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FEPEM Emploi à Domicile

Étude

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Avril 2016

Etude sur les assistantes de vie formées au module « Aidant familial auprès d’un parent âgé » de la Branche professionnelle des salariés du particulier employeur

Céline Bédel
Abdia Touahria-Gaillard
Mélanie Tocqueville
sous la direction scientifique d’Isabelle Puech

Introduction

L’Observatoire des emplois de la famille a mis en lumière, dans plusieurs de ses études, le rôle central des proches aidants auprès des particuliers employeurs dépendants et les configurations d’aide originales qui se dessinent à domicile entre l’aide familiale et l’aide rémunérée1Abdia Touahria-Gaillard, Céline Bédel, «Expériences vécues de particuliers employeurs en situation de handicap», Observatoire des emplois de la famille, novembre 2015; Eve Meuret-Campfort, «La qualité de l’aide au domicile des particuliers employeurs âgés dépendants», Observatoire des emplois de la famille, novembre 2015..

IPERIA l’Institut, quant à lui, a été amené dès 2012 à former des aidants non professionnels, dans le cadre de ses actions de formation expérimentales (développement des compétences numériques pour les intervenants à domicile, programme Track destiné à la formation à distance des aidants en Europe2En partenariat notamment avec la Compagnie des aidants et Eurocarers) ou de droit commun (Relais assistants de vie3Les Relais assistants de vie sont un dispositif financé par AGEFOS PME, développé et animé par IPERIA l’Institut, avec le soutien de la CNSA. Ils réunissent sur cinq cycles de séances de trois heures des assistants de vie, au plus près de chez eux. Ce dispositif de proximité, ancré sur les territoires, permet les rencontres et les échanges, mais aussi le renforcement de certaines compétences, avec l’intervention de spécialistes ou experts sur des thématiques spécifiques. Les Relais ont été suivis par plus de 1100 professionnels sur les trois dernières années, ce qui représente au total près de 200 cycles de relais assistants de vie sur cette même période.) initialement destinées à des salariés du particulier employeur.

Dans le prolongement de leurs travaux, la direction scientifique d’IPERIA l’Institut et l’Observatoire des emplois de la famille de la FEPEM ont souhaité réaliser ensemble une étude visant à mieux comprendre les problématiques spécifiques des aidants dans le secteur de l’emploi à domicile entre particuliers, à travers le prisme de la formation professionnelle.

La France compte 8,3 millions de proches aidants qui sont majoritairement des conjoints et des parents. Leur moyenne d’âge est relativement élevée (52 ans) et près de la moitié sont actifs. Souvent considérées comme plus compétentes et plus disponibles que les hommes pour prendre soin des membres de la famille, les femmes représentent la majorité des aidants familiaux4Au domicile des personnes âgées, quand l’aide familiale est apportée par une seule personne, elle l’est par une fille dans les trois quarts des cas d’aide à un parent et par une femme dans 70% des cas d’aide au conjoint : C. Bonnet, E. Cambois, C. Cases, J. Gaymu, «La dépendance : aujourd’hui l’affaire des femmes, demain davantage celle des hommes ?», Population et sociétés, n°483, novembre 2011.. «Naturels», «familiaux», «informels», «proches», les aidants sont, à travers l’aide régulière qu’ils apportent à leur proche, le pilier essentiel du maintien à domicile des personnes fragiles.

La loi de 2005 définit le statut d’aidant de personnes handicapées, mais c’est seulement en 2015, que la loi française a reconnu le proche aidant auprès de personnes âgées : « une personne qui vient en aide de manière régulière, à titre non professionnel, pour accomplir une partie ou la totalité des actes de la vie quotidienne d’une personne âgée en perte d’autonomie peut être considérée comme un proche aidant. Ainsi, peut être considéré comme un proche aidant de la personne aidée : son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, un parent, un allié ou une personne résidant avec elle ou entretenant avec elle des liens étroits et stables ».

L’aidant est ainsi défini comme un «non professionnel», alors même qu’il peut, sous certaines conditions, être rémunéré par le proche aidé et lui délivrer des gestes prescrits. Dans les faits, la frontière entre l’aide apportée par les proches et celle délivrée par les intervenants professionnels est poreuse. En endossant la responsabilité morale de l’aide, le proche est tenu d’assurer un rôle de coordinateur auprès des intervenants du domicile, mais il se trouve aussi à assurer certaines tâches, parfois complexes et techniques5En France, la loi autorise, sous réserve de formation, l’accomplissement par l’aidant de gestes techniques prescrits. Dans d’autres pays comme le Québec, on assiste à une professionnalisation croissante des soins familiaux depuis le « virage ambulatoire» des années 1990 qui opère un transfert des soins hospitaliers vers le domicile. En France, on peut faire l’hypothèse que le développement de l’hospitalisation à domicile posera demain sous un nouvel angle la question du statut et du rôle de l’aidant non professionnel tenu de se professionnaliser… malgré lui ?, qui tendent à professionnaliser une activité pensée avant tout, par l’aidant et par ses proches, sur un registre familial et relationnel.

Face à la lourdeur de la charge physique et mentale que cet accompagnement «non professionnel» peut représenter, les aidants sont nombreux à souhaiter être accompagnés et aidés.

En France, de nombreux dispositifs de soutien et d’aide aux aidants existent. Des aides matérielles sont, par exemple, mises à la disposition de l’aidant ou de la personne aidée pour garantir la sécurité au domicile. Des lieux d’information et d’échange (Café des aidants par exemple) permettent aux aidants de se rencontrer et d’échanger sur leurs expériences et difficultés. Des «ateliers santé» ciblent les problèmes médicaux rencontrés par les aidants. La plupart des formations proposées n’ont pas vocation à faire prévaloir des compétences professionnelles.

Parallèlement, la Branche professionnelle des salariés du particulier employeur a développé des modules de formation continue pour les salariés de la Branche qui sont aidants d’un parent en situation de handicap ou âgé dépendant. Contrairement aux autres formations proposées par les associations de soutien aux aidants, les modules de formation de la Branche s’adressent exclusivement à des salariés qui exercent leur activité à domicile et pour lesquels la formation au rôle d’aidant peut être, nous en faisons l’hypothèse, un vecteur de reconnaissance et de professionnalisation de leur activité.

Cette étude propose d’analyser les parcours de salariés du particulier employeur qui font le choix de suivre le module de formation continue «Aidant familial auprès d’un parent âgé».

La formation est-elle, pour les proches aidants, un vecteur de reconnaissance et de professionnalisation? Quelles sont les incidences de la formation sur la vie des proches aidants? Quelle complémentarité peut-on observer entre les proches aidants et les intervenants professionnels?

Partie 1 – Présentation de l’enquête

I. Le module de formation continue « Aidant familial auprès d’un parent âgé »

IPERIA l’Institut propose, dans le catalogue de formation continue prioritaire6La formation continue est un droit dont les salariés bénéficient dès la première heure travaillée. Quarante heures sont dévolues à chaque salarié et sont entièrement financées dans le cadre du plan de formation. Un des employeurs du salarié accepte d’être «l’employeur porteur» en validant la formation et en servant d’intermédiaire pour le versement des salaires (remboursés par AGEFOS-PME) et le remboursement des frais annexes, également pris en charge., un module qui s’adresse aux salariés du particulier employeur qui sont par ailleurs proches aidants : le module «Aidant familial auprès d’un parent âgé». D’une durée de vingt heures, celui-ci vise à comprendre les spécificités de l’activité de proche aidant dans la sphère personnelle, les limites de ce rôle, ainsi que ses différentes dimensions (affective et émotionnelle notamment).

Au cours des quatre dernières années, trente-deux femmes salariées du particulier employeur ont suivi ce module de formation continue, proposé sur la période, par trois organismes de formation, dans le Var, l’Hérault et le Nord.

Chacun de ces organismes de formation a proposé au moins une fois, au cours des quatre dernières années, le module «Aidant familial auprès d’un parent âgé». Les organismes de formation ont la liberté de pouvoir construire leur trame pédagogique, qui est validée par IPERIA l’Institut. On constate néanmoins un certain nombre de similitudes entre eux, notamment le fait de proposer, sur les 20 heures que compte le module étudié, des méthodes pédagogiques actives afin de pouvoir mettre en confiance les apprenants et les amener à prendre de la distance avec les situations rencontrées (études de cas, jeux de rôles…).

Les premières séances ont pour but d’amener l’apprenant à définir son activité d’aidant et à se situer par rapport aux autres membres de la famille et à l’équipe d’intervention. Une attention particulière porte sur la nécessaire clarification par l’aidant de sa posture en tant que membre de la famille et en tant qu’aidant d’un proche, ainsi que sur sa capacité à mettre en mots cette posture. Les séances suivantes amènent l’apprenant à s’interroger sur le cadre de son intervention et sur les limites de celui-ci. Les dernières heures de ce module sont particulièrement intenses : elles portent sur les dimensions émotionnelles et affectives du rôle d’aidant. Les formateurs travaillent ainsi avec les salariés-aidants en individuel et en groupe pour créer des espaces temps qui permettent d’instaurer des temps de répit. La notion de burn out est abordée en essayant de trouver des clés pour prévenir cette situation. Enfin, les formateurs qui connaissent parfaitement le tissu local et régional, tendent à donner aux salariés-aidants des informations précises sur les lieux, les institutions et personnes qui peuvent être en mesure de les écouter, de leur permettre de prendre du recul, de prendre soin d’eux mais aussi de déléguer lorsque cela devient nécessaire.

Ces formations portent ainsi exclusivement sur le rôle de proche aidant. Or nous verrons que les personnes rencontrées qui ont suivi ce module, ne sont pas toutes dans cette situation d’aidant et n’ont pas toujours suivi ce module à des fins personnelles. Elles ont pu être aidantes dans le passé, anticipent parfois de l’être dans un futur plus ou moins proche et/ou travaillent au contact de proches aidants.

II. L’enquête de terrain

Préalablement à la réalisation des entretiens, grâce au passeport de formation7Un passeport de formation est remis à tous les stagiaires de la formation certifiante et de la formation continue. Il est rempli par le formateur de l’organisme de formation pour attester de la présence du stagiaire et pour décrire les modules suivis. Il existe un passeport de formation par personne. Chaque passeport comporte un numéro individuel qui permet de retracer le parcours de formation de chaque personne. Il a donc plusieurs atouts : d’une part, il permet aux salariés de pouvoir conserver une trace «administrative» et qualitative des formations suivies, d’autre part, les salariés peuvent s’appuyer sur leur passeport de formation pour rechercher de nouveaux employeurs et valoriser auprès d’eux les compétences acquises. des salariées qui ont suivi le module de formation «Aidant familial auprès d’un parent âgé» (et qui sont toutes des femmes), l’ensemble des parcours de formation suivis par les salariées dans la Branche, ont pu être reconstitués8Les parcours de formation sont présentés en annexe.. La «densité» de ces parcours varie fortement selon les personnes rencontrées : certaines n’ont par exemple suivi qu’un ou deux modules, tandis que d’autres en ont suivi une trentaine.

