Abdia Touahria-Gaillard
Introduction
L’année 2020 a été marquée en France, comme dans le monde entier, par une crise sanitaire sans précédent, doublée d’une crise économique. Inédite par sa propagation exponentielle et la mortalité qu’elle engendre, notamment parmi les plus fragiles, la Covid-19 continue de susciter la crainte sur de nombreux plans et à contraindre les gouvernements à des mesures de confinement de la population et des restrictions de déplacements. Or, dans nos sociétés contemporaines, l’accompagnement des personnes fragiles est souvent réalisé, que ce soit en établissement ou à domicile, par des professionnels. Par définition extérieurs au cercle familial des personnes fragiles, comment ces intervenants ont-ils poursuivi leurs soins auprès d’elles ? Quelles ont été les incidences de cette pandémie sur leur accompagnement ? Et comment les proches aidants se sont-ils adaptés aux nouvelles configurations imposées par la pandémie ? Quelle a été leur place pendant les périodes de restrictions sanitaires et de reprises de l’activité qui se sont succédé ?
Nous allons tâcher de montrer les premiers effets de la crise sanitaire sur les particuliers employeurs fragiles en saisissant le rôle que les proches aidants et les assistantes de vie ont joué auprès d’eux durant cette période1Les métiers du care étant dans leur grande majorité occupés par des femmes, nous faisons ici le choix de les féminiser.. Au moyen des résultats de trois enquêtes mettant en œuvre des méthodologies différentes, nous mettrons en lumière les grands enjeux révélés par cette crise inédite.
Du 23 juin au 17 juillet 2020, puis du 30 novembre au 7 décembre 2020, deux sondages réalisés par Ipsos pour la FEPEM ont permis d’interroger 3 789 particuliers employeurs et 3 558 salariées à domicile et assistantes maternelles sur la poursuite de l’activité à domicile dans le contexte de crise sanitaire. Pour illustrer leurs expériences vécues, nous nous appuierons sur deux vagues d’enquêtes par questionnaire réalisées par l’Université du domicile2Leroyer Sandrine, « Incidences de la crise sanitaire sur l’activité professionnelle des assistantes de vie ». Enquête réalisée par internet du 23 mars au 16 avril puis du 27 mai au 30 juin 2020 auprès de 71 assistantes de vie ayant participé au dispositif de professionnalisation dédié aux assistantes de vie (RAVie, signifiant relais assistants de vie). traitant des « incidences de la crise sanitaire sur l’activité professionnelle des assistantes de vie ». Ces questionnaires ont été diffusés par internet du 23 mars au 16 avril puis du 27 mai au 30 juin 2020 auprès de 71 assistantes de vie. Pour finir, nous saisirons l’ampleur de la crise sur les expériences des proches aidants de personnes fragiles au moyen d’une enquête qualitative conduite par l’Observatoire des emplois de la famille et le Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise-CNRS) entre le 27 avril et le 15 mai 2020. Les enquêtés rencontrés dans le cadre d’une précédente recherche intitulée « Statuts et rémunérations des aidant·e·s »3Recherche conduite de 2016 à 2019 et soutenue par la CNSA. ont été recontactés par téléphone. Au total, treize entretiens de proches aidants de personnes en situation de handicap ou âgées dépendantes ont été réalisés. Cinq parents d’enfant en situation de handicap, trois conjoints de personnes porteuses de handicap et cinq enfants de parents âgés en perte d’autonomie ont été interrogés sur les modifications des systèmes d’aide au domicile intervenues depuis le début de la crise sanitaire, sur leurs liens avec les institutions et les services médicosociaux ou encore les professionnels de santé. Les incidences sociales du premier confinement ont été questionnées ainsi que les changements dans les rapports familiaux et leur éventuelle nouvelle charge mentale et de travail.
I. Vivre au domicile malgré l’avancée en âge
De nombreuses études en sciences médicales et sociales ont été réalisées pour saisir l’impact de la pandémie et du confinement sur la santé physique et les comportements mais également pour mesurer les incidences psychologiques de cette situation exceptionnelle, notamment pour les personnes âgées et/ou fragiles. Parmi elles, figurent de nombreux particuliers employeurs.
