrit Sonia (SPE4) ou en situation de handicap, comme l’a abordé une étude précédente de l’Observatoire des emplois de la famille de la FEPEM70Touahria-Gaillard en collaboration avec Bédel, 2015, op. cit. ; Bédel, C. (2015). Les expériences vécues des particuliers employeurs en situation de handicap. Rapport de monographies. Paris : Observatoire des emplois de la famille., ou aux interactions entre personnels soignants, intervenant ou non à domicile, et aidants professionnels.

4.5.3. Ressources organisationnelles

D’autres marges de manœuvre ont pu être identifiées. Celles-ci se situent au cœur de la situation de travail, et plus précisément dans la relation qui lie salarié et particulier employeur. Trois temps distincts ont pu être identifiés : le temps de l’organisation, le temps de la proximité, le temps du partage.

Comme pour les ressources précédentes, nous allons présenter des exemples extraits des entretiens menés pour illustrer chacun de ces temps, en se limitant à des situations de co-présence. En effet, les situations dans lesquelles l’employeur n’est pas physiquement présent appellent d’autres modalités d’interactions avec le salarié, comme la mise en place d’un cahier de liaison dans les configurations les plus formalisées, ou des mots laissés dans un endroit visible et accessible, ou encore des appels ou des messages envoyés par téléphone.

À l’arrivée au domicile, le temps de l’organisation

Plusieurs salariées et employeuses mentionnent qu’un temps de « café » est organisé au moment de l’arrivée au domicile. Loin d’être anecdotique, ce temps est l’occasion d’échanger sur les tâches à organiser, comme l’indique Emmanuelle (PE3).

Emmanuelle (PE3) : En général elle arrive à 13 h 30, elle met ses chaussons et son tablier, on prend un café et elle commence par nettoyer la cuisine. Voilà, elle fait la cuisine parce qu’on a établi un cycle au début, les premières fois où elle est arrivée, donc maintenant, de temps en temps ça change si par exemple on est arrivé trop tard, car on est en train de finir de manger, donc elle commence par le salon. Donc elle fait la cuisine, la salle de bains, le salon et puis après elle fait une chambre, le couloir et l’entrée. Après, ça dépend, soit elle fait une des autres chambres, soit elle fait les placards dans la cuisine. Ça varie. Elle fait en priorité les pièces que l’on utilise le plus et après on tourne.

Analyste : D’accord. Et quand elle arrive, il y a quelque chose de rodé ou d’installé dans ce que vous dites, c’est-à-dire qu’elle n’arrive pas et qu’elle vous dit : « Aujourd’hui je fais quoi ? » Immédiatement, il y a une organisation qui s’est installée assez facilement.

Emmanuelle (PE3) : Elle commence et à ce moment-là, je lui dis : « Aujourd’hui, j’aimerais mieux que vous me fassiez les vitres du salon en plus » par exemple et elle s’arrange. Et puis de temps en temps, l’autre jour, elle m’a dit : « Il me restait du temps, je vous ai fait la porte ».

Ce moment est également un temps d’échanges propice pour mieux adapter l’efficience du travail aux attentes en termes de qualité du travail, comme le relate Lise (SPE5).

Analyste : Quand vous arrivez [sur votre lieu de travail], comment cela se passe-t-il ?

Lise (SPE5) : Eh bien figurez-vous que j’en ai trois sur les quatre, donc j’arrive toujours un quart d’heure à l’avance afin de papoter ensemble cinq minutes et de boire le café ensemble.

Analyste : Et ça, c’est vous qui l’avez institué ?

Lise (SPE5) : Je leur ai posé la question déjà si elles voulaient que je vienne à l’avance ou si j’arrivais à l’heure et les trois m’ont dit : « Si vous voulez venir à l’avance pour qu’on papote cinq minutes et qu’on fasse le point, vous boirez le café, il n’y a aucun problème ». Et depuis, ça a toujours été le cas et mon café m’attend le matin quand j’arrive. C’est plaisant, c’est le moment où on peut discuter. Il n’y en a qu’un seul [un employeur] avec qui ce n’est pas le cas parce qu’ils ne sont jamais là. Ça m’arrive de les croiser. Si, je les vois une fois par mois, c’est vraiment très rare.

Analyste : Et ces temps-là sont importants pour vous, pour votre travail ?

Lise (SPE5) : Oui parce que je leur demande bien…, justement c’est le moment d’échanges, je leur dis : « Est-ce que vous avez quelque chose de particulier ? » Et la question est : « Est-ce que tout va bien pour vous parce que je suis en âge d’entendre les choses ? » S’il y a quelque chose qui ne va pas, j’ai besoin qu’ils me le disent. C’est à ce moment-là qu’on partage ça et ils disent : « Non ne vous inquiétez pas, s’il y a quelque chose qui ne va pas, on vous le dira. Il n’y a rien à signaler ». Je tiens quand même à le savoir, j’ai passé l’âge de faire du boudin.

Ce temps d’échanges apparaît donc indispensable pour organiser le travail. Mais il est également favorable à la construction de ressources organisationnelles à l’initiative de l’employeuse ou de la salariée, mises en débat et communément partagées.

Pendant le temps de travail, le temps de la proximité

Les échanges peuvent se poursuivre durant le temps de réalisation du travail. Ils sont bien évidemment favorisés par la co-présence au domicile et par la co-activité entre le salarié et son employeur telles que nous les avons définies précédemment, comme l’illustre cet extrait avec Gwenaëlle (SPE3).

Analyste : Il y a vraiment pour vous un temps précis qui est le temps de travail, vous faites votre tâche, enfin les différentes tâches et ensuite il y a du temps de partage…

Gwenaëlle (SPE3) : Oui, voilà. Enfin, je partage, des fois pendant le temps de travail… la personne est là et elle commence à discuter, à me raconter… Je ne vais pas lui dire : « Attendez, je bosse ». Non, généralement je continue à travailler, mais j’écoute et je réponds, sauf si des fois ça ne peut pas le faire ou que je lui tourne le dos, ce n’est pas correct. Mais d’elles-mêmes elles disent : « Bon, je vous laisse travailler ». C’est bon.

Ces temps d’échanges ont une fonction importante dans la réalisation du travail. En effet, ils permettent de créer des temps de « répit » pour le salarié, qui permettent de « souffler » par rapport aux cadences à tenir et aux sollicitations physiques, en alternant des tâches physiquement prenantes et d’autres moins éreintantes, comme par exemple les temps d’échanges avec l’employeur. En revanche, les sollicitations cognitives, par exemple l’attention prêtée à autrui ou la gestion des dimensions temporelles, restent toujours très présentes pour le travailleur. Ces temps d’échanges, de partage de l’espace et de partage de la relation apparaissent particulièrement importants dans la perspective d’une prévention de la perte d’autonomie de l’employeur âgé.

Après le temps de travail, le temps du partage

Régulièrement, il est fait mention d’échanges qui se poursuivent après le temps de travail. À la différence des temps d’échanges précédemment mentionnés, la dimension affective semble être plus marquée.

Jeanne (SPE2) : J’essaie de faire mes heures correctement, mais il y a des fois où lorsque j’ai fini [elle reste]… L’employeuse est chez elle tout le temps de la prestation, parce qu’elle sort d’un traitement de chimio, donc elle est encore en convalescence chez elle. Bon là, c’est vrai qu’on a quand même bien sympathisé, on parle beaucoup et quand j’ai fini, on continue de papoter, on ne regarde pas l’heure et ça fait dépasser. Donc maintenant, elle a pris le coup, elle me donne le téléphone, je fais mon pointage et on continue de papoter après. (…)

Analyste : Par exemple avec cette personne qui est chez elle parce qu’elle vient de se rétablir d’un cancer et elle est encore en soins pour cette pathologie, vous avez évoqué avec elle justement votre parcours professionnel antérieur [dans le secteur des soins] ?