L’enquête de terrain9Les entretiens ont été réalisés par Céline Bédel, Mélanie Tocqueville et Abdia Touahria-Gaillard. s’est déroulée du mois d’octobre 2015 au mois de décembre 2015. Sur la trentaine de salariées qui ont suivi le module de formation, quinze ont accepté de participer à notre étude et de faire un entretien individuel semi-directif, généralement à leur domicile. Parallèlement, trois proches aidants, qui n’ont pas suivi le module de formation, ont été interviewés. Ces derniers ont participé en 2013-2014 à un programme européen, Carer+, basé sur le développement des compétences numériques des assistantes de vie. Enfin, trois salariés d’organismes de formation (deux formateurs et un cadre) ont été rencontrés.

Au total, vingt et une personnes, dont les noms ont été anonymisés dans le rapport, ont été interviewées pour les besoins de cette étude.

La grille d’entretien utilisée pour les salariés formés et pour les aidants qui ont suivi le programme Carer+ a été construite autour de quatre grandes thématiques :

  • La relation entre la personne aidée et l’aidant (nature du lien entre les deux personnes, proximité géographique, niveau de dépendance de la personne aidée, nombre moyen d’heures au service de la personne aidée, ancienneté de cette relation, tâches effectuées et implication des autres membres de la famille, etc.),
  • La configuration d’aide au sein du domicile (les différents intervenants professionnels au domicile et la coordination entre ces derniers et l’aidant, la place de l’aidant dans cette configuration, la mise en place d’outils de coordination, la spécificité de certaines tâches techniques, le développement possible de certaines compétences, etc.),
  • Le parcours de l’aidant (comment la personne est-elle devenue aidante? Pourquoi elle? Quelle était sa situation personnelle et professionnelle au moment où elle est devenue aidante?),
  • La formation de l’aidant (son parcours de formation, les apprentissages et compétences développées pendant la formation et après, auprès de la personne proche aidée et auprès éventuellement des employeurs, le facteur déclencheur du départ en formation «Aidants», les bénéfices de la formation, etc.).

La grille d’entretien utilisée auprès des représentants d’organismes de formation porte essentiellement sur la mise en œuvre du module «Aidant familial auprès d’un parent âgé». Leurs retours sur ce module de formation (et sur d’autres dont les thématiques sont proches) nous ont permis de mettre en exergue les bénéfices de la formation, mais aussi les difficultés rencontrées par les salariés pendant la formation. De plus, le choix de l’organisme de formation de se positionner sur ce module est particulièrement intéressant car il répond souvent à une attente venant directement des salariés.

La retranscription complète des entretiens a permis une analyse fine et précise des thématiques les plus prégnantes. Cela nous a permis de conduire notre grille d’analyse et d’adopter une méthodologie de travail collaborative pour livrer au mieux les éléments les plus saillants. Cette analyse de la richesse du matériau récolté a mis en lumière différentes modalités d’exercice du rôle d’aidant et des rapports à la formation continue hétérogènes.

Partie 2 – Les assistantes de vie – proches aidants : une population hétérogène aux attentes de formation variées

Notre recherche s’intéresse aux assistantes de vie10Compte tenu de la proportion de femmes dans ces métiers et du fait que nous n’avons rencontré que des femmes, le genre féminin sera privilégié dans le rapport d’étude., salariées du particulier employeur, qui s’occupent d’un ou de plusieurs de leurs proches dépendants. Les proches aidants ne constituent pas une population homogène. Des disparités de degrés de dépendance des proches, de parcours de vie, d’âge, de situation professionnelle et personnelle, constituent autant d’éléments qui en font une population variée et qui impliquent de fait des expériences vécues différenciées.

Comme précisé dans la partie méthodologique, le premier critère de recrutement des enquêtés est le fait d’avoir participé au module de formation continue «Aidant familial auprès d’un parent âgé» proposé par IPERIA l’Institut. Nous sommes parties du postulat que l’intérêt pour cette formation s’expliquait par une expérience personnelle d’aidant familial et que de ce fait nous allions rencontrer exclusivement des proches aidants. Ce ne fut pas le cas et les réalités rencontrées furent bien plus riches.

Nous avons identifié trois types d’assistantes de vie, qui peuvent être à la fois salariées du particulier employeur dans leur vie professionnelle et aidantes dans leur vie personnelle11L’inscription dans un type, à un moment donné de son parcours, n’empêche pas de migrer vers un autre type à d’autres moments et ce pour une multitude de raisons relatives à son parcours personnel, aux modifications de l’implication familiale ou encore à l’évolution du degré de dépendance du parent aidé. :

  • Des assistantes de vie qui accompagnent des parents dépendants
  • Des assistantes de vie qui anticipent de devenir prochainement proche aidant
  • Des assistantes de vie qui côtoient des aidants dans leur métier d’assistant de vie

I. Premier profil : des assistantes de vie qui accompagnent des parents dépendants

Parmi les personnes rencontrées, certaines prennent en charge leurs parents dépendants, soit au domicile du parent, soit au domicile de l’aidant. Toutes n’exercent pas leur rôle de proche aidant de la même manière.

I.1 Trois modalités d’exercice du rôle d’aidant

I.1.1. Le proche aidant «pilier» : une figure centrale de l’accompagnement de la personne dépendante

Certains proches aidants rencontrés font figure de pilier dans l’accompagnement de leur parent en perte d’autonomie. Comme y invite l’image du pilier, cette modalité d’exercice du rôle d’aidant suggère que le proche est identifié par l’entourage et les professionnels comme un élément central et solide sur lequel tous peuvent s’appuyer. Interlocuteur privilégié et souvent exclusif, ce proche pilier a conscience qu’il porte une lourde charge objective allant de la gestion de l’intendance aux rendez-vous médicaux, en passant par la vie sociale de l’aidé. Cette charge objective s’accompagne d’une lourde charge subjective, à savoir le sentiment que tout repose sur ses épaules, l’impression d’être isolé sans aide extérieure et d’endosser une grande responsabilité morale. On retrouve, dans cette modalité d’exercice, des enfants uniques ou ceux qui endossaient déjà des responsabilités du temps de leurs parents valides. Etant dans l’impossibilité technique, psychologique et/ou financière de déléguer l’aide prodiguée à l’accompagné, leur répit est rare et l’épuisement guette.

I.1.2 Le proche aidant «pivot» : aiguilleur de l’accompagnement

La deuxième modalité d’exercice du rôle de proche aidant est celle du «pivot». L’image du pivot suggère une idée de rotation et d’aiguillage. Le proche pivot a une position centrale et importante dans l’accompagnement de la personne aidée. Toutefois, contrairement au pilier sur lequel tout repose, le proche pivot a des ressources personnelles, familiales ou financières suffisantes pour savoir vers qui s’adresser et pouvoir déléguer si besoin. Cette modalité d’exercice du rôle d’aidant semble plus apaisée malgré la charge objective et le sentiment de responsabilité morale vis-à-vis de l’accompagné qui peuvent toutefois rester conséquents.

I.1.3 Le proche aidant qui « s’ajuste» : un accompagnement ponctuel à la perte d’autonomie

La troisième modalité d’exercice du rôle de proche aidant est celle du proche qui «s’ajuste». Ni pilier, ni pivot, le proche qui s’ajuste ne connaît pas les mêmes arbitrages que dans les situations précédentes. Sans connotation péjorative, cet accompagnant est perçu comme une variable d’ajustement dans la configuration de l’aide. Son expérience n’est ni totale, car elle n’imprègne pas tous les pans de sa vie et de son identité, ni exclusive, car il y a d’autres personnes qui gravitent autour de l’aidé. De ce fait, sa charge objective est moins lourde car il n’est pas l’aidant principal, ou bien le degré de la dépendance du proche est moindre. Sa charge subjective est également moindre car n’étant pas le seul à apporter de l’aide, ses éventuelles défections ne sont pas vécues comme des abandons.

I.2 Quand l’accompagnement de son parent dépendant est à la fois évident et paradoxal : portrait d’une assistante de vie – pilier qui se fragilise

Carla Roland est âgée de 60 ans. Elle est salariée du particulier employeur. Depuis trois ans, elle habite à Hyères chez sa mère, âgée de 91 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Cette cohabitation a d’abord été une solution d’hébergement pour Carla Roland. A la suite d’une rupture conjugale, elle quitte le nord de la France et décide de s’installer dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans les premiers temps, elle vit chez sa mère. L’arrivée des problèmes de santé de sa mère contraint ensuite Carla Roland à rester vivre chez elle.

Le rôle de Carla Roland consiste à surveiller sa mère et lui préparer les repas. Elle a délégué l’entretien de la maison à une employée familiale (45 heures par mois) et la toilette à un service infirmier. Pour répondre aux besoins croissants de surveillance de sa mère, Carla Roland souhaite recruter une assistante de vie pour la seconder.

Carla Roland ressent une lourde charge psychologique qui s’accentue au fil du temps avec l’aggravation de la maladie de sa mère qui se manifeste par des pertes de repères dans le temps et dans l’espace, un comportement agressif et dangereux pour elle et pour les autres, des sautes d’humeur et des insomnies.

« Si vous saviez comment on a été complice avec ma mère, mère-fille… et il n’y a plus rien. Tout ça a éclaté, plus rien, le néant total ».

L’absence de soutien des autres membres de la famille, notamment de ses frères, amplifie sa souffrance. Depuis trois ans, Carla Roland assure quasiment seule le rôle d’aidant familial.

Parallèlement, Carla Roland est assistante de vie auprès de trois particuliers employeurs âgés pour une durée moyenne de 100 heures par mois (exclusivement en mode mandataire).

Carla Roland voit son travail comme une source de répit qui lui permet de s’extraire de son quotidien, devenu pesant en raison de la maladie de sa mère.

L’entrée dans le métier d’assistante de vie est relativement tardive dans le parcours de cette salariée qui, à l’âge de 56 ans, obtient le Diplôme d’Etat Auxiliaire de vie sociale (DEAVS) et travaille pendant trois ans dans des structures prestataires d’aide à domicile. Elle fait ensuite le choix de travailler chez des particuliers employeurs pour « être dans une grande relation humaine » dit-elle. Au moment de l’entretien, cela fait un an qu’elle est directement employée par des particuliers employeurs12Les trois particuliers employeurs de Carla Roland recourent aux services d’un organisme mandataire situé en Provence-Alpes-Côte-d’Azur que nous avons aussi rencontré. qui habitent à côté de chez elle.