En 2019, 1,3 million de particuliers employeurs sont âgés de 60 ans et plus4Source Acoss, 2019.. Ils représentent 57 % des particuliers employeurs hors garde d’enfants. Parmi eux, 27 % sont âgés de 80 ans et plus, soit plus de 600 000 personnes. Avec l’avancée en âge, le recours à l’emploi à domicile augmente : 23 % des ménages de 80 ans et plus sont particuliers employeurs, contre 12 % des ménages de 60 ans et plus et 5 % des ménages de moins de 60 ans. Sous l’effet du vieillissement démographique, le nombre de particuliers employeurs de 80 ans et plus devrait croître de 77 % d’ici à 2040.5Lagandré Véronique, Le Berre Maël, « Vieillissement de la population : une estimation des particuliers employeurs âgés et des besoins d’emplois à domicile à l’horizon 2040 », Observatoire des emplois de la famille, baromètre n° 25, septembre 2018.
Considérés comme fragiles au sens de la sécurité sociale, 148 000 particuliers employeurs sont bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) en 20196Source Acoss, 2019. Par ailleurs, certaines personnes âgées ne sont pas nécessairement dépendantes mais ont besoin d’un accompagnement à leur domicile : elles peuvent alors bénéficier de l’exonération « 70 ans et plus », ce qui est le cas pour 817 500 particuliers employeurs en 2019. On dénombre également 76 700 particuliers employeurs bénéficiaires d’autres exonérations7Il s’agit également d’exonérations liées aux DROM par exemple., ce qui inclut les personnes en situation de handicap (bénéficiaires de la prestation de compensation du handicap). Les enfants en situation de handicap sont également des publics fragiles au sens de la sécurité sociale dès que les parents perçoivent, au titre du handicap de leur enfant, l’allocation d’éducation d’enfant handicapé (AEEH). Toutefois, ceux qui ne bénéficient pas encore de reconnaissance administrative du handicap, comme les enfants pour lesquels un diagnostic médical n’est pas stabilisé, peuvent avoir besoin d’être accompagnés au domicile mais n’apparaissent pas dans les statistiques.
Aux côtés de ces publics qui ont besoin d’un accompagnement, on trouve parfois d’autres personnes fragilisées par l’accompagnement qu’elles assurent auprès de leur proche vulnérable, en complément ou en substitut à l’aide professionnelle. Communément appelés les aidants, ces derniers peuvent être des parents, des enfants, des frères ou sœurs, des voisins. Ils peuvent cohabiter avec leurs proches, ou vivre dans des domiciles séparés. Bien que plusieurs lois8Notamment la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV). aient tâché de définir leur statut,9Rapport Terra Nova, « Perte d’autonomie. Comment mieux accompagner les aidantes et aidants familiaux ? », décembre 2020 : https://tnova.fr/economie-social/protection-sociale-solidarites/perte-dautonomie-comment-mieux-accompagner-les-aidantes-et-aidants-familiaux/ ; rapport « Rémunération et statuts des aidants et des aidantes. Parcours, transactions familiales et types d’usage des dispositifs d’aide », mai 2019 : https://observatoire.fepem.fr/publication/remuneration-des-aidants-et-relations-familiales-quelles-incidences-de-la-monetarisation-de-laide-sur-les-proches-aidants/
Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Reconnaître la contribution invisible mais essentielle des proches aidants », The Conversation, mai 2020 : https://theconversation.com/reconnaitre-la-contribution-essentielle-maisinvisible-des-proches-aidants-137629
De Bony Jacqueline, Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Rémunération des aidants et relations familiales. Quelles incidences de la monétarisation de l’aide sur les proches aidants ? », septembre 2020 : https://www.cnsa.fr/remunerations-et-statuts-des-aidants-et-des-aidantes beaucoup peinent encore à se reconnaître dans cette dénomination.
Toutes ces personnes, aidées et aidantes, peuvent donc être considérées comme fragiles, au sens premier de la sécurité sociale mais également dans un sens extensif d’une vulnérabilité multidimensionnelle pour les proches aidants (difficulté d’articulation vie professionnelle-aide familiale, isolement social, charge mentale etc.).
On note en France une forte volonté des personnes âgées de continuer à vivre à leur domicile malgré l’avancée en âge et le spectre de la dépendance. Les acteurs publics et associatifs en charge de l’accompagnement de la dépendance ont pris la mesure de cette demande en proposant des outils innovants permettant un maintien à domicile en sécurité10Actes du Café de l’Observatoire, « Bien vieillir au domicile. Quels acteurs et dispositifs innovants ? », tenu à la Fédération des particuliers employeurs de France à Paris le 23 mai 2019.. Des outils et des dispositifs utiles mais qui, malgré leur efficacité, ne peuvent se substituer à la vigilance et à l’accompagnement humains.