Jeanne (SPE2) : Oui, on a quand même beaucoup parlé de tout ça et en plus, j’y suis passée moi-même, donc je sais ce que c’est.

Toutefois, même si la nature de l’échange est différente, la fonction reste similaire. Elle relève d’un processus d’accompagnement de la personne malade, âgée ou dépendante. Ces échanges ne sont pas superflus du point de vue du travail. Dans l’exemple présenté, Jeanne (SPE2) poursuit son travail d’accompagnement de la personne chez qui elle intervient pour l’entretien du domicile, en dépassant le cadre initial prescrit de ses tâches pour s’orienter vers une aide de la personne elle-même. Ces échanges contribuent à construire des ressources organisationnelles en faveur de la qualité du travail et donc de l’aide apportée.

L’intermédiation du mandataire

Les relations tripartites avec la présence d’une structure mandataire peuvent également contribuer à produire des ressources organisationnelles dans la situation de travail.

Le mandataire est un complément à l’emploi direct entre particuliers71Cahn, C. (2017). Emploi mandataire au domicile, la qualité de vie pour ambition. Réalités et bonnes pratiques pour accompagner l’avancée en âge. Paris : Fédération mandataires.. Les structures mandataires ont pour mission d’accompagner, conseiller et appuyer le particulier employeur dans son rôle. Elles agissent comme intermédiaire entre l’employeur et le salarié dans la relation d’emploi. Elles présentent à l’employeur des salariés sélectionnés au regard des besoins de la personne aidée et des compétences des salariés. Elles assurent la prise en charge des formalités administratives liées à la relation d’emploi (contrat de travail, fiches de paie, déclaration URSSAF, etc.). De plus, les structures mandataires peuvent jouer un rôle d’intermédiation dans la relation de travail.

Sophie (coordinatrice mandataire) : Donc, j’ai une liste que je regarde régulièrement, depuis quand je suis allée en visite la dernière fois. Donc je regarde toujours, et… Je connais bien les situations, donc en fonction de chaque situation, je me dis : « Bon là, ça fait trois mois, il y a du handicap, il y a de la dépendance, ce serait bien que j’y retourne. » Donc, je prends rendez-vous, j’y vais. Et du coup, ça me permet à chaque fois de rencontrer le ou la salariée qui est sur place, de voir comment ça se passe, de prendre conscience des difficultés soit de matériel, soit de toutes sortes de difficultés. Et du coup je leur dis : « Pour vous, ce n’est peut-être pas évident des fois de dire à la famille, il me faudrait du matériel, je n’y arrive pas ou voilà ».
Je dis : « Bah servez-vous de nous quand vous n’y arrivez pas », donc, moi, je peux contacter la famille si c’est quelqu’un qui est sous curatelle ou tutelle, j’écris à la curatrice ou à la tutrice ou au tuteur, en disant : « Est-ce qu’on peut se rencontrer ou est-ce qu’il y a moyen de faire évoluer les choses ? ».
Et du coup, on sert aussi de relais pour transmettre l’info qui nous a été donnée par l’assistante de vie, de dire : « Voilà, cette situation nous inquiète, est-ce qu’il y a moyen de faire quelque chose ? »… Déjà pour la personne en tant que telle, qui est en difficulté, la personne aidée, pour les salariés qui interviennent et qui n’y arrivent pas parce que c’est conflictuel, c’est compliqué.

Lors de notre rencontre, Sophie, la coordinatrice mandataire, insiste sur l’importance de ce rôle pour concilier les questions de conditions de travail des salariés et de conditions de vie des particuliers employeurs âgés. Elle décrit plus précisément ce rôle dans la suite de l’entretien en prenant appui sur une situation concrète.

Sophie (coordinatrice mandataire) : Pas plus tard qu’hier, on est sur une situation, là, c’est une dame qui est centenaire. Elle est rentrée chez elle, elle ne marche pas spécialement, mais tout serait à changer. Elle a un fauteuil pour s’asseoir, pauvre femme, elle est toute la journée là-dessus, d’un inconfort le plus total. Donc, on avait rencontré la tutrice. (…)
Elles [les salariées] m’ont alertée en disant que le fauteuil n’est pas terrible : il est cassé, un fauteuil qui se bascule, mais qui est tellement vieux et qui en a vu de toutes les couleurs, j’imagine qu’elle est très mal installée dessus. Comme elle est très mal installée, elle n’a qu’une envie, c’est de se lever. Elle se lève, elle tombe, elle appelle au secours, pompiers, machin, enfin, bref. Ça a des répercussions sur tout l’immeuble, sur le voisinage et du coup les auxiliaires de vie sont confrontées aux difficultés relationnelles avec le voisinage, des difficultés avec les pompiers qui ne veulent plus venir, avec le commissariat qui a été alerté, parce qu’on les appelle sans arrêt. Enfin bref, on a tout le quartier, là, qui se mobilise pour cette pauvre femme qui est centenaire, qui veut absolument rester chez elle et qui ne veut surtout pas qu’on l’envoie en structure (…).
Donc avec la tutrice, on a convenu qu’il fallait changer ce fauteuil. Et en fait, elle m’a répondu : « Mais ça y est le devis a été accepté, a été retourné ». Donc, je vais y aller tout à l’heure pour dire aux auxiliaires de vie : « Je crois que vous n’allez pas tarder à avoir un fauteuil ».

Dans cette situation, l’intervention de Sophie a un double objectif : d’une part il s’agit d’améliorer les conditions de vie de la personne âgée mais également d’améliorer la situation de travail dans sa globalité, tant dans les dimensions relationnelles entre le salarié et la personne aidée que dans les dimensions physiques et cognitives du travail. Cette intervention limite aussi la charge de travail du salarié en traitant des tâches qui devraient être réalisées hors du temps de travail rémunéré du salarié (prise de contact avec la tutrice de la personne âgée, achat du matériel, etc.). De surcroît l’intervention du mandataire dans cette situation permet de rompre l’isolement du salarié ou le sentiment de solitude qui l’accompagne et de créer de nouvelles ressources organisationnelles en s’appuyant sur un tiers qui assure un rôle d’intermédiaire avec les organismes sociaux.

5. Orientations pour une prévention des risques au domicile

À partir des résultats ainsi produits sur le travail des salariés des particuliers employeurs, nous allons interroger dans cette partie les conditions de la construction de la prévention des risques au domicile dans le secteur de l’emploi à domicile.

5.1. Enseignements sur le travail au domicile des particuliers employeurs âgés

Les travaux menés dans le cadre de cette étude exploratoire permettent d’aboutir à des perspectives d’actions innovantes tant sur les conditions d’un soutien de l’autonomie des particuliers employeurs âgés que sur la prévention des risques professionnels pour les salariés. Quatre enseignements pour l’action en prévention mériteront d’être approfondis dans les actions futures : la primauté de la dimension relationnelle, l’hétérogénéité des situations de travail, les trois dimensions qui orientent et conditionnent le travail et la co-production du travail entre salarié et employeur.