« Au point de vue relationnel, c’est plus agréable de travailler avec un mandataire. Parce qu’avec le mandataire, le particulier employeur c’est notre employeur, il n’est pas là pour dire : “vous deviez faire de 9h à 11h, la dame, elle n’est pas encore arrivée”. C’est comme ça en prestataire, ça je l’ai connu dans le nord aussi. Malgré le verglas, c’était ça : ’Madame Roland, elle n’est pas encore arrivée’ ».

Au moment de l’enquête, Carla Roland a suivi deux modules de formation continue dans la Branche Salariés du particulier employeur : «Intégrer des pratiques professionnelles respectueuses de l’environnement» et «Aidant familial auprès d’un parent âgé». Elle a suivi cette dernière formation en lien direct avec son rôle de proche aidante.

I.3 Un recours à la formation motivé par son rôle d’aidante auprès de sa mère dépendante

Le parcours de formation d’une assistante de vie renseigne sur plusieurs éléments. Le nombre, la chronologie, la teneur des formations suivies et la cohérence des enchainements sont toujours significatifs (même si on ne peut pas toujours contrôler les éléments qui ont motivé le départ en formation, l’implication du réseau dans le choix par exemple).

Carla Roland accède pour la première fois à la formation continue lorsqu’elle est employée dans un service prestataire et que celui-ci lui propose une formation. Les formations lui semblaient alors obligatoires : « On était un peu obligées de les accepter. On s’en fichait, on était payées. »

Ce n’est pas seulement leur caractère supposé obligatoire et la prise en charge de la rémunération pendant la formation qui motivaient Carla Roland à suivre des formations. Elle y trouvait un véritable intérêt, resté intact aujourd’hui.

Bien qu’on ne connaisse pas le détail des formations suivies par Carla Roland lorsqu’elle était en service prestataire, son parcours de formation en tant que salariée du particulier employeur est éloquent à plusieurs titres :

  • le démarrage d’un parcours de formation continue dans le secteur des particuliers employeurs par le module « Aidant familial auprès d’un parent âgé »
  • une seconde formation liée à l’entretien domestique
  • un départ en formation concomittant avec une perte d’autonomie aggravée de sa mère chez qui elle habite.

Ces éléments nous invitent à penser à un recours familialo-centré à la formation « Aidant familial auprès d’un parent âgé » à savoir un recours motivé par une expérience de proche aidant cohabitant avec la personne accompagnée.

I.4 Des objectifs de formation centrés sur la gestion de sa relation avec son proche aidé : un proche aidant qui se forme pour mieux protéger l’aidé et apprendre à se protéger

Comme son portrait le montre, Carla Roland a fait l’expérience d’un glissement progressif et quasiment contraint vers le rôle d’aidante de sa mère. Elle est devenue aidante « forcément par la force, je n’ai pas eu le choix […] C’était comme ça, et pas autrement. Peut-être que si j’avais eu un appartement, peut-être que j’aurais été l’aidante qui passait le soir faire un petit coucou. » La cohabitation pour des raisons personnelles à la suite d’une rupture conjugale s’est muée en accompagnement quotidien. Ici, l’espace privé, le temps personnel de l’aidant et les problématiques professionnelles se télescopent. Car, même si Carla Roland exerce la profession d’assistante de vie, la pratique de son métier à son domicile auprès de sa propre mère a des incidences psychologiques bien différentes : « Pourquoi je suis dans le don pour les autres et pas pour ma mère? » se demande-t-elle sur un ton coupable.

Pour Carla Roland, la formation au module « Aidant familial auprès d’un parent âgé » répond donc à la fois à des attentes essentiellement personnelles, immédiates, techniques et psychologiques.

I.4.1 Un recours à la formation pour ses vertus psychothérapeutiques

On le voit, son parcours de formation continue dans la Branche a été initié par la formation au module «Aidant familial auprès d’un parent âgé» et cela a coïncidé avec son arrivée chez sa mère âgée. Lorsque nous la rencontrons, Carla Roland vit des moments très compliqués. Sa relation avec sa mère est très tendue et le registre lexical de la solitude émaille ses propos. Elle oscille entre le sentiment que sa mère lui nuit sciemment :

« Depuis le mois de juillet, ça empire, c’est catastrophique. Moi je suis son souffre douleur ».

et le fait que sa mère soit irresponsable en raison de sa pathologie :

« Il y a deux pathologies en Alzheimer, il y a la frontale et l’occipitale. L’occipitale c’est la moins virulente, la frontale c’est la plus terrible, la désinhibition, l’agressivité, la grossièreté, ça peut aller très loin. »

De toute la fratrie, elle est la seule à accompagner quotidiennement sa mère : elle dit d’elle-même qu’elle est « l’aidante principale. Ce gros rôle, oui c’est moi », semblant à la fois regretter que les autres n’investissent pas davantage ce rôle, s’octroient régulièrement des vacances alors qu’elle est contrainte de tout assumer.

« Eux, ils partent en vacances, mais moi je ne pars pas en vacances. En trois ans, j’ai eu trois périodes de deux jours où j’ai pu m’échapper. Et c’est catastrophique, parce qu’elle en est au stade où elle vit la nuit, où elle est agressive. »

Elle semble en même temps confortée dans l’idée que les autres membres de la fratrie en sont incapables, comme dans le cas de cette demande de réévaluation de la dépendance de sa mère.

« Ils [l’équipe médico-sociale évaluatrice du degré de dépendance] sont venus il y a quatre mois, c’était mon frère qui était là, il n’a pas su répondre aux questions. Il ne vit pas avec. Ils l’ont maintenue en GIR 4 mais il y a longtemps que le GIR 4 il est obsolète. […]. Elle ne peut plus rester toute seule. »

Dans ces conditions, Carla Roland expérimente deux sentiments ambivalents : la saturation vis-à-vis d’une mère qui la provoque sans cesse et la culpabilisation car elle sait qu’il s’agit de démence.

Ces sentiments l’enferment dans un cercle vicieux puisqu’ils s’auto-entretiennent. Ceci s’observe souvent lors d’un recours familialo-centré à la formation. Les aspects psychologiques priment en effet car il s’agit d’abord de trouver la bonne distance vis-à-vis de son parent dépendant, convertir son regard et faire le deuil du père, de la mère ou du conjoint que l’on a connu. Autant dire que sans accompagnement à cette conversion les écueils peuvent être nombreux, comme dans le cas de Valérie Galoin qui évoque sa situation de proche aidant cohabitant avec son père. Progressivement la fatigue la rend irascible vis-à-vis de lui et altère la communication. La formation devient alors une planche de salut :

« Et c’est là que j’ai voulu faire le stage aidant parce que pendant quatre mois je l’ai eu à la maison et ce n’est pas si simple quand c’est nos parents. […] On se permet plus de choses, ce qui fait qu’on est moins professionnel. […] Je vais l’engueuler pour certaines choses, ce que je ne me permettrais pas avec les gens, même si c’est la même chose. Et mon père pareil, il va me répondre, ce qu’il n’oserait peut-être pas faire avec les assistantes de vie. Il y a un rapport qui n’est pas du tout le même. Ce n’est pas facile au quotidien. »

Sans surprise, plus la dépendance de la personne aidée est lourde et plus compliquée est la situation de l’aidant. Ce dernier fait souvent l’expérience de l’isolement et il est d’autant plus démuni qu’il est face à une personne familière qui devient progressivement inconnue à cause des transformations qu’opère la maladie. Le rôle d’aidant envahit toute la vie et tous les pans de l’identité (en raison d’un sentiment de devoir moral très fort, d’une culpabilisation) et à court ou moyen terme, surtout en cas de cohabitation, le besoin d’instaurer des limites émerge.

I.4.1.a Apprendre à demander de l’aide

Lors de l’accompagnement d’un parent dépendant, des sentiments ambivalents se mélangent, comme par exemple la crainte de devenir maltraitant et l’impression de subir de la maltraitance, comme le souligne Carla Roland :

« Pour maman, je ne suis pas présente. C’est ce que j’expliquais lors de la formation, je ne suis pas présente parce que je suis arrivée à saturation, à un point où je ne la supporte plus. Et ça, ça, ce n’est pas arrangé. Ou alors, il faudrait que je parte huit jours, que je déconnecte. Je ne supporte plus ses rires ironiques, sournois, méchants, mais elle sait ce qu’elle fait en plus. Parce que quand il y a du monde à la maison, elle est super cool. Dès que les gens sont partis, ça commence. »

« Voilà quand j’étais fatiguée cette semaine, il fallait qu’elle vienne m’enquiquiner tout le temps. En fait, elle me cherche. Elle va me trouver et le jour où elle va me trouver, ça va aller mal. »

L’intérêt de la formation pour les aidantes a été de rappeler qu’elles doivent s’autoriser à demander de l’aide autour d’elles : en effet, dans les propos des assistantes de vie-aidantes, la question des inégalités de traitement dans la fratrie et l’impression de sacrifice ont souvent fait surface, révélant les ressentiments vis-à-vis des autres membres de sa famille. Pour Carla Roland, le travail devient la seule échappatoire :

« […] Vie privée, je ne sais plus ce que c’est. C’est métro, boulot, dodo, comme on dit à Paris. Et heureusement que j’ai le travail parce que sans quoi je… »

I.4.1.b Une formation à visée thérapeutique

La psychologisation du social est un phénomène bien étudié aujourd’hui13Maryse Bresson, Robert Castel, Nicolas Duvoux, entre autres auteurs, ont analysé les causes et les effets de l’individualisation des politiques sociales et les incidences psychologiques de la personnalisation de l’action sociale., selon lequel les difficultés d’un individu relèveraient d’abord de sa propre responsabilité avant d’être structurelles. Cette norme d’autonomie de l’individu traverse la société et imprime jusqu’aux expériences des assistantes de vie-aidantes qui, devant leurs problèmes, pensent avoir atteint des limites personnelles sans même se demander quelle est la part de responsabilité sociale dans ces écueils et qui envisagent : « sérieusement à faire deux – trois séances de psychothérapie. Je suis arrivée à un stade où j’en ai besoin, annonce Carla Roland. Je suis en attente de ça, parce que ça va mal se terminer » poursuit-elle.