Déjà fortement sollicités pour organiser les soins et/ou pour les prodiguer, les proches aidants ont expérimenté des formes de sursollicitation pendant la crise sanitaire. Si plusieurs d’entre eux ont affirmé être déjà confinés depuis plusieurs années11Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Ça fait des années qu’on est confinés ». La crise sanitaire du Covid-19 révélatrice de la condition des proches aidant·e·s de personnes en situation de dépendance, Revue française des affaires sociales, 2020/4, pp. 243-260., l’enquête qualitative auprès des proches aidants a révélé les incidences de cette période exceptionnelle avec notamment la nécessité de réorganiser les systèmes d’aide et de soin, en l’absence des assistantes de vie ou des intervenants paramédicaux, mais aussi une concentration de leurs activités quotidiennes sur l’accompagnement de leur proche avec l’entretien du cadre de vie, les courses alimentaires, les soins, la désinfection du domicile, qui ont largement occupé leurs journées. Sans oublier les éléments d’ordre psychologique tels que l’accroissement de la charge mentale liée au huis clos au domicile et la crainte de dégradation de l’état de santé de leur proche. Tous ces éléments ont fait prendre conscience aux enquêtés de la part non négligeable du travail fourni par les assistantes de vie et du répit que leurs interventions leur offraient.
En miroir, cette conscience accrue des besoins et de la nécessité de protection des plus fragiles s’est accompagnée d’une valorisation sociale de professions communément qualifiées de « métiers de repli » et supposément exercées par défaut. L’épidémie de Covid-19 et les périodes de restrictions sanitaires ont investi ces métiers d’un sens nouveau et ont changé les représentations sociales.
II. Les incidences de la crise sanitaire sur l’accompagnement des personnes dépendantes
Près de la moitié des salariés des particuliers employeurs interrogés par Ipsos ont interrompu temporairement leur activité pendant le premier confinement. Une exception : les assistantes de vie auprès de personnes âgées ou en situation de handicap ont été 83 % à poursuivre leur activité ; 9 % ont même augmenté leur nombre d’heures travaillées pendant la période de confinement12Enquête Ipsos réalisée pour la FEPEM auprès de 1 708 particuliers employeurs et 1 868 salariés représentatifs du secteur de l’emploi à domicile. Questionnaire administré par internet et par téléphone du 23 juin au 17 juillet 2020.. Elles ont continué à travailler et à accomplir de multiples tâches : achats alimentaires ou en pharmacie, activités de ménage, préparation des repas et aide à la prise alimentaire, accompagnement aux rendez-vous médicaux13Source RAVie.. Le graphique suivant illustre la variation des temps de travail par catégories d’emploi.
Ces réponses fournies par les salariés durant le premier confinement soulignent la forte proportion d’intervenantes qui ont continué à travailler auprès de particuliers employeurs fragiles, ce qui confirme la solidité des relations d’emploi.
Selon une étude récente menée par l’institut d’études Market Audit pour l’Observatoire des emplois de la famille, la durée moyenne des relations entre les particuliers employeurs en perte d’autonomie et leurs assistantes de vie est de 7,7 ans14Sondage Market Audit, réalisé par téléphone pour la FEPEM du 4 décembre 2019 au 25 février 2020 auprès de 588 particuliers employeurs.. Ce phénomène révèle en creux la teneur des relations qu’ils entretiennent : une relation plus durable permet de tisser des liens et une interconnaissance plus solides.
Pendant le premier confinement, 46 % des particuliers employant une assistante de vie et qui ont suspendu temporairement son activité ont actionné le dispositif exceptionnel d’indemnisation mis en place en mars 2020 dans le secteur de l’emploi à domicile pour amortir les effets de la crise sanitaire sur l’emploi. Ce dispositif, inspiré du chômage partiel, a assuré aux salariés des particuliers employeurs le versement d’une indemnité prise en charge par les pouvoirs publics à hauteur de 80 % de leur salaire net.15Cf. Lagandré Véronique, Petit Florence, Puech Isabelle, Queval Stéphanie, « Les premiers effets de la crise sanitaire sur l’emploi à domicile », Observatoire des emplois de la famille, Baromètre n° 34, décembre 2020. Il faut noter que seuls 3 % des contrats de travail ont été rompus sur la période.