5.1.1. La primauté de la dimension relationnelle dans le contenu du travail des salariés

La dimension relationnelle est une nécessité compte tenu du caractère intime des tâches prescrites et du partage du milieu de vie privée de l’employeur avec le salarié. De surcroît, une confiance mutuelle, réciproque, qui se construit entre le particulier employeur et le salarié, apparaît indispensable à la durabilité de la relation d’emploi et à la soutenabilité du travail, notamment pour produire des ressources organisationnelles qui se logent au cœur de la dimension relationnelle.

Toutefois, l’une des difficultés à laquelle se heurte ce contexte d’action singulier est l’impossibilité à prescrire la dimension relationnelle. En effet, comme nous l’avons déjà signalé, les prescriptions portent d’une manière générale sur les tâches à réaliser. Ces tâches sont souvent définies comme des opérations techniques prises isolément (par exemple : nettoyer les sols, épousseter les meubles, repasser le linge), conduisant à assimiler le travail à la réalisation d’une succession de tâches et à nier son caractère processuel. À ces opérations techniques à exécuter correspondent des critères d’évaluation en termes de quantité (un nombre prescrit d’opérations à réaliser en un temps imparti) et de qualité du travail. Soulignons qu’une entente sur ces critères d’évaluation reste indispensable afin que les attentes de chacune des parties puissent converger.

Nous avons vu que, dans un certain nombre de cas, les prescriptions étaient plus mouvantes, le périmètre du travail plus instable, et le travail prétexte à autre chose que l’exécution d’opérations techniques. En effet, comme nous l’avons exposé, les attentes de part et d’autre sur le travail dépassent le niveau de la tâche pour s’établir à un niveau plus large mais également plus complexe à saisir, celui de la relation humaine.

Ainsi, il apparaît nécessaire de s’interroger sur l’objet de la prescription : peut-on prescrire une relation humaine ? Peut-on catégoriser les compétences nécessaires ? Quel est le périmètre de la prescription ? Comment valoriser les formes de professionnalisation et de formation qui se structurent, s’organisent dans et par le travail, avec des apprentissages croisés entre particuliers employeurs et salariés ?

5.1.2. L’hétérogénéité des situations de travail

Le domicile est un lieu d’exercice professionnel singulier. Le particulier employeur n’est pas une entreprise et l’espace de travail ne répond donc pas aux mêmes critères issus des normes de conception, d’aménagement, de dimensionnement, d’organisation de l’espace que les lieux de travail ordinaires. Pourtant, les salariés des particuliers employeurs sont soumis à un cadre réglementaire classique du point de vue de la prévention des risques professionnels. Quid de l’application des règles de prévention conçues et utilisées pour l’entreprise dans un cadre personnel ?

Le domicile possède une valeur symbolique pour l’habitant avec des espaces privés qui sont aussi des espaces de travail et des espaces intimes réservés aux proches, comme nous l’avons vu. Peut-on parler de partage des espaces de vie privée et professionnelle ? Comment objectiver le privé partageable et l’intime pour éviter les situations de conflits lorsque les règles ou les valeurs propres à chacune des parties semblent transgressées d’un côté ou de l’autre ?

L’hétérogénéité des situations de travail est un élément dont la littérature scientifique s’était déjà saisie, et que la présente étude ne peut que confirmer. Cette hétérogénéité se traduit par des variabilités prévisibles ou imprévisibles au niveau des espaces de travail, des équipements techniques et outils, des pathologies et symptômes des personnes aidées dépendantes, des demandes et besoins, etc. Y faire face requiert une maîtrise technique importante. L’hétérogénéité se retrouve également dans les relations entre particuliers employeurs et salariés, qui par essence ne peuvent qu’être différentes les unes des autres (durée et histoire de la relation, critères de confiance mutuelle, etc.).

Pour autant, ne serait-il pas possible d’identifier une catégorisation regroupant des configurations organisationnelles « caractéristiques » du travail au domicile d’un particulier employeur âgé ? L’enjeu de cette objectivation des configurations organisationnelles du travail est double. Il s’agit d’une part de s’appuyer sur cette catégorisation pour construire les actions de prévention au domicile au plus près de la réalité du travail et d’autre part de proposer des avancées pour ces métiers en termes de professionnalisation et de conditions de travail.

5.1.3. Le travail au croisement de trois pôles

Le travail se situe ainsi à l’intersection de trois pôles (figure suivante) :
  • le pôle « ego », qui représente le salarié en tant que sujet du travail qui engage sa subjectivité, ses propres valeurs, son histoire, son milieu social, géographique, culturel et relationnel ;
  • le pôle « autrui » qui représente l’employeur bénéficiaire du service en tant qu’objet du travail, qui engage lui-même sa subjectivité, son histoire, son milieu social, géographique et culturel et ses propres valeurs ;
  • le pôle « environnement » occupé par le milieu de travail, l’environnement social et matériel du travail et ses configurations organisationnelles et techniques.

Le travail réalisé par le salarié est configuré par les contraintes, les ressources, les exigences de chacun de ces pôles. Il revient au salarié de prendre en compte ces multiples exigences et impératifs, hétérogènes et parfois paradoxaux, de s’appuyer sur les ressources disponibles ou en développer de nouvelles et d’établir des compromis dans l’objectif d’assurer la qualité de l’aide apportée sans mettre en jeu sa propre santé.

L’identification de ces trois pôles est utile pour concevoir la prévention des risques au domicile au plus près des situations de travail. La prévention, en tant que processus72Boudra, L. (2016). Durabilité du travail et prévention en adhérence. Le cas de la dimension territoriale des déchets dans l’activité de tri des emballages ménagers (thèse de doctorat). Lyon : université Lumière-Lyon 2., peut se construire et se développer au sein de cette articulation finalisée entre ces trois pôles, portée par le travail. L’enjeu n’est pas seulement de supprimer les contraintes ou de réduire les exigences de ces pôles mais de développer les ressources techniques, individuelles, collectives et organisationnelles afin de promouvoir le travail comme un facteur de santé à la fois pour la personne âgée et pour le salarié lui-même. En effet, celles-ci constituent des orientations pour développer la prévention puisqu’elles permettent de favoriser à la fois la prévention des risques professionnels et de renforcer les stratégies en faveur de l’autonomie des particuliers employeurs âgés.

5.1.4. Le travail : un processus collectif facteur de santé ?

Les formes collectives du travail, que nous avons traitées à partir de la co-présence au domicile et des situations de co-activité ou de coopération, semblent concourir à prévenir les risques de chute73Monteau, M., Leclercq, S., & Cuny, X. (2009). Les accidents consécutifs à une perturbation du mouvement. Nouvelle conception, nouvelle prévention. Hygiène et sécurité du travail, 215(6), 13-18 ; Leclercq, S., Monteau, M., & Cuny, X. (2010). Avancée dans la prévention des « chutes de plain-pied » au travail. Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 12(3), 1-15., à réorganiser l’aménagement de l’espace et à sensibiliser les employeurs âgés aux facteurs de risque de perte d’autonomie. Le travail des salariés peut contribuer à maintenir l’employeur âgé en santé. Ce résultat est apparu dans les cas de coopération, mais il peut être également étudié dans les cas de co-activité ou dans l’imbrication du travail rémunéré dans l’ensemble de l’activité domestique familiale.