La formation semble donc à la fois être produite par cette lecture psychologisante des difficultés sociales des individus et produire des discours chez les personnes formées qui soulignent ce besoin de soutien psychologique. Ce besoin apparaît dans les modalités de rationalisation des aidantes qui cherchent avant tout à comprendre. La fréquence du terme «déni» dans les propos de Carla Roland est probante à ce titre :

« Mais avec les personnes dont je m’occupe, et justement je viens d’avoir un nouvel adhérent qui a la maladie d’Alzheimer et ça se passe très très bien. Certainement parce que je suis encore dans le déni de ma maman. »

De la même manière, le réseau lexical de l’intériorité est fréquent chez elle comme chez d’autres participantes :

« [La formation] m’a apporté beaucoup de bonheur, beaucoup de douceur. Parce que Madame Couturier a été chercher au plus profond de moi, ce qui s’y nichait, il y a eu beaucoup de pleurs de ma part. »

L’accueil probable de la personne dépendante en établissement est perçu comme un abandon qui génère une forte culpabilité :

« Ça va être très difficile parce que je culpabiliserai et je sais que je ne suis pas toujours très tendre avec elle. Je me dirai ’je n’ai pas fait ce qu’il faut pour elle’. […] Pour moi, c’est un échec, oui […]. Et vous savez prendre la décision de mettre sa maman en structure, c’est difficile, on les accompagne et le soir, ils ne sont pas chez eux. »

La formation a donc des effets de développement personnel en apprenant à se faire confiance et à se sentir légitime à demander de l’aide :

« Ça a été une thérapie, d’ailleurs le lendemain je téléphonais à mes frères et je leur disais ce que j’avais sur le cœur. »

« Moi le troisième jour, j’ai craqué, j’ai pleuré, j’en pouvais plus, ça m’a fait du bien, c’était salvateur

I.4.1.c La formation : avoir les moyens pour rationnaliser le tragique de sa situation

Ces vertus «psychothérapeutiques» repérées dans la formation ont pour effet de permettre de rationnaliser, de trouver des éléments rationnels à une expérience humaine complexe et déstabilisante.

« Pour maman, je suis dans le déni encore. Je suis à 60 % dans le déni. Un truc comme ça. Je n’accepte pas sa dégradation, c’est sa violence qui commence à me faire peur. »

« Alors pourquoi je suis dans le don pour les autres et pas pour ma mère? Peut-être que le psychiatre va pouvoir répondre à ça. »

I.4.1.d Apprendre à ne pas se laisser envahir par sa relation avec la personne aidée

Dans nos sociétés où la famille nucléaire est le modèle de référence, il ne va pas de soi de cohabiter avec plusieurs générations14Ces propos sont à nuancer car dans le cadre des familles rurales, le partage du patrimoine (foncier, bétail, etc.) définit parfois le périmètre du familial et les normes de cohabitation.. L’accompagnement des ascendants s’est externalisé et est délégué aux institutions, même en l’absence de soins spécifiques. Les proches aidants font donc cette expérience particulière du soin aux aïeux, où l’inversion de la prise en charge à l’autre bord du spectre de la vie, produit des situations confuses et parfois émotionnellement difficiles à vivre.

En matière de formation des aidants, la distinction entre aspects techniques et psychologiques paraît de prime abord évidente : il semble facile de faire la part des choses entre ce qui relève des aides techniques et ergonomiques qui permettent d’acquérir des compétences en matière de posture par exemple ou de conseils diététiques et ce qui relève de l’aide psychologique pour gérer sa relation vis-à-vis de son parent, faire baisser la pression quand les esprits s’échauffent ou permettre de relativiser les situations troublantes. Pourtant, notre rencontre avec les salariés montre que parfois tout se mêle dans une situation de dépendance physique de son parent. L’inversion des rôles, les conflits larvés et non soldés, la responsabilité morale et les attentes sociales vis-à-vis des aidants (la ruralité montre des rapports encore plus étroits entre parents) peuvent se surajouter à la complexité des missions de soins. En effet, l’acquisition des compétences techniques par la formation ne les rend pas forcément transférables à tous les publics. Le rapport au corps et à l’intimité de l’autre ne prend pas le même sens selon l’identité de cet autre. Laver son enfant, laver un père, laver un voisin n’induit a priori pas les mêmes affects. Ce n’est pas seulement le rapport à la pudeur qui importe ici mais également l’histoire personnelle de chacun et la teneur des relations passées qui vont teinter les relations présentes. La formation peut ici remplir des objectifs très personnels et permettre de relativiser cet acte de soins sans nécessairement rentrer dans le détail des histoires personnelles.

Evelyne Jouen, aidante de son père à son domicile pendant quatre ans, est notamment revenue sur l’injonction d’abstraction édictée par une responsable de service qui ne pouvait répondre à sa demande d’aide. Laver son père, « ça va pas dans le sens » nous dit-elle. Résolue à demander de l’aide à un service prestataire, elle se heurte à une fin de non-recevoir :

« Écoutez Madame, j’ai soixante-cinq lits et je ne peux pas en prendre soixante-six. » « Alors j’ai dit “comment je fais là ?”. Alors elle m’a dit : “vous faites abstraction”. Alors voilà heureusement que j’étais pas un perdreau de l’année parce que… C’est pas évident de faire la toilette de son papa parce que ça va pas dans le sens. »

Son expérience montre qu’il n’y a rien de naturel ou d’évident dans les soins aux aïeux. Recourir à la formation devient alors le moyen d’apprendre progressivement à accompagner la pathologie de son parent comme celle d’un autre et admettre de faire abstraction, ce qu’affirme Carla Roland :

« Oui, je commence à faire abstraction de certaines choses. Je commence, la formation s’est terminée le 23 octobre15L’entretien a été réalisé le 2 novembre.

Pour plusieurs enquêtées rencontrées, être membre d’une famille induit toute une série de savoir-faire et de savoir-être naturalisés pour lesquels il n’y a pas besoin de formation. Toutefois, les situations de perte d’autonomie liée à l’âge mettent les liens familiaux et intergénérationnels à l’épreuve. Devant le caractère inéluctable de la future dépendance de ses ascendants et dans la perspective de cette mise à l’épreuve organisationnelle et émotionnelle, certaines assistantes de vie décident de suivre le module de formation continue « Aidant familial auprès d’un parent âgé ». Elles anticipent l’accompagnement de la perte d’autonomie de leurs parents.

II. Deuxième profil : des assistantes de vie qui anticipent leur rôle de proche aidant

L’allongement de l’espérance de vie, même si de nombreux travaux ont montré qu’il était inégalement distribué dans nos sociétés, nous invite à penser l’accompagnement de la dépendance, la nôtre ou celle de nos proches. Suivre le module de formation continue « Aidant familial auprès d’un parent âgé » participe pour certaines enquêtées rencontrées à l’anticipation de cet accompagnement.

II.1 Penser et anticiper l’accompagnement de la perte d’autonomie de son parent

Natalia Sanchez, âgée de 50 ans, habite dans une ville en périphérie de Montpellier. Dans son appartement, elle vit avec son fils âgé de 26 ans et sa mère de 86 ans qu’elle accueille chez elle un mois sur deux, à tour de rôle avec sa sœur. A la suite du décès de leur père en 2005, Natalia Sanchez et sa sœur décident un retour en France de leur mère (elle habitait en Espagne avec son mari) et l’accueillent à leur domicile.

Au moment de l’enquête, la mère de Natalia Sanchez est relativement autonome : elle se déplace, se rend à l’extérieur du domicile pour discuter avec ses amies, fait ses repas. Son principal besoin porte sur l’aide à la toilette.

Cette configuration familiale va prochainement changer. Natalia Sanchez et sa sœur ne pourront plus héberger leur mère : Natalia Sanchez se marie dans quelques mois et sa sœur envisage de partir vivre à l’étranger pour des raisons professionnelles.

Pour faire face à ces changements, Natalia Sanchez a proposé à sa mère d’emménager et de vivre seule dans un appartement, à proximité de chez elle. Natalia Sanchez envisage, dans cette nouvelle configuration, de faire appel à un service infirmier à domicile et de se faire rémunérer pour l’aide qu’elle apporte à sa mère, ce qui complètera la rémunération issue des heures de travail réalisées auprès de particuliers employeurs.

Natalia Sanchez travaille pour des particuliers employeurs depuis 2004. L’entrée dans ce métier s’est faite, pour elle, sur une opportunité. Sa cousine lui a proposé un contrat de travail chez un particulier employeur au domicile duquel elle ne pouvait plus intervenir. Natalia Sanchez, alors agent de conditionnement dans une usine, accepte ce contrat pour compléter son salaire, puis progressivement trouve d’autres particuliers employeurs et quitte finalement son emploi à l’usine. Au moment de l’enquête, elle travaille à plein temps pour cinq particuliers employeurs : quatre d’entre eux commencent à connaître des signes de perte d’autonomie, tandis que le cinquième est autonome.

Avec deux de ses employeurs, Natalia Sanchez a établi une relation d’emploi durable (11 ans et 6 ans d’ancienneté). Au fil des années, l’accompagnement de ses employeurs a contribué à faire évoluer son activité initiale d’employée familiale. Avec l’avancée en âge de ses employeurs, elle se charge, en plus des tâches ménagères, de l’accompagnement aux sorties.

Pour répondre au mieux à la perte d’autonomie de ses employeurs et à celle de sa mère, Natalia Sanchez a suivi des modules de formation continue dans la Branche Salariés du particulier employeur. Elle a eu connaissance de ces formations lors d’une réunion d’information sur les services à la personne organisée à la mairie de sa commune.

Entre 2012 et 2015, elle a suivi pas moins de onze modules de formation continue.

II.2 Un recours à la formation motivé par la valorisation d’un droit

Comme nous venons de le voir, Natalia Sanchez commence son activité de salariée du particulier employeur en tant qu’employée familiale en 2004. Elle apprend, grâce à une connaissance et presque par inadvertance, qu’elle peut assister aux réunions d’information qui se tiennent à la mairie et qu’elle a le droit de faire des formations. Elle a donc commencé son activité au domicile des particuliers employeurs à l’âge de 47 ans et a suivi depuis lors onze formations en trois ans : un nombre et une fréquence de formation qui soulignent son fort intérêt.

Son parcours de formation s’ouvre en 2012 avec le module «Maintien de l’autonomie dans la vie quotidienne». Le module «Aidant familial auprès d’un parent âgé» apparaît en avant-dernier, avant «Prendre soin de soi pour prendre soin des autres».

Ses employeurs, quatre personnes âgées qui ont de 60 à 94 ans, n’ont pas tous le même degré de dépendance et sont très encourageants vis-à-vis de la formation. Elle justifie le choix du module de formation continue «Aidant familial auprès d’un parent âgé» par deux raisons : d’une part, elle s’occupe de personnes âgées dépendantes et elle est donc amenée à fréquenter des aidants, et d’autre part, elle vit avec sa mère de 86 ans. Dans son cas, le recours à la formation est projectif et a pour principal but de préparer sur plusieurs plans la future dépendance de sa mère.