Fait marquant : 29 % des particuliers employeurs dépendants ont maintenu le salaire et ont continué à déclarer et payer les heures non travaillées sans recourir au dispositif. De plus, il faut noter que 43 % des particuliers employeurs d’assistantes de vie ont eu recours au dispositif exceptionnel d’indemnisation et parmi eux 39 % ont complété le salaire de l’assistante de vie.1657 % des particuliers qui ont eu recours au dispositif exceptionnel d’indemnisation ont souhaité verser un complément de rémunération à leur salariée bien que les interventions à domicile aient été suspendues. Parmi eux 48 % ont complété de façon à maintenir l’intégralité du salaire ordinairement perçu.
Entre le mois de mars et le mois d’août 2020, 572 000 salariés ont bénéficié du dispositif exceptionnel d’indemnisation auquel 1,2 million de particuliers employeurs ont eu recours17Source Acoss..
Cette solidarité vis-à-vis des salariés a été relatée de vive voix par d’autres particuliers employeurs dans le cadre d’une post-enquête qualitative18Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Ça fait des années qu’on est confinés ». La crise sanitaire du Covid-19 révélatrice de la condition des proches aidant·e·s de personnes en situation de dépendance, Revue française des affaires sociales, 2020/4, pp. 243-260. conduite par le Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique et l’Observatoire des emplois de la famille auprès de proches aidants. Les raisons du complément de salaire invoquées par les proches aidants révèlent leur souhait de maintenir de bonnes et durables relations avec les intervenantes : ils ne veulent pas qu’elles soient pénalisées et espèrent conserver leur confiance en leur témoignant concrètement leur gratitude. Ainsi, dans le cas d’une proche aidante de son conjoint en situation de handicap vivant en Seine-Saint-Denis, l’assistante de vie a-t-elle continué à prendre des nouvelles pendant le confinement. Elle leur a apporté des masques et s’est proposée pour faire les courses. Ce soutien a conforté l’aidante dans son choix d’actionner le dispositif d’indemnisation et de compléter le salaire : « le lien a été gardé (…) il y a un bon échange ». L’aide a pu reprendre à la fin du premier confinement en observant toutes les directives sanitaires.
L’absence de professionnelles à leurs côtés, bien que comprise et nécessaire, a été toutefois perçue comme difficile par les aidants qui vivent au domicile des proches qu’ils accompagnent, dans la mesure où la totalité des gestes de soins et d’attention leur incombait. Une autre aidante de son conjoint en situation de handicap, vivant également en Seine-Saint-Denis, note : « Là c’est plus fatigant, j’ai tout à assumer (…) J’ai aussi bien l’intendance, les travaux ménagers et surtout l’occupation de mon mari à 100 % ».
L’enquête qualitative met en évidence trois effets principaux du confinement chez les proches aidants : une intensification de l’aide apportée à leur proche, l’imposition et l’accroissement de leur isolement. Dans ce contexte où le rythme de l’aide a considérablement augmenté et les activités du quotidien se sont recentrées sur les besoins de la personne aidée, au détriment des besoins de repos du proche aidant, l’aide des professionnelles est apparue encore plus indispensable.
Selon l’enquête Ipsos, à la fin du premier confinement, 94 % des assistantes de vie ont déclaré avoir repris leur activité auprès de leur particulier employeur19Enquête Ipsos réalisée pour la FEPEM auprès de 1 708 particuliers employeurs et 1 868 salariés représentatifs du secteur de l’emploi à domicile. Questionnaire administré par internet et par téléphone du 23 juin au 17 juillet 2020. dont 85 % avec le même volume horaire. Par ailleurs, une grande majorité de particuliers employeurs d’assistantes de vie avaient l’intention de reprendre l’activité de leur salariée en septembre 2020 (87 %), et le plus souvent sur un volume horaire identique ou supérieur à celui de l’année précédente à la même période (84 %) (septembre 2019). Au-delà du maintien de l’activité, il faut donc souligner le sens des responsabilités des professionnelles qui ont maintenu des contacts réguliers, ont fait des courses ou d’autres activités.