C’est sans doute ces formes de travail collectif qui ont conduit certains acteurs du secteur de l’emploi à domicile à parler d’un « management partagé »74IPERIA l’Institut (dir.). (2011). Le management partagé, l’émergence d’un nouveau modèle pour les emplois de la famille ? Conférence de consensus du Conseil économique, social et environnemental. Alençon : IPERIA l’Institut Les Éditions. dont les implications sont à la fois conventionnelles, organisationnelles et relationnelles. Ce management partagé serait le résultat de la co-production du service et de sa qualité. Cette proposition peut être entendue comme un cadre de co-production du travail et reste à approfondir pour mieux appréhender le management du travail dans ce cadre singulier et identifier la manière dont il pourrait être associé au management de la santé du salarié et de son employeur âgé. L’objectif serait d’identifier si les formes de travail collectif qui émergent dans les résultats de cette étude pourraient être considérées comme une ressource pour la construction d’une prévention des risques au domicile qui aborderait simultanément la prévention des risques professionnels pour les salariés et la prévention de la perte d’autonomie pour les employeurs âgés. Dans le même temps, les formes collectives du travail peuvent également répondre à l’enjeu d’objectivation des configurations organisationnelles que nous avons précédemment mentionné. L’une des pistes pourrait être de s’appuyer sur les dynamiques collectives : co-présence et co-activité, coopération entre salarié et employeur, coordination avec les aidants familiaux et les proches, travail en équipe avec d’autres salariés, travail en collaboration avec du personnel soignant, etc.

5.2. Enseignements pour le développement d’une prévention des risques au domicile

Des résultats significatifs sur la nature du travail, les conséquences négatives et les effets positifs sur la santé des salariés et des employeurs âgés ont été apportés dans ce rapport. Ces résultats nous permettent d’identifier des orientations pour construire une prévention des risques au domicile, à deux niveaux différents. L’enjeu de la construction d’une prévention n’est pas seulement de développer de nouvelles mesures qui s’ajouteront à celles déjà existantes, mais aussi d’en assurer l’efficience.

En définitive, la prévention doit nécessairement être considérée comme un processus propre au secteur concerné, et particulièrement quand celui-ci comporte des spécificités organisationnelles majeures. Le lieu d’exercice qui est avant toute chose un lieu d’habitation implique que la conception, l’aménagement, l’accessibilité, la circulation, etc. ne répondent pas aux mêmes normes de conception des lieux que les espaces de travail traditionnels75Pomian, J.-L., et al. (2011). Conception des lieux et des situations de travail. Santé et sécurité : démarches, méthodes et connaissances techniques. ED 950. Vandœuvre : INRS.. Ce qui, par conséquent, rendrait extrêmement complexe une démarche d’évaluation et de prévention des risques professionnels liés aux ambiances physiques76Millanvoye, M. (2004). Les ambiances physiques au poste de travail. In, P. Falzon (dir.), Ergonomie (pp. 99-113). Paris : PUF. dans lesquelles s’exerce le travail (ambiance sonore, lumineuse, thermique, etc.). Ce lieu d’exercice singulier, comme les autres spécificités de l’emploi à domicile (multiplicité des lieux de travail, multiplicité des employeurs, etc.) invitent à interroger de nouvelles manières de construire la prévention des risques professionnels, tant il paraît difficile d’y imposer des modalités d’action similaires à celles mises en place dans les entreprises traditionnelles des milieux industriels ou serviciels. Un constat d’ailleurs partagé pour les structures de l’aide à domicile77Dussuet, 2013, op. cit..

Afin de construire, organiser et déployer un processus de prévention, cinq conditions peuvent être notées :

  • Impulser une démarche coordonnée et concertée de prévention associant les acteurs de l’emploi à domicile, des risques professionnels et de la prévention de l’autonomie, au niveau national et local, en prenant le mieux possible en considération les réalités du travail réalisé au domicile des particuliers employeurs.
  • Identifier les acteurs porteurs de la prévention au domicile positionnés simultanément dans les domaines d’action de la prévention des risques professionnels pour les salariés du particulier employeur et de la prévention de la perte d’autonomie pour les particuliers employeurs âgés.
  • Évaluer les outils produits et les démarches entreprises, partager les résultats des enseignements.
  • Construire des démarches d’action en prévention dont le point d’entrée porterait sur la relation aidant/aidé et dont la finalité serait la qualité des conditions de travail associée simultanément à la qualité de l’aide apportée et la prévention de la perte d’autonomie.
  • Organiser une « mise en patrimoine » des connaissances sur le travail des salariés des particuliers employeurs et construire un programme d’études commun sur le travail des salariés des particuliers employeurs.

Les futures actions qui seront construites par les acteurs mobilisés au sein de ce processus de prévention devront s’attacher à :

  • identifier les ressources dans les situations de travail nécessaires à la construction d’une prévention efficiente (au niveau individuel, collectif et organisationnel) ;
  • mieux qualifier le domicile du point de vue du travail et de la prévention et identifier les actions possibles ;
  • appréhender les effets du cumul des formes d’usure professionnelle sur la santé des salariés et sur la santé et l’autonomie des employeurs âgés.

5.3. Enseignements pour la prévention des risques professionnels : le domicile comme nouveau territoire d’action

L’ambition du maintien au domicile des personnes âgées s’accompagne nécessairement d’un développement de l’attractivité des métiers pour accompagner les personnes vieillissantes à leur domicile, et cela notamment en assurant des conditions de travail soutenables. L’amélioration de ces conditions de travail représente un défi incontournable pour assurer la qualité de l’aide apportée aux personnes âgées à leur domicile.

Mais au-delà, les résultats de cette étude s’inscrivent aussi dans les enjeux contemporains du travail et de l’emploi et interpellent la prévention des risques professionnels.

Celle-ci est sans cesse bousculée par les transformations à l’œuvre dans les milieux professionnels et de nouveaux défis à relever émergent. La tertiarisation des emplois en est un exemple. La tertiarisation massive des emplois incite à un développement des actions de prévention destinées à ce secteur. D’autant que des activités industrielles traditionnellement très accidentogènes ont connu un net recul des taux de sinistralité en matière d’accidents du travail sur les dix dernières années. Selon les statistiques établies par l’Assurance maladie78Assurance maladie (2016). L’Essentiel santé et sécurité au travail 2016. Document de synthèse. Paris : L’Assurance maladie risques professionnels., le secteur du bâtiment et des travaux publics par exemple, a connu une baisse de ses taux de sinistralité équivalente à 29 %. En revanche, pour la même période, d’autres secteurs du tertiaire, à l’image des activités d’aide et de soins, ont connu une augmentation de la sinistralité équivalente à 45 %.

À cela s’ajoute l’enjeu d’une meilleure prise en compte de la santé au travail des femmes79Messing, K. (2016). Les souffrances invisibles. Pour une science du travail à l’écoute des gens. Montréal : Les Éditions Écosociété.. Traditionnellement, les travaux en prévention des risques professionnels sont conduits par secteur d’activité et ne prennent que peu en considération les différences entre femmes et hommes80Messing, K. (2002). La place des femmes dans les priorités de recherche en santé au travail au Québec. Relations industrielles/Industrial Relations, 57(4), 660-686 ; Vogel, L. (dir.). (2003). La santé des femmes au travail en Europe. Des inégalités non reconnues. Bruxelles : Bureau technique syndical européen pour la santé et la sécurité..