II.3 La formation : une préparation à son futur rôle de proche aidant

De nombreux travaux sur le care ont déjà montré l’intériorisation chez les femmes d’une mission de soins aux plus vulnérables et tâché de déconstruire cette naturalisation des fonctions. Mais ces avancées sont loin d’être diffusées. Les discours font encore une large part aux supposées qualités féminines et/ou culturelles :

« Moi je m’épanouis là dedans, j’ai besoin de donner aux autres […] Je lui ai dit : “c’est en formation qu’ils nous apprennent”. Pour elle [son employeure] c’est la personne, même. Elle me dit “c’est vous qui le portez en vous.” »

Natalia Sanchez a totalement intériorisé son rôle de fille aînée et elle estime que son devoir est d’aider sa mère. Elle sait d’elle-même qu’elle dépasse parfois son rôle auprès de sa mère : « j’ai tendance à la couver un peu trop » dit-elle au point de l’emmener en vacances avec elle au grand dam de son nouveau compagnon. Mais elle peut le justifier culturellement : « c’est vrai que nous c’est comme ça chez nous. » D’ailleurs, une de ses employeuses lui avait fait remarquer que « les Espagnoles et les Maghrébins ils sont plus famille, ils sont plus proches des parents. » La formation ne cherche pas forcément à déconstruire ce qui peut apparaître comme une ressource personnelle, un appui psychologique puisé dans son groupe d’appartenance culturelle, comme lors d’une expérience de deuil où les rituels d’accompagnement du défunt sont de forts soutiens pour les survivants.

II.3.1 Une préparation technique

Selon les thématiques choisies, la formation confère des appuis techniques, des modes d’emploi à l’usage de tous les bénéficiaires de soins, parents ou non. Cet apport technique octroie une légitimité supplémentaire au membre de la famille qui accompagne le parent. Des deux filles, Natalia Sanchez se sait nettement plus prévoyante et compétente pour aider leur mère :

« Je me rends compte du danger qu’il peut y avoir, alors je lui explique. Je suis allée au magasin orthopédique, et je lui ai acheté un fauteuil pour la baignoire, un téléphone exprès pour qu’elle puisse voir quand on appelle avec des grosses touches et tout. Elle dit : “je ne sais pas pourquoi tu achètes ces trucs, elle est autonome” et j’ai dit “tu t’en rends pas compte toi qu’elle prend de l’âge et qu’elle vieillit”. […] A ma sœur, je lui dis : “je vais te donner mes cours”. Elle, elle n’est pas du tout là dedans, elle est assistante de direction. Elle dit : “il faut la laisser pour qu’elle le fasse par elle-même.” Il y a certaines choses oui, mais d’autres non, elle ne peut pas. »

II.3.2 Une préparation administrative

L’accompagnement de sa mère allant «naturellement» de soi, Natalia Sanchez ne réclame pas expressément d’être rémunérée en retour, même si au cours de l’entretien elle reviendra à plusieurs reprises sur l’intérêt d’une rémunération. La formation lui prodigue des connaissances administratives et juridiques qui lui permettent de faire valoir ses droits à la rémunération en tant qu’aidante et les droits de sa mère à la compensation financière de son handicap :

« On a fait une formation «aidant pour un parent âgé à domicile». Et c’est là, que j’ai appris que je pouvais avoir de l’aide selon les revenus de mes parents. »

L’avancée en âge de sa mère amène Natalia Sanchez à anticiper les aspects logistiques et matériels de son accompagnement, ce qui nécessite une réorganisation financière, car sans prise en charge financière, Madame Sanchez ne pourrait pas envisager de prendre un petit appartement pour sa mère, ce qui aurait pour vertu de rendre sa mère plus autonome tout en permettant à sa fille de construire sa nouvelle vie conjugale.

« Quand elle sera dans son petit studio, alors là, je vais faire son dossier pour qu’elle soit prise en charge et que je m’occupe de ma maman. »

La formation l’a aidée à formuler différemment des arbitrages familiaux qui, sans cela, pourraient être source de malentendus.

« En formation, on en a parlé parce qu’après j’aurai mon travail, m’occuper de ma maman, en plus de ça, c’est des personnes âgées… Vu qu’elles deviennent de plus en plus en perte d’autonomie, elles deviennent agressives, elles demandent beaucoup plus de ma personne. Alors à un moment, il va falloir poser les bagages. En plus de ça, si je m’occupe tout le temps de ma maman, surtout si ma sœur compte partir à l’étranger, je ne vais pas pouvoir tenir. C’est pour ça que je lui ai dit : “Tu seras à côté. Et comme tu as une petite retraite, je lui ai dit, si tu vis indépendamment, tu auras plus de droit que si tu vis avec moi.” »

Cet aspect pratique abordé en formation produit également une préparation psychologique à la future conciliation vie conjugale et «piété filiale» tout en fournissant une justification de ces choix de vie.

II.3.3 Une préparation psychologique

Aux attentes sociales vis-à-vis des « pourvoyeuses de soins » peuvent se superposer des attentes familiales et des engagements moraux, comme dans le cas de Natalia Sanchez dont le père lui a fait promettre de ne pas mettre sa mère en maison de retraite :

« Donc c’est une promesse qu’on lui a fait. Et quand ma sœur est sortie de la chambre, il m’a dit : “je sais que tu vas t’en occuper plus que ta sœur” ».

Cet engagement vis-à-vis de ses parents ne prend pas nécessairement la forme d’une promesse verbalisée, mais peut être un contrat tacite entre générations, une « redevabilité filiale » qui va de soi et qui n’appelle pas forcément de rémunération. Toutefois, si cette rémunération est envisageable, elle sera acceptée par l’aidante car l’argent améliorera le quotidien sans rien enlever à la piété filiale.

« Moi je dis, les parents ils se sont sacrifiés pour nous et ils nous ont élevées. Mon papa était maçon et maman était femme de ménage. Ils se sont sacrifiés, ils nous ont laissé un appartement chacune en Espagne. Alors moi je dis, ça c’est ma façon de voir les choses, je dis que maintenant c’est à notre tour de nous en occuper. Et moi je compte m’en occuper. »

Ilal Chouber tient les mêmes propos : aidant c’est un devoir, mais pas un emploi dit-elle en substance, d’autant plus que les temps personnels et professionnels sont mélangés dans ces formes d’accompagnement car « quand on y va avec les enfants, c’est des moments passés en famille, ce n’est pas des heures de travail. » On voit ici, dans ce deuxième type de rapport à la formation des personnes rencontrées, que se former pour intervenir au mieux auprès de son parent ou éventuellement demain en cas de dépendance de ce même parent, n’appelle pas les mêmes affects ni ne recouvre les mêmes objectifs qu’une formation pour intervenir au domicile et sur le corps d’un autre. Dans ces configurations extérieures au domicile familial, l’intervention d’un tiers aidant (conjoint, ascendant ou descendant) est susceptible de modifier les interactions entre l’aidant professionnel et l’accompagné et une formation peut être utile pour rééquilibrer les forces. Gérer cette relation ne va pas forcément de soi. Il s’agit ici du troisième type de salariés du particulier employeur rencontrés : des salariés qui s’occupent de personnes en perte d’autonomie et qui à ce titre doivent aussi gérer des relations avec des aidants.

III. Troisième profil : des assistantes de vie qui côtoient des aidants dans leur métier

Le choix de la formation continue « Aidant familial auprès d’un parent âgé » n’est pas forcément uniquement motivé par une expérience personnelle dans ce rôle d’aidant. Une logique de formation continue et d’amélioration de sa pratique professionnelle peut également guider ce choix. Nous avons rencontré ces situations où les salariés du particulier employeur participent au module « Aidant » non pas pour répondre à des besoins personnels relatifs à leur relation avec leur parent aidé, mais dans une optique d’amélioration de leur pratique professionnelle.

Des recherches ethnographiques et sociologiques ont montré que les métiers du care comportaient une importante part de « relations de service à gérer »16Bénédicte Galtier, « Les formations et les métiers de la petite enfance. Quels points communs pour accompagner les changements de structure des jeunes enfants ? », Solidarité et santé, n° 48, DREES, novembre 2013.. Le métier d’assistant de vie ne fait pas exception. Les aspects relationnels constituent souvent une grande part du travail à fournir pour les salariés qui doivent autant gérer les soins de nursing à destination de la personne aidée que les aspects relationnels auprès des aidants qui sont parfois les employeurs officieux du salarié17Ibid.. Les compétences recherchées ne sont donc pas uniquement pratiques. Le comportement du salarié et sa gestion du relationnel sont tout aussi importants. Et c’est ce savoir-être que vise la formation.

De plus, le tiers, qu’il cohabite ou non avec l’accompagné, qu’il ait ou non une part active dans la prise en charge de son parent, vit également une épreuve émotionnelle et probablement organisationnelle. En faisant la formation, les salariées souhaitent mieux comprendre la situation d’un aidant, mieux saisir la complexité de leur situation spécifique afin de mieux adapter leur comportement en situation professionnelle. En apaisant les rapports avec la famille, un des effets bénéfiques attendus pour les formés est de moins souffrir des tensions en situation de travail, d’autant plus que les assistantes de vie interviennent seules au domicile de leur employeur, n’ont pas réellement de collègues de travail, et entretiennent une relation directe, sans médiation, avec la famille (l’employeur direct, mais aussi souvent les proches aidants).

III.1 Le choix de la formation «Aidant» n’est pas forcément motivé par une expérience personnelle dans ce rôle d’aidant

Ilal Chouber âgée de 42 ans, réside avec ses trois enfants et son mari dans une banlieue pavillonnaire proche de Montpellier. Elle habite à proximité de ses sœurs et de sa mère. Depuis un an, cette dernière commence à avoir besoin d’aide pour vivre de façon autonome à son domicile, notamment pour cuisiner, pour faire le ménage et pour se rendre à ses rendez-vous médicaux. Ilal Chouber, en alternance avec ses deux sœurs, aide sa mère quelques heures par semaine.

Ilal Chouber est salariée du particulier employeur depuis plus de quinze ans. Au moment de l’enquête, elle travaille pour deux particuliers employeurs âgés. Ponctuellement, elle intervient aussi au domicile d’autres employeurs pour remplacer Valérie Galoin lorsque celle-ci est absente. Valérie Galoin est une amie, elle aussi salariée du particulier employeur. Elles ont créé ensemble une association «Relais» qui leur permet d’assurer au domicile des particuliers employeurs dépendants, une présence continue, y compris la nuit et le weekend.

Au domicile de ses employeurs, Ilal Chouber côtoie des infirmiers, des aides à domicile qui travaillent pour une structure prestataire, des kinésithérapeutes et d’autres salariés du particulier employeur. Ces intervenants se succèdent au domicile, plus qu’ils ne se rencontrent. La communication entre eux s’effectue essentiellement à travers le cahier de liaison ou par l’intermédiaire d’un aidant familial. Ce dernier joue parfois un rôle d’employeur officieux18Eve Meuret-Campfort, « La qualité de l’aide au domicile des particuliers employeurs âgés », Observatoire des emplois de la famille, novembre 2015..

Depuis deux ans, Ilal Chouber suit des modules de formation continue dans la Branche Salariés du particulier employeur. Elle a commencé à suivre des formations sur les conseils de Valérie Galoin, qui est elle-même inscrite dans un parcours de formation continue depuis 2006.