Le deuxième sondage Ipsos, qui s’intéresse à l’impact de la crise sanitaire sur l’emploi à domicile de septembre à décembre 2020, montre que la reprise de l’activité des assistantes de vie s’est confirmée au 2e semestre, et s’est maintenue pendant le 2e confinement intervenu du 29 octobre au 15 décembre 2020. En septembre-octobre 2020, la quasi-totalité des assistantes de vie ont poursuivi leur activité (99 %) et dans la plupart des cas sur un même nombre d’heures qu’avant le début de la crise (82 %). Cela a été également le cas pendant le 2e confinement : 95 % des assistantes de vie ont poursuivi leur activité dont 79 % sur un même volume horaire qu’en septembre-octobre20Enquête Ipsos réalisée pour la FEPEM auprès de 2 081 particuliers employeurs et 1 690 salariés représentatifs du secteur de l’emploi à domicile. Questionnaire administré par internet du 30 novembre au 7 décembre 2020..
Cette reprise illustre l’importance de l’accompagnement à domicile auprès des particuliers employeurs fragiles. D’ailleurs, 88 % des particuliers employeurs interrogés par Ipsos déclarent que l’emploi à domicile est indispensable au bon fonctionnement de leur foyer et ils sont 92 % à affirmer qu’il est utile socialement. Ces sentiments sont également partagés par les assistantes de vie.
L’enquête par questionnaire réalisée par Sandrine Leroyer de l’Université du domicile21Enquête « Incidences de la crise sanitaire sur l’activité professionnelle des assistantes de vie », réalisée par Sandrine Leroyer, Université du domicile. offrait la possibilité aux assistantes de vie interrogées de compléter leurs réponses. Elles ont massivement fait part de la considération de leurs employeurs et de l’utilité sociale de leur métier en soulignant la « conscience des familles de l’importance de (leurs) interventions auprès de leurs parents », la « prise en compte supplémentaire de la nécessité de (leur) mission ». Une enquêtée résume ainsi la situation : « Ils étaient contents de notre retour, hâte de nous revoir et ont pris conscience que sans nous le travail était pénible. »
Focus sur l’attribution des masques pendant le 1er confinement
En pleine pandémie de Covid-19, les assistantes de vie ont été touchées par la pénurie de protection. Alors même qu’elles interviennent auprès de personnes âgées de plus de 70 ans ou bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et auprès de personnes en situation de handicap percevant la prestation de compensation du handicap (PCH), elles n’ont pas été initialement concernées par la mise à disposition des masques pour les professionnels du soin. Grâce à l’action du Conseil national paritaire du dialogue social dans lequel siège la FEPEM, elles ont finalement été reconnues par le ministère de la Santé comme prioritaires pour retirer des masques chirurgicaux en officine, et ce, afin de poursuivre l’accompagnement des publics fragiles et leur maintien à domicile tout en garantissant une sécurité pour elles et leur famille ainsi que pour leurs employeurs fragiles et les occupants de leur domicile.
Afin d’atteindre toutes les personnes concernées, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) a adressé, par mail ou par courrier, un message à l’attention de tous les particuliers employeurs de plus de 70 ans ainsi qu’à leurs salariés en les informant du circuit d’approvisionnement et des conditions de mise à disposition des masques. Ce circuit de retrait des masques en pharmacie d’officine concernait :
- les assistantes de vie intervenant auprès de particuliers employeurs âgés de plus de 70 ans ou bénéficiaires de l’APA ;
- les assistantes de vie intervenant auprès de particuliers employeurs en situation de handicap et bénéficiaires de la PCH ;
- les assistantes de vie intervenant auprès de particuliers employeurs via une structure mandataire ;
- les accueillants familiaux d’une personne fragile.
Conclusion : les enjeux publics de la sphère privée
La crise sanitaire et les confinements imposés par mesure de sécurité ont renforcé le rôle du domicile, l’ont décloisonné en lui conférant une nouvelle place dans les vies et les activités de chacun. Transformé par les nouvelles fonctions qui lui ont été attribuées, le domicile est apparu tout à la fois comme un lieu de travail, d’activités scolaires et de soin. De plus, de nombreuses problématiques familiales, sanitaires, économiques ont été révélées au grand jour. Des questions de l’accompagnement de la dépendance par les proches aidants et les professionnelles aux questions de protection de l’enfance et à celles des violences intrafamiliales, chacune de ces problématiques a montré à quel point le « privé est politique », à savoir que les situations vécues au domicile ne doivent pas lui être circonscrites et peuvent faire l’objet d’une implication politique.