Or, des travaux récents menés par l’ANACT81Chappert F., & Therry, P. (2017). Photographie statistique des accidents de travail, des accidents de trajet, et des maladies professionnelles en France selon le sexe entre 2001 et 2015. Des tendances d’évolution différenciées pour les femmes et les hommes. Lyon : ANACT., compilant les données de sinistralité sur une période récente de quinze ans, ont mis en évidence des différences importantes entre femmes et hommes en matière de santé au travail, tout secteur d’activité confondu. Ces travaux notent une augmentation très importante du nombre d’accidents du travail pour les femmes, alors même que leur nombre a fortement baissé d’une manière générale. Entre 2001 et 2015, les accidents du travail ont baissé de 15,3 %. Pour les hommes cette baisse représente 28,6 %. Les accidents du travail concernant des femmes ont augmenté durant cette même période de 28 %. Les maladies professionnelles ont fortement progressé entre 2001 et 2015. Femmes et hommes connaissent tous deux une hausse mais dans des proportions différentes. Pour les hommes la hausse est de 80,1 %. Pour les femmes la hausse représente une progression de 155 %, le nombre de maladies professionnelles reconnues étant passé de 9 797 en 2001 à 24 978 en 2015.

De surcroît, l’emploi à domicile présente une caractéristique peu documentée en prévention des risques professionnels et qui constitue un large sujet d’actualité : le domicile. Si le domicile a toujours été un espace de travail informel, son entrée dans le champ du travail formel et donc couvert par la réglementation en matière de santé et sécurité au travail reste en revanche beaucoup plus récente. Étroitement lié au développement de l’usage des technologies numériques dans les milieux professionnels, de l’informatisation et de la dématérialisation, le domicile est devenu un lieu de travail désormais incontournable et sur lequel des actions de prévention restent encore peu constituées.

Enfin, la prévention doit également s’adapter aux transformations des organisations socio-productives. La norme de référence, d’un point de vue réglementaire, sur laquelle s’appuie la prévention, reste la structure type entreprise qui se caractérise par une division verticale et horizontale du travail et une répartition hiérarchisée des rôles et des responsabilités. Mais quid des autres formes d’organisation, comme par exemple les organisations socio-productives qui ne sont pas caractérisées par une unité de lieu et qui impliquent le plus souvent du travail nomade et multi-site, ou encore les organisations socio-productives qui ne s’adossent pas à une structure type entreprise ?

L’emploi à domicile présente l’ensemble de ces caractéristiques. Il relève du secteur tertiaire, les emplois y sont massivement féminisés et sont exercés en multi-sites au sein de domiciles privés. Il n’est pas adossé à une entreprise, puisque, rappelons-le, l’employeur est une personne privée. Par conséquent, le développement de la prévention initié dans ce secteur pourra contribuer à enrichir les réflexions sur l’ensemble des enjeux contemporains auxquels est aujourd’hui confrontée la prévention des risques professionnels.

Conclusion

Cette étude, qui constitue le premier volet d’une expérimentation portée par l’ANACT et la FEPEM, s’est déroulée durant près d’une année. Cette première étape, exploratoire, réalisée à l’échelle de la région Auvergne-Rhône-Alpes, avait pour enjeu d’instruire les conditions d’une articulation possible entre la prévention des risques professionnels pour les salariés et la prévention de la perte d’autonomie pour les particuliers employeurs âgés au sein de démarches innovantes d’actions en prévention, portées par des acteurs institutionnels multiples et par des acteurs de la situation de travail. Plus précisément, l’objectif était de produire des connaissances sur le travail des salariés pour identifier des orientations pour une prévention des risques au domicile. Les résultats produits permettent de proposer un cadre dans lequel une prévention des risques au domicile peut se construire, s’articulant autour des enjeux d’un travail soutenable pour les salariés et d’un vieillissement durable au domicile pour les particuliers employeurs âgés. Ces orientations seront ensuite mises en discussion, confirmées, infirmées ou approfondies dans la poursuite de cette étude, dans le cadre d’une expérimentation portée conjointement par l’ANACT et la FEPEM.

Le travail des intervenants au domicile relève avant tout de la construction d’une relation entre le particulier employeur et le salarié, s’affranchissant de la prescription (la tâche étant support à autre chose) et des dimensions techniques du travail, sans pour autant les effacer totalement.

La qualité de la relation semble être l’ingrédient indispensable à la durabilité de la relation d’emploi et autorise l’évolution de son contenu et de son périmètre. La dimension relationnelle de ce travail est d’abord motivée par le lieu singulier dans lequel il se réalise. En effet, le domicile est partagé entre un milieu intime et un milieu de travail. Ce partage induit une dimension collective du travail caractéristique des situations de co-présence entre salarié et employeur au domicile, que nous avons caractérisée par la co-activité et la coopération entre salarié et employeur.

Le travail peut avoir des conséquences négatives sur la santé des salariés. Outre les situations contrastées d’emploi étudiées, avec des salariées en situation de « sur-emploi » effectuant près de 90 heures par semaine pour certaines et d’autres en situation de « sous-emploi » effectuant moins de 15 heures par semaine, des formes d’usure professionnelle ont été identifiées : les contraintes temporelles du travail et les déplacements multiples à gérer, les sollicitations biomécaniques et cognitives, les conséquences psychosociales.

Dans le même temps, le travail peut être opérateur de santé82Doppler, F. (2004). Travail et santé. In P. Falzon (dir.). Ergonomie, (pp. 69-82). Paris : PUF. et d’autonomie pour le particulier employeur âgé. Les formes collectives du travail contribuent à prévenir les risques de chute, à réorganiser l’aménagement de l’espace, à sensibiliser les employeurs âgés aux facteurs de risque de perte d’autonomie.

Parallèlement, le travail du salarié peut contribuer à maintenir l’employeur en santé. Ce résultat est apparu dans les cas de coopération, mais il peut être également étudié dans les cas de co-activité comme dans l’imbrication du travail rémunéré dans l’ensemble de l’activité domestique familiale. Soulignons toutefois que le cumul des formes d’usure professionnelle pourrait avoir pour effet de limiter le déploiement d’actions en faveur de l’autonomie des employeurs âgés par les salariés eux-mêmes. Une trop grande fatigue ressentie et cumulée par exemple ne permet pas d’assurer une veille attentive sur la personne aidée, un aspect pourtant fondamental du travail réel.

Le travail d’un salarié auprès d’un particulier employeur âgé est évolutif. Ce travail, en tant que processus, s’inscrit dans l’autre processus de l’évolution de la santé et de l’autonomie de la personne âgée aidée et repose sur la dimension relationnelle structurante. La dimension relationnelle que nous venons d’aborder permet en effet de lui conférer un cadre évolutif au gré de la santé de l’employeur âgé et du salarié. Cette relation apparaît ainsi comme un enjeu de durabilité de la relation d’emploi pour une projection dans l’avancée en âge du particulier employeur et un accompagnement du salarié.

Cet enseignement nous a conduits à parler de « travail d’accompagnement » pour qualifier l’ampleur des missions exercées par le salarié. En ce sens, le travail est producteur de santé pour l’employeur âgé.

Il apparaît ainsi que la logique du travail dépasse la logique salariale. Le travail qui se construit ainsi entre salarié et employeur est un travail d’accompagnement. Celui-ci demande au salarié de réaliser des tâches multiples et simultanées. Il oblige à maintenir un périmètre instable des tâches prescrites et réalisées au domicile d’un particulier employeur âgé et plus largement du travail et une frontière parfois floue entre relation professionnelle et relation amicale, entre travail rémunéré et travail non rémunéré, entre vie professionnelle et vie personnelle. Particulièrement visible lors de l’évolution des tâches d’entretien du domicile vers des tâches d’assistance aux personnes âgées dépendantes, ce travail d’accompagnement s’inscrit pourtant plus largement dans une mission auprès d’une personne âgée qui engage la responsabilité du salarié.