III.2 Une formation non spécialisée en perte d’autonomie liée à l’âge

Le parcours de formation d’Ilal Chouber ne fait pas apparaître de thématique principale, elle s’intéresse autant aux formations relatives au handicap, à la perte d’autonomie liée à l’âge ou aux troubles du comportement, montrant ainsi son intérêt pour l’accompagnement de toutes les formes de dépendance psychique, mentale et/ou physique. Elle a créé avec une assistante de vie et amie, une association, pour mieux s’organiser et déléguer en toute confiance les soins auprès des employeurs. Elle la présente d’ailleurs non pas uniquement comme une source de confort personnel, qui lui permettrait de souffler parfois, mais également comme une marque d’intérêt pour ses employeurs qui n’ont pas à se familiariser avec d’autres salariés. En un sens, organiser son remplacement en constituant une équipe fait partie intégrante de la bientraitance. Depuis 2013, date du démarrage de son passeport de formation dans la Branche Salariés du particulier employeur, Ilal Chouber a suivi sept formations. Elle commence par le module «Fin de vie» puis, à propos de l’accompagnement des personnes âgées, on note une préférence pour des formations fondées sur des approches plus relationnelles que réellement techniques au sens physique du terme : en 2014, elle suit notamment la formation «Relation, communication avec les personnes âgées et/ou dépendantes», puis en 2015 « Aidant familial auprès d’un parent âgé », et « Prendre soin de soi pour prendre soin des autres ».

La formation au module « Aidant familial auprès d’un parent âgé » est la cinquième sur les sept suivies depuis 2013, juste avant la formation « Relais assistants de vie ».

III.3 Une salariée qui se forme pour améliorer ses savoir-faire et ses savoir-être dans une optique principalement professionnelle

Ilal Chouber valorise ses formations lorsqu’elle passe un entretien d’embauche avec un employeur car elle considère que c’est une plus-value par rapport à des candidats concurrents, sans pour autant savoir si cela est déterminant pour ses futurs employeurs. Toutefois, elle pense que dans les situations de perte d’autonomie :

« [La formation] est bien perçue, oui, c’est un soulagement, parce qu’aidant, c’est lourd. Quand on est plusieurs, il y a un roulement, ça va, mais quand on est seul. Quand on est confronté à la maladie, à la fin de vie… »

Travailler dans l’espace privé de ses employeurs, avoir une relation contractuelle avec un employeur dépendant qui n’est pas, in fine, le réel gestionnaire de la relation d’emploi et évoluer dans un contexte de perte d’autonomie et de fin de vie, tous ces éléments ont des incidences sur l’expérience professionnelle des assistantes de vie.

Au fur et à mesure de leur fréquentation des aidants, les salariées estiment important d’être outillées pour gérer au mieux cette relation de travail. Comme le souligne Sylviane Henry, une jeune trentenaire, non diplômée qui exerce depuis une dizaine d’années, la formation :

« C’est par exemple pour plus comprendre, parce que souvent on s’occupe de personnes qui sont comme les personnes qui étaient à la formation. […] C’est tout un état psychologique qui va avec. C’est vrai qu’avec les expériences des unes et des autres, du coup, on est comme une éponge qui absorbe. »

Les modules sont donc également formateurs par les échanges et les rencontres qu’ils permettent.

III.3.1 Une logique de formation continue et d’amélioration de sa pratique professionnelle (apprentissage des techniques et postures) : portrait d’une perpétuelle formée

Valérie Galoin, âgée de 52 ans, réside dans un pavillon à Montpellier avec son fils de 11 ans et son mari qui exerce la profession de médecin. Les deux parents de Valérie Galoin, qui habitent près de chez elle, commencent à être dépendants. Valérie Galoin s’occupe seule d’eux. Son unique frère est décédé.

Elle aide sa mère trois heures par semaine pour faire les courses et le ménage. Un contrat de travail en emploi direct encadre ses heures de travail : Valérie Galoin est salariée par sa mère.

Elle l’a aussi été par son père, âgé de 79 ans, qui vient d’être admis dans une maison de retraite à Montpellier. Valérie Galoin a hébergé son père, pendant un an, dans l’attente d’une place dans cette maison de retraite. C’est durant cette période que Valérie Galoin a été salariée par son père.

Parallèlement, Valérie Galoin travaille pour d’autres particuliers employeurs. En 2015, elle a fondé une association, « Le Relais », avec Ilal Chouber.

Valérie Galoin est devenue salariée du particulier employeur à la suite d’une reconversion professionnelle, à l’âge de 41 ans (il y a plus de dix ans au moment de la réalisation de l’entretien), après une longue carrière de danseuse professionnelle. A la suite de la naissance de son fils et d’une conversion religieuse (christianisme), elle abandonne son métier de danseuse professionnelle. Elle choisit d’être assistante de vie pour concilier son temps de travail avec son temps familial et pour répondre à sa volonté d’« aider les autres ».

Depuis qu’elle est salariée du particulier employeur, Valérie Galoin suit, tous les ans, des modules de formation, à titre privé pour mieux gérer son rôle d’aidante familiale, mais aussi à titre professionnel, pour faire face aux comportements potentiellement agressifs des personnes âgées et pour se former à d’autres situations professionnelles.

Le profil de Valérie Galoin s’approche de celui d’un proche pivot. Elle s’est occupée de son père pendant un an avant qu’il ne rejoigne une institution, soigneusement choisie pour des raisons culturelles. Elle a ressenti le besoin de la formation « Aidant familial auprès d’un parent âgé » au bout de quatre mois d’accompagnement de son père. Si la formation l’a aidée dans l’exercice de son rôle, elle en retire également des bénéfices dans sa pratique professionnelle, et justifie son intérêt par une recherche de formation perpétuelle et de réactualisation de ses compétences « je me formais quand même pour être prête pour les autres postes » affirme-t-elle.

Par ailleurs, comme plusieurs autres salariées rencontrées, elle ne voit pas l’intérêt pratique d’avoir un diplôme d’Etat, parfois demandé dans les structures prestataires, sauf par crainte de ne plus pouvoir exercer sans justifier de cette certification :

« C’est quand même quelque chose qui est un petit peu lourd à faire. Ça prend beaucoup de temps et je n’ai pas trop de temps pour l’instant. Peut-être que je le ferais, peut-être. Mais il faut s’alléger au niveau du boulot, quotidiennement parce que c’est difficile de faire les deux. En plus, j’ai un petit garçon qui a 11 ans. […] Mais ça ne m’empêche pas de bosser. Quand on travaille bien…. Après c’est vrai qu’il faut quand même l’avoir, c’est mieux. […] parce que j’ai peur qu’après l’Etat bloque en disant “il faut un diplôme maintenant pour être auxiliaire de vie.” On ne sait pas comment les choses peuvent évoluer. »

Le parcours de Valérie Galoin est éloquent puisqu’elle a suivi vingt-huit modules de formation continue en dix ans (cf. infra).

Son début d’activité en tant que salariée du particulier employeur est marqué par une formation « Employé familial auprès des personnes âgées non dépendantes », ce qui est une entrée en matière assez généraliste tant au niveau des compétences que des publics accompagnés. D’ailleurs, contrairement à d’autres formations suivies plusieurs fois, Valérie Galoin ne refera pas cette formation et la seule formation généraliste suivie sera « Préparation du certificat prévention secours intervenant à domicile » en 2012. Par ses choix ciblés, Valérie Galoin marque ainsi sa volonté d’obtention de compétences plus spécifiques auprès d’un public particulier : les personnes en perte d’autonomie. Elle suivra dix formations faisant directement référence à ces publics dans leur intitulé. On peut distinguer les formations visant les savoir-faire de celles visant les savoir-être : « Mobilisation, ergonomie auprès de personnes âgées et/ou dépendantes », « Assistant de vie auprès des personnes âgées dépendantes », « Maintien de l’autonomie dans la vie quotidienne », « Assistant de vie auprès d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer », « Accompagner les personnes atteintes de troubles du comportement », « Assistant de vie auprès d’une personne en situation de handicap », « Aidant familial auprès d’un parent âgé » appartiennent à la première catégorie. La seconde catégorie comporte des modules abordant des aspects relationnels de l’accompagnement : « Relation, communication avec les personnes âgées et/ou dépendantes », « Préparation des repas et service de table », et un intérêt psychologique commun au salarié, à sa famille et à l’accompagné : « La fin de vie, le deuil », « Prendre soin de soi pour prendre soin des autres ». Les dernières formations en date sont des formations à l’adaptation face aux affects négatifs : « Gestion du stress et relaxation », « Faire face à l’agressivité et adapter son comportement ».

Chez Valérie Galoin, on observe également un attrait pour les modules de socialisation professionnelle tels que : « Gérer son activité auprès de plusieurs employeurs », « Relais assistants de vie ». Cela souligne la spécificité du métier d’assistante de vie qui doit apprendre à gérer une relation de service avec les proches aidants (souvent les employeurs officieux de la salariée) pour mieux accompagner la personne âgée dépendante.

Un fort recours à la formation est justifié chez Valérie Galoin par sa volonté de réactualisation de ses compétences dans ces contextes tendus d’accompagnement de la perte d’autonomie où les assistantes de vie doivent parfois composer avec les « forts caractères » des personnes âgées et de leurs aidants familiaux :

« Moi, je travaille avec une famille difficile actuellement. Il y a quatre filles déjà qui sont parties de ce poste-là parce que la fille est un peu… pas nette. Ça arrive. Mais moi, j’arrive à faire la part des choses. C’est-à-dire que ça glisse un peu. Ça dépend des caractères. Moi je travaille chez cette personne âgée, la fille vient, elle fait son mic-mac et puis après elle repart. Voilà. Ça ne me dérange pas, elle peut faire son cinéma, ça ne me gène pas. […]
Question : Est-ce que la formation vous a aidée à ça ?
Valérie Galoin : Oui. Enormément.
Question : On vous apprend quoi ? Il y a des techniques ? Concrètement.
Valérie Galoin : Oui, déjà comprendre la psychologie de la personne âgée, ne pas prendre les choses au premier degré pour soi, parce que des fois ils sont mal et c’est vous qui prenez en première place. Déjà, il faut se former à prendre des coups sans les recevoir parce que ces coups-là, ils ne sont pas destinés à nous. C’est comprendre la manière d’agir par rapport aux personnes âgées, leur tristesse, leur blues qu’ils vivent parce qu’ils arrivent à la fin. Quand ils comprennent que nous on essaye de soulager, d’aider et bien voilà ça se passe bien. Moi, je le vois comme ça. »

L’étude de l’Observatoire des emplois de la famille « La qualité de l’aide au domicile des particuliers employeurs âgés »19Eve Meuret-Campfort, « La qualité de l’aide au domicile des particuliers employeurs âgés », Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, novembre 2015. montre la même chose. Dans les cas de dépendance très lourde des parents âgés, les aidants peuvent être les interlocuteurs privilégiés voire uniques des salariés et des intervenants médicaux et paramédicaux. En effet, plusieurs salariées du particulier employeur nous ont expliqué qu’au-delà des compétences techniques, ce sont les compétences relationnelles qui priment, car dans ce contexte professionnel l’employeur officiel, souvent en perte d’autonomie, n’est pas forcément en mesure de remplir ce rôle. De fait, la place est cédée à l’aidant qui devient le prescripteur des missions de l’assistante de vie et l’employeur officieux.