Alors que la crise a provoqué des ruptures sociales, professionnelles et familiales, elle a aussi renforcé certains liens, comme l’attestent les expériences de personnes accompagnées à domicile par des assistantes de vie. Pour ces dernières, la crise sanitaire a été deux fois révélatrice. Premièrement, elle a montré l’utilité sociale des métiers du soin en révélant que leurs missions vont bien au-delà du strict accompagnement. Ce constat est partagé autant par les particuliers employeurs fragiles, qui ont ainsi pu maintenir des liens sociaux, que par les professionnelles, qui ont pris la mesure de l’importance de leur métier de première ligne. Dans un second temps, elle a montré leur caractère indispensable, notamment en l’absence de proches aidants cohabitants. Les assistantes de vie qui ont pu continuer à exercer leur activité ont joué un rôle majeur à 3 niveaux :
- en assurant une continuité des soins et donc en évitant que les situations sanitaires ne s’aggravent ;
- en réconfortant les bénéficiaires vulnérables dont les repères étaient bousculés en raison d’une situation inédite d’isolement et de risque sanitaire qui pouvait majorer leur fragilité ;
- en soulageant les proches aidants qui ont connu l’épreuve d’une disponibilité physique et mentale sans discontinuer.
La crise a valorisé le métier des assistantes de vie. En plus d’une représentation sociale positive des métiers du soin, de l’accompagnement à domicile et de l’entretien du cadre de vie, leur utilité sociale a été nettement démontrée. En effet, les professionnelles ont continué à travailler malgré les risques encourus. De leur côté, les particuliers employeurs ont largement joué le jeu de la solidarité nationale. Leurs efforts financiers consentis pour compenser les pertes de salaires des assistantes de vie révèlent leur attachement et leur considération à leur égard.
Bibliographie
Actes du Café de l’Observatoire des emplois de la famille, « Bien vieillir au domicile. Quels acteurs et dispositifs innovants ? », tenu à la Fédération des particuliers employeurs de France à Paris le 23 mai 2019.
Bressé Sophie, « Durabilité des relations d’emplois entre les particuliers employeurs utilisateurs du CESU et leurs salariés », Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, novembre 2010.
Bressé Sophie, Puech Isabelle, « Qui sont les particuliers employeurs en perte d’autonomie et leurs salariés ? », Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, décembre 2011.
De Bony Jacqueline, Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Rémunération et statuts des aidants et des aidantes. Parcours, transactions familiales et types d’usage des dispositifs d’aide », rapport, Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, mai 2019. https://www.cnsa.fr/remunerations-et-statuts-des-aidants-et-des-aidantes.
De Bony Jacqueline, Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Rémunération des aidants et relations familiales. Quelles incidences de la monétarisation de l’aide sur les proches aidants ? », Observatoire des emplois de la famille, septembre 2020. https://observatoire.fepem.fr/publication/remuneration-des-aidants-et-relations-familiales-quelles-incidences-de-la-monetarisation-de-laide-sur-les-proches-aidants/.
Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Reconnaître la contribution invisible mais essentielle des proches aidants », The Conversation, mai 2020. https://theconversation.com/reconnaitre-la-contribution-essentielle-mais-invisible-des-proches-aidants-137629.
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Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Ça fait des années qu’on est confinés ». La crise sanitaire du Covid-19 révélatrice de la condition des proches aidant·e·s de personnes en situation de dépendance, Revue française des affaires sociales, 2020/4, pp. 243-260.
Lagandré Véronique, Petit Florence, Puech Isabelle, Queval Stéphanie, « Les premiers effets de la crise sanitaire sur l’emploi à domicile », Observatoire des emplois de la famille, baromètre n° 34, décembre 2020.
Lagandré Véronique, Petit Florence, Puech Isabelle, « L’emploi à domicile résiste à la crise sanitaire au second semestre 2020 », Observatoire des emplois de la famille, baromètre n° 35, mars 2021.
Niang Moustapha (Dares), Vroylandt Thomas (Pôle emploi), « Les tensions sur le marché du travail en 2019 », Dares Résultats, octobre 2020, n° 32.
- 1Les métiers du care étant dans leur grande majorité occupés par des femmes, nous faisons ici le choix de les féminiser.
- 2Leroyer Sandrine, « Incidences de la crise sanitaire sur l’activité professionnelle des assistantes de vie ». Enquête réalisée par internet du 23 mars au 16 avril puis du 27 mai au 30 juin 2020 auprès de 71 assistantes de vie ayant participé au dispositif de professionnalisation dédié aux assistantes de vie (RAVie, signifiant relais assistants de vie).