Mais comment intégrer la notion d’évolution dans la définition du contenu du travail, dans la formation, dans les espaces de travail ou encore dans le statut du salarié comme enjeu de reconnaissance de son rôle d’accompagnement ? De plus, comment installer le travail comme un facteur de santé pour le particulier employeur âgé et pour le salarié lui-même ?

Aussi, il convient d’adapter le discours de la prévention à ces spécificités. L’entrée à partir de laquelle sont construites les actions de prévention ne peut être la dimension technique. Pourquoi les référentiels de prévention appliqués aux salariés de particuliers employeurs reprennent-ils ceux existants en entreprise ? N’y aurait-il pas nécessité à construire un référentiel de prévention, de santé au travail propre à celui de la relation salarié/particulier employeur ? Cette perspective apparaît pleinement dans l’esprit du cadre d’innovation et d’expérimentation proposé par le troisième plan Santé au travail.

Pour conclure, ces premiers travaux aboutissent à des questionnements plus larges sur les mutations du travail et de l’emploi, notamment celles qui s’opèrent au domicile et qui demain se diffuseront dans d’autres milieux professionnels.

Les spécificités de la relation entre un particulier employeur et un salarié, associées au volume d’emploi du secteur, offrent un cadre favorable et opérationnel à l’examen de la prévention des risques et de la santé au travail pour ces modèles d’emploi et ces formes de travail en développement. En effet, ce travail contribue à apporter un premier éclairage pour comprendre comment construire la prévention dans des milieux professionnels qui peuvent être considérés comme atypiques, au sens où les caractéristiques qu’ils présentent s’éloignent de la norme de référence que constitue l’entreprise d’un point de vue de la prévention des risques professionnels prise dans son acception réglementaire. L’analyse du travail menée à partir d’entretiens semi-directifs, dont les résultats ont été complétés par de nombreuses recherches bibliographiques, tendent à indiquer la manière dont le travail des salariés peut être à la fois un socle et un vecteur pour la prévention des risques au domicile. De ce fait, l’emploi à domicile ici étudié peut être observé comme un prodrome – au sens où il laisse présager des événements à venir concernant les mutations des formes de l’emploi (travail autonome, travail indépendant, etc.) et du travail (télétravail, multiplication des lieux de travail, etc.) qui tendent à se développer dans l’ensemble des milieux professionnels.

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Touahria-Gaillard, A. en collaboration avec Bédel C. (2015). Expériences vécues de particuliers employeurs en situation de handicap. Paris : FEPEM.

Van de Weerdt, C. (2016). Les émotions au travail des intervenants à domicile. Hygiène et sécurité du travail, 243, 42-46.

Vogel, L. (dir.). (2003). La santé des femmes au travail en Europe. Des inégalités non reconnues. Bruxelles : Bureau technique syndical européen pour la santé et la sécurité.

Annexes

ANNEXE 1 : MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE

L’étude s’est déroulée dans la région Auvergne-Rhône-Alpes au cours du premier semestre 2017. La méthode de recueil de données mobilisée s’appuie sur des outils traditionnellement utilisés dans les recherches qualitatives en sciences humaines et sociales et particulièrement lors des études sociologiques qualitatives83Blanchet, A., & Gotman, A. (1992). L’enquête et ses méthodes. L’entretien. Paris : Nathan..

Vingt-trois entretiens semi-directifs ont été réalisés84Les entretiens ont été réalisés par Céline Bédel et Leïla Boudra (FEPEM) et par Pascale Mercieca (ANACT). auprès d’acteurs de trois niveaux décisionnels national, territorial et à l’échelle du domicile entre les mois de mars et de juillet 2017 (figure ci-dessous).

Personnes rencontrées en entretiens pour les trois niveaux décisionnels

Pour les besoins de l’étude, près d’une centaine de personnes issues de ces trois niveaux décisionnels ont été sollicitées et vingt-six ont pu être rencontrées lors d’entretiens.

Acteurs sollicités au niveau national

Au niveau national, douze structures différentes ont été identifiées. Neuf entretiens ont été réalisés entre mars et juin 2017, dont trois réalisés avec deux personnes simultanément. Ces entretiens avaient pour objectif de mieux comprendre le positionnement des acteurs institutionnels des domaines de la prévention des risques professionnels ou de l’emploi à domicile.

Acteurs sollicités au niveau territorial

Au niveau territorial, quatre entretiens ont été réalisés entre avril et juillet 2017. Ces entretiens avaient pour objectif de mieux identifier les formes d’opérationnalisation des positionnements institutionnels décrits par les acteurs du niveau national et leur confrontation avec les enjeux locaux.

Vingt-six structures ont été identifiées et dix-neuf personnes ont été sollicitées. Ce sont principalement des collaborateurs locaux des structures institutionnelles nationales ainsi que des organismes de formation labellisés par IPERIA l’Institut et dispensant des modules de formation à destination des salariés de particuliers employeurs et des structures mandataires travaillant avec des particuliers employeurs âgés et dépendants.

Acteurs sollicités au niveau du domicile

Au niveau du domicile, pour les salariés et les particuliers employeurs, les entretiens avaient pour objectif de mieux comprendre les enjeux de la relation d’emploi et de travail et les conditions dans lesquelles le travail s’effectue. Ce sont principalement les résultats issus de ces entretiens qui sont présentés dans ce rapport d’étude.

Dix entretiens ont été réalisés auprès de cinq employeuses et de cinq salariées de particuliers employeurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