Même si elles ne vont pas forcément en formation dans cette perspective, les assistantes de vie qui côtoient des aidants sont susceptibles de devenir elles-mêmes des aidantes dans les mois ou années à venir. Les acquis de la formation peuvent donc être utiles dans un avenir plus ou moins proche. En tout état de cause, on observe que des bénéfices directs et indirects sont transversaux à tous les profils.

Partie 3 – Des gains communs aux trois profils-types d’assistantes de vie formées

Même si les trois profils précédemment identifiés ont des caractéristiques très différentes et justifient le recours à la formation par des raisons variées, ils n’en partagent pas moins des avis communs. Les gains mentionnés lors des entretiens relèvent de plusieurs ordres : psychologiques, administratifs, techniques.

Lors des entretiens, les assistantes de vie ont souvent repris des termes qui appartiennent au registre de la psychologie et/ou de la psychanalyse pour expliquer leur recours à la formation ou les bénéfices qu’elles en ont tiré. On l’a bien vu, la demande de formation continue n’est pas étrangère à la demande de soutien psychologique, qu’elle le remplace ou qu’elle y mène.

La présence bienveillante et l’écoute active des formateurs invitent à la confidence collective. Stéphanie Couturier et Delphine Drouot, formatrices, encouragent les participantes à se livrer car elles savent combien « elles ont besoin de parler, parler, parler. Une fois qu’elles ont parlé, parlé, la formation peut commencer […] ». Le soutien psychologique fait donc partie de ces rencontres :

Pour Evelyne Jouen, proche aidante, il s’agit d’un « exutoire » :

« J’aime les formations parce que… comment je vais dire ? Ça me permet d’évacuer un peu. […] et puis la personne qui anime ces formations elle est très à l’écoute, et puis voilà quoi. Et puis selon le nombre d’heures ça fait des heures comment dire… Bah ça fait comme un exutoire. »

Pour Julie Gillet, c’est un espace neutre, où personne ne jugera l’autre :

« Ah la formation… Ça c’était formidable ! […] C’est génial. On apprend plein de choses et puis c’est une bouffée d’oxygène. […] Je me souviens surtout des expériences qu’on a confrontées toutes ensemble. […] En fait on a chacune des façons de faire. Et puis parfois on croit bien faire et en fait on est un peu à côté de la plaque (rires) mais dans tous les cas ça nous permet au moins d’en parler.
Question : C’est douloureux parfois ?
Julie Gillet : Oh bah oui c’est vrai il y a des pleurs. Mais c’est important de pleurer parfois. […] Bizarrement on ne se sent pas jugées. On peut dire tout ce qu’on veut même parfois qu’on aimerait que la personne soit partie, mais personne ne nous jugera. On est toutes dans la même galère. »

Les formations produisent donc un effet «groupe de parole» et partage d’expérience, révélateur de ce besoin de socialisation :

« C’est énormément thérapeutique, enrichissant. […] si on devait regrouper ce qui est vraiment essentiel dans les formations : c’est l’échange qu’on a avec la formatrice et avec les autres personnes qui sont comme moi dans la formation » rappelle Sylviane Henry.

Dans le même sens, le besoin de rompre l’isolement est souvent évoqué comme un bénéfice immédiat de la formation :

« Ce qui est bien c’est qu’on ne se sent pas isolée, on rencontre d’autres auxiliaires de vie, on échange nos expériences, ça c’est bien », explique Sophie Seguin.

Cela est aussi souligné par Delphine Tanier, jeune veuve de 41 ans. Les derniers mois de son existence, son conjoint était hospitalisé à leur domicile. Elle a, pendant cette période, été aidante de son mari et salariée du particulier employeur par ailleurs. Son mari est décédé depuis six mois au moment de l’enquête. Elle vit désormais seule avec ses deux filles. Pour elle, la formation est à la fois un moyen de détente car elle sort de son quotidien et un moyen de socialisation :

« Ça te décompresse de tous tes petits tracas quotidiens qu’ils soient bien ou mal. On apprend à connaître de nouvelles personnes […] donc tu parles aux autres et puis après au restaurant tu discutes […] tu décompresses parce que tu vas au resto et maintenant on n’a plus l’habitude d’aller au resto, y a le porte monnaie qui ne suit plus. Oui on y va moins qu’il y a dix ans. Donc au moins ça t’a plu et ça t’a permis de décompresser. Ça te fait une coupure. »

Le sentiment d’exercer un métier dévalorisé est partagé par plusieurs salariées rencontrées. Elles ont le sentiment de ne pas faire davantage que ce qu’une fille ou une mère saurait faire « naturellement ». De ce fait, leur profession n’en serait pas réellement une.

« […] juste se contenter d’être là, de ne pas être absente, de faire le ménage, donc il n’y a pas besoin de formation pour faire du ménage, pour faire à manger […] » regrette Ilal Chouber.

La formation permet de faire naître un sentiment d’appartenance à un groupe professionnel qui détient de vraies compétences spécifiques :

« J’ai pris conscience de mon métier et qu’on apprend beaucoup de choses, on n’apprend pas que sur le terrain. C’est valorisant de se dire il y a des formations, affirme Ilal Chouber qui ajoute, on prend de la valeur, mais pas une valeur prétentieuse, une valeur qui nous rassure. »

La formation matérialise le fait que ces salariées constituent un groupe professionnel avec des savoir-faire et des techniques qui ne sont pas forcément l’importation de compétences domestiques, comme l’exprime Natalia Sanchez.

« […] Chez la personne où je travaille, […] je me rends compte qu’elle [l’autre salariée] n’a pas eu de formation. […] Pour faire la poussière, on utilise de la cire mais elle, au lieu de la mettre sur le chiffon elle a dû la mettre comme ça sur le meuble. Et c’est tombé par terre et quand moi j’y suis allée, j’ai glissé, je me suis rattrapée avec les meubles. J’ai dit “qu’est-ce qu’il s’est passé?”. Et la dame, elle fait des petits pas, ça aurait été gravissime pour elle, elle me dit “c’est l’autre dame qui a ciré le meuble”. […] Et c’est là que je me rends compte que cette dame n’a pas fait de formation parce que même pour refaire le lit, [mon employeuse] me dit “Madame Sanchez, vous pouvez me le refaire”. Alors je le refais. »

Sylviane Henry, trentenaire mariée et mère de deux enfants, a eu un parcours de vie très compliqué. Adolescente, elle est partie de chez sa mère à cause d’un conflit avec son beau-père et est allée vivre chez son père, remarié et très malade. Leurs caractères incompatibles n’ont pas permis la cohabitation. Elle s’est retrouvée à la rue pendant une longue période, a dû cesser sa scolarité et a compris très jeune, l’importance de la débrouille et de l’entraide. Sa vocation pour son métier lui vient de là, de ces années de galère et d’errance. Lasse d’aider sans rétribution autre que symbolique, elle apprend que des structures se chargent de mettre en relation des personnes en demande de soin avec des professionnels. Elle entre alors dans le métier le jour où son fils entre à l’école maternelle. Sans diplôme et intimidée à l’idée de retourner à l’école, la formation continue lui semble être un bon compromis : continuer à apprendre sans la crainte de l’évaluation. La formation « Aidant familial auprès d’un parent âgé » lui a permis de mieux comprendre les personnes qu’elle côtoie dans son métier et ce à deux niveaux : d’abord par les apports de la formation elle-même et ensuite au contact de personnes qui suivaient cette formation pour mieux accompagner leurs propres parents dépendants et qui faisaient part de leurs difficultés pendant les séances.

Ainsi, l’analyse des matériaux empiriques montre que se former à l’âge adulte peut revêtir pour certaines personnes des enjeux particuliers qui dépassent le « simple » fait d’acquérir des compétences techniques. Se former n’est pas anodin car, pour certaines salariées qui ont eu une scolarité moins linéaire et apaisée, il s’agit d’admettre de retourner à l’école, d’accepter ces formes d’évaluation. Elles ont fait part de leur peur de l’infantilisation et du jugement des autres participants ou du formateur.

Les échanges sont favorisés par la mise en présence de personnes qui vivent ou ont vécu les mêmes expériences. Les gains de la formation peuvent donc être très pragmatiques en permettant d’actionner des leviers financiers et d’accéder à des informations d’ordre administratif.

« Dès que j’ai eu ma première formation, ça a été super, et les formateurs… On nous conseille sur nos droits aussi, ce qu’il faut faire. […] Je sais que pendant la formation, il y a des filles qui ont eu le déclic, qui ont dit : “avec tout ce que je fais, ça serait bien d’être rémunérée”  » explique Ilal Chouber.

La volonté de bâtir un réseau est très prégnante pour ces femmes qui vivent des situations personnelles d’isolement. Un réseau amical, car elles rencontrent tout d’abord des personnes qui partagent les mêmes difficultés et un réseau professionnel car elles sont également collègues. Elles construisent et entretiennent donc, de manière empirique, un esprit de corps renforcé par ces deux identités communes (aidantes familiales et assistantes de vie), un esprit de corps qui peut, en cas de besoin, mettre en place des mécanismes de défense professionnelle. On l’a notamment vu lors de la préparation de notre enquête : les assistantes de vie qui avaient constitué un réseau se sont contactées pour avoir des renseignements sur notre sollicitation et savoir si les unes et les autres comptaient y répondre favorablement.

Le réseau permet également aux assistantes de vie de se remplacer mutuellement et d’assurer ainsi une continuité des soins auprès des personnes dépendantes sans demander à ces dernières de s’adapter à des personnes inconnues, comme c’est le cas lors de remplacements par des services prestataires, contraints de composer avec les disponibilités de leurs salariées.