- 3Recherche conduite de 2016 à 2019 et soutenue par la CNSA.
- 4Source Acoss, 2019.
- 5Lagandré Véronique, Le Berre Maël, « Vieillissement de la population : une estimation des particuliers employeurs âgés et des besoins d’emplois à domicile à l’horizon 2040 », Observatoire des emplois de la famille, baromètre n° 25, septembre 2018.
- 6Source Acoss, 2019
- 7Il s’agit également d’exonérations liées aux DROM par exemple.
- 8Notamment la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV).
- 9Rapport Terra Nova, « Perte d’autonomie. Comment mieux accompagner les aidantes et aidants familiaux ? », décembre 2020 : https://tnova.fr/economie-social/protection-sociale-solidarites/perte-dautonomie-comment-mieux-accompagner-les-aidantes-et-aidants-familiaux/ ; rapport « Rémunération et statuts des aidants et des aidantes. Parcours, transactions familiales et types d’usage des dispositifs d’aide », mai 2019 : https://observatoire.fepem.fr/publication/remuneration-des-aidants-et-relations-familiales-quelles-incidences-de-la-monetarisation-de-laide-sur-les-proches-aidants/
Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Reconnaître la contribution invisible mais essentielle des proches aidants », The Conversation, mai 2020 : https://theconversation.com/reconnaitre-la-contribution-essentielle-maisinvisible-des-proches-aidants-137629
De Bony Jacqueline, Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Rémunération des aidants et relations familiales. Quelles incidences de la monétarisation de l’aide sur les proches aidants ? », septembre 2020 : https://www.cnsa.fr/remunerations-et-statuts-des-aidants-et-des-aidantes - 10Actes du Café de l’Observatoire, « Bien vieillir au domicile. Quels acteurs et dispositifs innovants ? », tenu à la Fédération des particuliers employeurs de France à Paris le 23 mai 2019.
- 11Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Ça fait des années qu’on est confinés ». La crise sanitaire du Covid-19 révélatrice de la condition des proches aidant·e·s de personnes en situation de dépendance, Revue française des affaires sociales, 2020/4, pp. 243-260.
- 12Enquête Ipsos réalisée pour la FEPEM auprès de 1 708 particuliers employeurs et 1 868 salariés représentatifs du secteur de l’emploi à domicile. Questionnaire administré par internet et par téléphone du 23 juin au 17 juillet 2020.
- 13Source RAVie.
- 14Sondage Market Audit, réalisé par téléphone pour la FEPEM du 4 décembre 2019 au 25 février 2020 auprès de 588 particuliers employeurs.
- 15Cf. Lagandré Véronique, Petit Florence, Puech Isabelle, Queval Stéphanie, « Les premiers effets de la crise sanitaire sur l’emploi à domicile », Observatoire des emplois de la famille, Baromètre n° 34, décembre 2020.
- 1657 % des particuliers qui ont eu recours au dispositif exceptionnel d’indemnisation ont souhaité verser un complément de rémunération à leur salariée bien que les interventions à domicile aient été suspendues. Parmi eux 48 % ont complété de façon à maintenir l’intégralité du salaire ordinairement perçu.
- 17Source Acoss.
- 18Giraud Olivier, Petiau Anne, Rist Barbara, Touahria-Gaillard Abdia, Trenta Arnaud, « Ça fait des années qu’on est confinés ». La crise sanitaire du Covid-19 révélatrice de la condition des proches aidant·e·s de personnes en situation de dépendance, Revue française des affaires sociales, 2020/4, pp. 243-260.
- 19Enquête Ipsos réalisée pour la FEPEM auprès de 1 708 particuliers employeurs et 1 868 salariés représentatifs du secteur de l’emploi à domicile. Questionnaire administré par internet et par téléphone du 23 juin au 17 juillet 2020.
- 20Enquête Ipsos réalisée pour la FEPEM auprès de 2 081 particuliers employeurs et 1 690 salariés représentatifs du secteur de l’emploi à domicile. Questionnaire administré par internet du 30 novembre au 7 décembre 2020.
- 21Enquête « Incidences de la crise sanitaire sur l’activité professionnelle des assistantes de vie », réalisée par Sandrine Leroyer, Université du domicile.