ANNEXE 2 : TABLEAU RÉCAPITULATIF DES CONFIGURATIONS D’EMPLOI DES SALARIÉES IMPLIQUÉES DANS L’ÉTUDE

  • 1
    À ce titre, ils bénéficient d’une exonération liée à leur âge ou à leur dépendance.
  • 2
    FEPEM, & CNSA. (2017). Bien vieillir à domicile. Guide pratique de l’emploi à domicile à destination des plus âgés… et de ceux qui les accompagnent. Document interne.
  • 3
    Touahria-Gaillard, A., en collaboration avec Bédel, C. (2015). Expériences vécues de particuliers employeurs en situation de handicap. Paris : Observatoire des emplois de la famille, FEPEM.
  • 4
    Bressé, S. (2010). Durabilité des relations d’emploi entre les particuliers employeurs utilisateurs du CESU et leurs salariés. Paris : Observatoire des emplois de la famille, FEPEM. Non publiée.
  • 5
    Meuret-Campfort, E. (2015). La qualité de l’aide au domicile des particuliers employeurs âgés. Paris : Observatoire des emplois de la famille, FEPEM.
  • 6
    Bédel, C., Touahria-Gaillard, A., Tocqueville, M. & Puech, I. (2016). Étude sur les assistantes de vie formées au module de formation « aidant familial auprès d’un parent âgé » de la branche professionnelle des salariés du particulier employeur. Alençon : IPERIA Les Éditions.
  • 7
    Bressé, S. & Puech, I. (2011). Qui sont les particuliers employeurs en perte d’autonomie et leurs salariés ? Paris : Observatoire des emplois de la famille, FEPEM.
  • 8
    Bédel, Touahria-Gaillard, Tocqueville, & Puech, 2016, op. cit.
  • 9
    Bloch, M.-A. (2012). Les aidants et l’émergence d’un nouveau champ de recherche interdisciplinaire. Vie sociale, 4(4), 11-29.
  • 10
    Moscato, A., & Varescon, I. (2011). Les aidantes professionnelles à domicile et les personnes âgées en difficulté avec l’alcool : évaluation et réflexions cliniques. Gériatrie, psychologie et neuropsychiatrie du vieillissement, 9(4), 491-498.
  • 11
    Gallois, F. (2013). L’aide à domicile, parent pauvre du système de santé. Journal de gestion et d’économie médicales, 31(1), 15-29.
  • 12
    Voir le dossier INRS « Soins à domicile, l’organisation au centre de la prévention », disponible sur le site www.inrs.fr.
  • 13
    Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Duraffourg, J., & Kerguelen, A. (1991). Comprendre le travail pour le transformer. La pratique de l’ergonomie. Montrouge : ANACT Éditions.
  • 14
    Teiger, C. (1993). L’approche ergonomique : du travail humain à l’activité des hommes et femmes au travail. Éducation permanente, 116, 71-96.
  • 15
    Lhuilier, D. (2010). L’invisibilité du travail réel et l’opacité des liens santé-travail. Sciences sociales et santé, 28, 31-63.
  • 16
    Devetter, F.-X., Jany-Catrice, F. & Ribault, T. (2009). Les services à la personne. Paris : La Découverte.
  • 17
    L’ensemble de ces données sont présentées dans l’annexe n° 2 de ce rapport.
  • 18
    Dans un souci de confidentialité et de respect de l’anonymat, tous les prénoms ont été changés.
  • 19
    Reyssat, F. (2016). Quand espace et objet de travail se confondent. Le cas du nettoyage. La Nouvelle Revue du travail, 9, 1-15.
  • 20
    Bardot, F. (2006). Mouvements de la clinique individuelle et construction d’espaces de discussion collective : effets sur la santé. Communication au 29e congrès national de médecine du travail.
  • 21
    Moscato, & Varescon, 2011, op. cit. ; Bonamy, P., et al. (2012). Les freins à la bientraitance dans l’aide à domicile. Vie sociale et traitement, 116(4), 66-72.
  • 22
    Eleb, M. (1995). La frontière mouvante entre vie privée et vie publique dans la maison. In, J.-C. Kaufmann (dir.), Faire ou faire-faire ? Famille et services. Rennes : PUR.
  • 23
    Le Petitcorps, C. (2016). Travailler chez les autres. Quels espaces dans les services à domicile ? La Nouvelle Revue du travail, 9, 1-14.
  • 24
    Molinier, P. (2009). Des féministes et de leurs femmes de ménage : entre réciprocité du care et souhait de dépersonnalisation. Multitudes, 37-38, 113-121.
  • 25
    Dussuet, A. (2013). Santé au travail et prévention des risques professionnels dans les associations d’aide à domicile. La Revue de l’Ires, 78(3), 77-97.
  • 26
    Touahria-Gaillard en collaboration avec Bédel, 2015, op. cit.
  • 27
    Caradec, V. (1995). L’aide-ménagère : une employée ou une amie ? In, J.-C. Kaufmann (dir.), Faire ou faire-faire ? (pp. 155-167). Rennes : PUR.
  • 28
    Hochschild, A.R., & Ehrenreich, B. (2002). Global woman: nannies, maids and sex workers in the new economy. New York : Metropolitan Books.
  • 29
    Caradec, 1995, op. cit.
  • 30
    Devetter, F.-X., & Rousseau, S. (2011). Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité. Ivry-sur-Seine : Raisons d’Agir Éditions.
  • 31
    Cloutier, E., David, H., & Teiger, C. (2003). Agir sur les conditions de travail des auxiliaires de vie : croiser les approches. Travail et emploi, 94, 75-83.
  • 32
    Touahria-Gaillard en collaboration avec Bédel, 2015, op. cit.
  • 33
    Cloutier, David, & Teiger, 2003, op. cit.
  • 34
    Teiger, C., Cloutier, E., & David, H. (2005). Les activités de soins à domicile : soigner et prendre soin. In, M. Cerf & P. Falzon (dir.), Situations de service : travailler dans l’interaction (pp. 179-204). Paris : PUF.
  • 35
    Bressé, S. (2003). L’enjeu de la professionnalisation du secteur de l’aide à domicile en faveur des personnes âgées. Retraite et société, 39(2), 119-143.
  • 36
    Abecassis, P., Beaumont, N., Gomis, C., Lafon, D., Métin, P., Michel, A., Pitol-Belin, E., Revillet, S., Seneque, B., Bedoit, G., Ferry, P., Gaillard, A., & Giroud, C. (2005). Évaluation et prévention des risques chez les aides à domicile. Documents pour le médecin du travail, 102, 161-189.
  • 37
    Doniol-Shaw, G. (2009). L’engagement paradoxal des aides à domicile face aux situations repoussantes. Travailler, 22(2), 27-42.
  • 38
    Voir par exemple Bernardo, L. (2003). La place des sentiments dans l’aide professionnelle de gré à gré. In, F. Weber, S. Gojard & A. Gramain (dir.), Charges de famille. Dépendance et parenté dans la France contemporaine (pp. 362-389). Paris : La Découverte.
  • 39
    Schwartz, Y. (2004). La conceptualisation du travail, le visible et l’invisible. L’Homme et la société, 152-153(2), 47-77.
  • 40
    Puech, I. (2012). La régulation des services à la personne et le secteur associatif des années 1970 à nos jours. Informations sociales, 172(4), 94-100.
  • 41
    Bernardo, 2003, op. cit.
  • 42
    Banens, C. (2014). L’humain avant tout. Recherche d’humanisation et de reconnaissance du travail dans le ménage à domicile (mémoire de master 2). Paris : EHESS.
  • 43
    Leduc, S., & Valléry, G. (2006). Approche des compétences sociales par l’analyse de l’activité : une étude chez les aides à domicile. O.S.P. l’orientation scolaire et professionnelle, 35(3), 397-419.
  • 44
    Rocher, M. Langevin, V., Castejon, C., Frachon, M., Poete, V., & Villatte, R. (2005). Regard sur le travail : quand les aides à domicile deviennent « auxiliaire de vie sociale » pour agir sur leurs conditions de travail et sur leur santé. Note scientifique & technique, 257. Vandœuvre : INRS.
  • 45
    Stiker, H.-J., Puig, J., & Huet, O. (2009). Handicap et accompagnement. Nouvelles attentes, nouvelles pratiques. Paris : Dunod.
  • 46
    Doniol-Shaw, 2009, op. cit.
  • 47
    Isaure, & Ferrier, B. (2012). Mémoires d’une femme de ménage. Paris : Éditions Points.
  • 48