Les objectifs de formation visés par les assistantes de vie peuvent être de court terme lorsqu’elles ont besoin d’améliorer rapidement leurs compétences et de répondre à un besoin précis comme le fait d’adopter les bons gestes face aux personnes dépendantes par exemple :

« Ce qui est très bien aussi c’est qu’on a, par exemple pour l’ergonomie, il y a des gestes que l’on fait, mais c’est bien de se remettre dans le bain. Si on ne se rappelle plus du lit au fauteuil. On sait qu’il y a la formation »,
Sophie Seguin

Les techniques peuvent être tout aussi utiles pour se protéger émotionnellement en adoptant la bonne distance avec les personnes accompagnées et notamment ses propres parents, comme le précise Valérie Galoin :

« […] j’avais besoin de faire le point : l’attitude à avoir avec mon père étant donné que c’est quand même mon métier. J’étais un peu partagée entre mon métier professionnel et l’affectif, donc j’ai voulu faire ce stage à propos de ça justement, pour ne pas mélanger les deux. »

Mais ce besoin de distance émotionnelle se retrouve également en situation « professionnelle » : « Ma première expérience, je n’ai pas su la prendre, je l’ai encaissée comme ça, sans prendre du recul, j’ai mis du temps à m’en remettre. En ce moment, j’accompagne aussi une dame qui est en fin de vie, j’y vais mais pas avec la même approche. Ça ne m’empêche pas d’être humaine, je le vois autrement, je me protège » nous dit Ilal Chouber. Elle ajoute qu’il faut « accompagner au mieux, sans se faire du mal […] » en insistant sur le caractère à la fois empirique de l’apprentissage et les apports de la formation : « C’est l’expérience et la formation. Et on fait la formation sur le deuil et ça m’a beaucoup aidée ».

Conclusion

Contrairement à l’hypothèse formulée au démarrage de notre étude, les salariées qui suivent le module de formation « Aidant familial auprès d’un parent âgé » ne sont pas toutes dans une situation d’aidant proche et ne suivent pas toutes cette formation à des fins personnelles, par nécessité de s’occuper d’un proche dépendant dans l’immédiat ou dans un futur proche.

Le recours à cette formation répond aussi à des besoins d’assistantes de vie qui, lorsque leur employeur est très dépendant notamment, sont amenées à travailler, à composer, avec des aidants familiaux, qui tendent parfois à se substituer à l’employeur officiel. La nécessité de répondre aux attentes de la personne dépendante et à celles de l’aidant, de faire face à des injonctions parfois contradictoires, de prendre en compte l’aidant (le seconder sans s’y substituer, lui permettre de prendre du temps pour lui sans culpabiliser), donne à voir les multiples dimensions du métier d’assistante de vie et les besoins en formation qui en découlent.

Malgré l’organisation parfois complexe sur laquelle repose le départ en formation des salariées rencontrées (emplois du temps morcelés, charges familiales parfois importantes, nécessité de trouver une personne pour être remplacée au domicile des particuliers employeurs et auprès de son proche dépendant), une fois la première formation suivie, naît une vraie appétence, y compris pour des salariées qui ont accédé tardivement, dans leurs parcours, à ces emplois.

Elles acquièrent alors de nouvelles compétences, mais plus encore. Pour les assistantes de vie aidantes que nous avons rencontrées, la formation est aussi un moment de répit, de socialisation, de constitution d’un réseau, ce qui précisément les encourage à suivre de nouvelles formations, notamment quand les salariées sont isolées géographiquement et socialement. On observe cela dans notre enquête, y compris auprès d’assistantes de vie qui, du fait de leur bas niveau scolaire, craignaient d’être jugées et qui, en suivant des modules de formation continue, ont dépassé cette forme de timidité sociale en se formant, non pas sous la forme d’un passage d’examen, mais en échangeant avec des pairs.

Pour les proches aidants rencontrés dans l’enquête, les bénéfices de la formation sur leur vie d’aidant sont importants. La formation contribue à faire reconnaître la charge physique et mentale que l’accompagnement d’un proche dépendant représente et donne des clés pour mieux la gérer. Cette formation est, au même titre que la rémunération proposée aux aidants des bénéficiaires de l’APA et de la PCH, une forme de reconnaissance du statut et du rôle des aidants. Paradoxalement, elle renforce pour certains d’entre eux, la légitimité à occuper ce rôle auprès de leur proche au détriment d’un meilleur partage de cette place avec les autres membres de la famille.

Les deux finalités de la formation – personnelle d’une part, professionnelle d’autre part – ne sont pas exclusives l’une de l’autre, mais poursuivent des objectifs distincts. La première est une bouffée d’oxygène pour les proches aidants, la seconde a toute sa place dans la construction des parcours professionnels des employées familiales qui, du fait de l’avancée en âge de leurs employeurs, doivent certes apprendre de nouveaux gestes, mais aussi travailler dans un domicile où interviennent un nombre croissant d’intervenants familiaux et professionnels.

Bibliographie

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Cartier Marie et alii, « La « sous-activité » des assistantes maternelles : un rapport au métier différencié selon le positionnement social », Politiques sociales et familiales, n° 109, 2012, p. 35-46.

Castel Robert, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.

Duvoux Nicolas, L’autonomie des assistés. Sociologie des politiques d’insertion, Paris, Presses Universitaires de France, collection Le lien social, 2009.

Galtier Bénédicte, « Les formations et les métiers de la petite enfance. Quels points communs pour accompagner les changements de structure des jeunes enfants », Solidarité et santé, n° 48, DREES, novembre 2013.

Mansuy Michèle, Marquier Rémy, « Les aides à domicile : un engagement dans la formation tributaire du mode d’exercice », Formation emploi, juillet-septembre 2013, n° 123, p. 45-65.

Meuret-Campfort Eve, « La qualité de l’aide au domicile des particuliers employeurs âgés », Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, novembre 2015.

Moesch Isabelle, Clerc Françoise, Guigon Sylvie, « Les attentes et les besoins des aidants en Franche-Comté : Être reconnus dans leurs multiples rôles sociaux », Agence Régionale de Santé Franche-Comté, novembre 2014.

Touahria-Gaillard Abdia, Bédel Céline, « Expériences vécues de particuliers employeurs en situation de handicap », Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, novembre 2015.

Weber Florence et alii (dir.), Charges de famille. Dépendance et parenté dans la France contemporaine, Paris, La Découverte, collection Textes à l’appui, Série Enquêtes de terrain, 2003.

  • 1
    Abdia Touahria-Gaillard, Céline Bédel, «Expériences vécues de particuliers employeurs en situation de handicap», Observatoire des emplois de la famille, novembre 2015; Eve Meuret-Campfort, «La qualité de l’aide au domicile des particuliers employeurs âgés dépendants», Observatoire des emplois de la famille, novembre 2015.
  • 2
    En partenariat notamment avec la Compagnie des aidants et Eurocarers
  • 3
    Les Relais assistants de vie sont un dispositif financé par AGEFOS PME, développé et animé par IPERIA l’Institut, avec le soutien de la CNSA. Ils réunissent sur cinq cycles de séances de trois heures des assistants de vie, au plus près de chez eux. Ce dispositif de proximité, ancré sur les territoires, permet les rencontres et les échanges, mais aussi le renforcement de certaines compétences, avec l’intervention de spécialistes ou experts sur des thématiques spécifiques. Les Relais ont été suivis par plus de 1100 professionnels sur les trois dernières années, ce qui représente au total près de 200 cycles de relais assistants de vie sur cette même période.
  • 4
    Au domicile des personnes âgées, quand l’aide familiale est apportée par une seule personne, elle l’est par une fille dans les trois quarts des cas d’aide à un parent et par une femme dans 70% des cas d’aide au conjoint : C. Bonnet, E. Cambois, C. Cases, J. Gaymu, «La dépendance : aujourd’hui l’affaire des femmes, demain davantage celle des hommes ?», Population et sociétés, n°483, novembre 2011.
  • 5
    En France, la loi autorise, sous réserve de formation, l’accomplissement par l’aidant de gestes techniques prescrits. Dans d’autres pays comme le Québec, on assiste à une professionnalisation croissante des soins familiaux depuis le « virage ambulatoire» des années 1990 qui opère un transfert des soins hospitaliers vers le domicile. En France, on peut faire l’hypothèse que le développement de l’hospitalisation à domicile posera demain sous un nouvel angle la question du statut et du rôle de l’aidant non professionnel tenu de se professionnaliser… malgré lui ?
  • 6
    La formation continue est un droit dont les salariés bénéficient dès la première heure travaillée. Quarante heures sont dévolues à chaque salarié et sont entièrement financées dans le cadre du plan de formation. Un des employeurs du salarié accepte d’être «l’employeur porteur» en validant la formation et en servant d’intermédiaire pour le versement des salaires (remboursés par AGEFOS-PME) et le remboursement des frais annexes, également pris en charge.
  • 7
    Un passeport de formation est remis à tous les stagiaires de la formation certifiante et de la formation continue. Il est rempli par le formateur de l’organisme de formation pour attester de la présence du stagiaire et pour décrire les modules suivis. Il existe un passeport de formation par personne. Chaque passeport comporte un numéro individuel qui permet de retracer le parcours de formation de chaque personne. Il a donc plusieurs atouts : d’une part, il permet aux salariés de pouvoir conserver une trace «administrative» et qualitative des formations suivies, d’autre part, les salariés peuvent s’appuyer sur leur passeport de formation pour rechercher de nouveaux employeurs et valoriser auprès d’eux les compétences acquises.
  • 8
    Les parcours de formation sont présentés en annexe.
  • 9
    Les entretiens ont été réalisés par Céline Bédel, Mélanie Tocqueville et Abdia Touahria-Gaillard.
  • 10
    Compte tenu de la proportion de femmes dans ces métiers et du fait que nous n’avons rencontré que des femmes, le genre féminin sera privilégié dans le rapport d’étude.
  • 11
    L’inscription dans un type, à un moment donné de son parcours, n’empêche pas de migrer vers un autre type à d’autres moments et ce pour une multitude de raisons relatives à son parcours personnel, aux modifications de l’implication familiale ou encore à l’évolution du degré de dépendance du parent aidé.
  • 12
    Les trois particuliers employeurs de Carla Roland recourent aux services d’un organisme mandataire situé en Provence-Alpes-Côte-d’Azur que nous avons aussi rencontré.
  • 13
    Maryse Bresson, Robert Castel, Nicolas Duvoux, entre autres auteurs, ont analysé les causes et les effets de l’individualisation des politiques sociales et les incidences psychologiques de la personnalisation de l’action sociale.
  • 14
    Ces propos sont à nuancer car dans le cadre des familles rurales, le partage du patrimoine (foncier, bétail, etc.) définit parfois le périmètre du familial et les normes de cohabitation.
  • 15
    L’entretien a été réalisé le 2 novembre.
  • 16
    Bénédicte Galtier, « Les formations et les métiers de la petite enfance. Quels points communs pour accompagner les changements de structure des jeunes enfants ? », Solidarité et santé, n° 48, DREES, novembre 2013.
  • 17
    Ibid.
  • 18
    Eve Meuret-Campfort, « La qualité de l’aide au domicile des particuliers employeurs âgés », Observatoire des emplois de la famille, novembre 2015.
  • 19
    Eve Meuret-Campfort, « La qualité de l’aide au domicile des particuliers employeurs âgés », Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, novembre 2015.