    Le contrat de travail écrit, bien qu’il soit conseillé, n’est pas obligatoire pour les emplois dont la durée de travail n’excède pas 8 heures par semaine ou ne dépasse pas 4 semaines consécutives dans l’année. Ce qui peut expliquer que dans un certain nombre de situations de travail déclaré, le contrat de travail reste toujours sous forme d’accord verbal entre les deux parties.
  • 49
    Teiger, Cloutier, & David, 2005, op. cit.
  • 50
    Le bulgomme est un matériau caoutchouté fréquemment utilisé pour les revêtements de sol ou les protections d’objets du quotidien (exemple : sous-nappe en bulgomme). Son positionnement sur le minuteur permet de matérialiser le temps de chauffe idéal.
  • 51
    Observatoire des emplois de la famille. Rapport de la branche salariés du particulier employeur. Édition 2018. FEPEM.
  • 52
    Haddad, P. (2008). Mutations des services à la personne et enjeux qualitatifs. In, F. Dumalin & N. Rahou (coord.), Services à la personne : évolutions, organisation et conditions de travail (pp. 15-26). Lyon : ANACT.
  • 53
    Observatoire des emplois de la famille. Rapport de la branche salariés du particulier employeur. Édition 2018. op. cit.
  • 54
    DARES Analyses, février 2015, n° 010.
  • 55
    Observatoire des emplois de la famille. Rapport de la branche salariés du particulier employeur. Édition 2018. op. cit.
  • 56
    Rémila, N. (2017). Les principaux métiers des salariés bénéficiaires de minima sociaux. Études & résultats. DREES, 0994.
  • 57
    Caradec, 1995, op. cit.
  • 58
    Pommier, J.-L., Bardouillet, M.-C., Gilles, M., & Molinié, A.-F. (2006). Ce salarié devrait cesser de travailler : une approche de l’usure professionnelle des 50 ans et plus. Retraite et société, 49(3), 39-59.
  • 59
    Enaux, C., Lannoy, P., & Lord, S. (2011). Les mobilités éprouvantes. Regards sur les pénibilités des déplacements ordinaires. Articulo – Journal of Urban Research, 7, 1-9.
  • 60
    Devetter, F.-X., Messaoudi, D., & Favarque, N. (2012). Contraintes de temps et pénibilité du travail : les paradoxes de la professionnalisation dans l’aide à domicile. Revue française des affaires sociales, 2, 244-268.
  • 61
    Voir Pezet-Langevin, V. (2014). Burnout : mieux connaître l’épuisement professionnel. Hygiène et sécurité du travail, 237, 6-9. Voir aussi Messaoudi, D., Farvaque, N., & Lefebvre, M. (2012). Les conditions de travail des aides à domicile : pénibilité ressentie et risque d’épuisement professionnel. In, R. Marquier et S. Nahon, Les conditions de travail des aides à domicile en 2008. Dossiers solidarité et santé de la DREES n° 30 (pp. 5-28). Paris : DREES.
  • 62
    Voir sur ce thème Ribert-Van De Weerdt, C., & Baratta, R. (2016). L’analyse de l’activité et des émotions : regard sur une méthode en évolution à partir d’une étude de cas. Le travail humain, 79(1), 31-52 : Van de Weerdt, C. (2016). Les émotions au travail des intervenants à domicile. Hygiène et sécurité du travail, 243, 42-46.
  • 63
    Abecassis et al., 2005.
  • 64
    Voir Marc, J., Grosjean, V., & Marsella, M.C. (2011). Dynamique cognitive et risques psychosociaux : isolement et sentiment d’isolement au travail. Le travail humain, 74(2), 107-130 ; Ladreyt, S., Lhuilier, D., Marc, J., & Favaro, M. (2014). Rapport subjectif à l’isolement au travail : régulation, résistance, dégagement. Note scientifique et technique, 325. Vandœuvre : INRS.
  • 65
    Avril, C. (2006). Le travail des aides à domicile pour personnes âgées : contraintes et savoir-faire. Le Mouvement social, 216(3), 87-99.
  • 66
    Teiger, C. (1977). Les modalités de régulation de l’activité comme instrument d’analyse de la charge de travail dans les tâches perceptivo-motrices. Le Travail humain, 40(2), 257-272. ; Pueyo, V., & Gaudart, C. (2000). L’expérience des régulations individuelles et collectives des déficiences. In A. Weill-Fassina, & T.-H. Benchekroun (dir.). Le travail collectif. Perspectives actuelles en ergonomie (pp. 257-272). Toulouse : Octarès Éditions. ; Leplat, J. (2006). La notion de régulation dans l’analyse de l’activité. Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 8(1), 2-25.
  • 67
    Voir le guide de bonnes pratiques face aux risques professionnels dans les services à la personne réalisé notamment par le réseau ANACT-ARACT.
  • 68
    Davezies, P. (1993). Éléments de psychodynamique du travail. Éducation permanente, 116(3), 33-46.
  • 69
    Rocha, R. (2014). Du silence organisationnel au développement du débat structuré sur le travail : les effets sur la sécurité et sur l’organisation (thèse de doctorat). Bordeaux : université de Bordeaux.
  • 70
    Touahria-Gaillard en collaboration avec Bédel, 2015, op. cit. ; Bédel, C. (2015). Les expériences vécues des particuliers employeurs en situation de handicap. Rapport de monographies. Paris : Observatoire des emplois de la famille.
  • 71
    Cahn, C. (2017). Emploi mandataire au domicile, la qualité de vie pour ambition. Réalités et bonnes pratiques pour accompagner l’avancée en âge. Paris : Fédération mandataires.
  • 72
    Boudra, L. (2016). Durabilité du travail et prévention en adhérence. Le cas de la dimension territoriale des déchets dans l’activité de tri des emballages ménagers (thèse de doctorat). Lyon : université Lumière-Lyon 2.
  • 73
    Monteau, M., Leclercq, S., & Cuny, X. (2009). Les accidents consécutifs à une perturbation du mouvement. Nouvelle conception, nouvelle prévention. Hygiène et sécurité du travail, 215(6), 13-18 ; Leclercq, S., Monteau, M., & Cuny, X. (2010). Avancée dans la prévention des « chutes de plain-pied » au travail. Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 12(3), 1-15.
  • 74
    IPERIA l’Institut (dir.). (2011). Le management partagé, l’émergence d’un nouveau modèle pour les emplois de la famille ? Conférence de consensus du Conseil économique, social et environnemental. Alençon : IPERIA l’Institut Les Éditions.
  • 75
    Pomian, J.-L., et al. (2011). Conception des lieux et des situations de travail. Santé et sécurité : démarches, méthodes et connaissances techniques. ED 950. Vandœuvre : INRS.
  • 76
    Millanvoye, M. (2004). Les ambiances physiques au poste de travail. In, P. Falzon (dir.), Ergonomie (pp. 99-113). Paris : PUF.
  • 77
    Dussuet, 2013, op. cit.
  • 78
    Assurance maladie (2016). L’Essentiel santé et sécurité au travail 2016. Document de synthèse. Paris : L’Assurance maladie risques professionnels.
  • 79
    Messing, K. (2016). Les souffrances invisibles. Pour une science du travail à l’écoute des gens. Montréal : Les Éditions Écosociété.
  • 80
    Messing, K. (2002). La place des femmes dans les priorités de recherche en santé au travail au Québec. Relations industrielles/Industrial Relations, 57(4), 660-686 ; Vogel, L. (dir.). (2003). La santé des femmes au travail en Europe. Des inégalités non reconnues. Bruxelles : Bureau technique syndical européen pour la santé et la sécurité.
  • 81
    Chappert F., & Therry, P. (2017). Photographie statistique des accidents de travail, des accidents de trajet, et des maladies professionnelles en France selon le sexe entre 2001 et 2015. Des tendances d’évolution différenciées pour les femmes et les hommes. Lyon : ANACT.
  • 82
    Doppler, F. (2004). Travail et santé. In P. Falzon (dir.). Ergonomie, (pp. 69-82). Paris : PUF.
  • 83
    Blanchet, A., & Gotman, A. (1992). L’enquête et ses méthodes. L’entretien. Paris : Nathan.
  • 84
    Les entretiens ont été réalisés par Céline Bédel et Leïla Boudra (FEPEM) et par Pascale Mercieca (ANACT).