Sophie Bressé
avec la participation de Céline Bédel
Introduction
Fin 2015, l’Observatoire des emplois de la famille menait, avec le soutien de la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’Économie et des Finances, une étude qualitative auprès de parents employeurs de gardes d’enfants à domicile1Sophie Bressé, Recours à la garde d’enfants à domicile : pratiques, besoins et attentes des parents employeurs, Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, décembre 2015.. Ces parents avaient majoritairement, faute de place en crèche, eu recours à la garde d’enfants par défaut au départ. En revanche, ils plébiscitaient ensuite ce mode d’accueil au point de ne plus vouloir en changer lorsque leur famille s’agrandissait, mettant en avant un cadre d’accueil respectueux du rythme et des besoins particuliers de leurs enfants, enveloppant et rassurant sur le plan affectif, mais également un mode d’accueil extrêmement favorable à la conciliation des vies familiales et professionnelles des parents. Cependant ils reconnaissaient que la qualité de ce mode d’accueil était fonction de celle de la professionnelle recrutée, et pour trouver « la perle », certains avaient dû s’y reprendre à deux fois.
Marginale sur le territoire français, mais inversement, et depuis longtemps, très ancrée à Paris et dans les Hauts-de-Seine, la garde d’enfants à domicile se développe aujourd’hui sur de nouveaux territoires, notamment en Seine-Saint-Denis, de plus en plus souvent sous la forme de la garde partagée, dans le cadre de laquelle deux familles emploient ensemble une garde d’enfants2Ces familles peuvent recruter directement la garde d’enfant, ou confier ce recrutement à une structure mandataire. et se partagent ainsi le coût de l’accueil quotidien de leurs enfants.
D’après les données de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), les parents recourant à la garde d’enfants à domicile pour l’accueil de leurs enfants de moins de 3 ans sont, en 2013, 76 % à employer directement leur garde d’enfants, les autres passant par une structure prestataire3HCF, « Point sur le développement de l’accueil des jeunes enfants », séance du 9 octobre 2014.. Dans le cadre de la présente étude, nous concentrons la réflexion sur les gardes d’enfants employées directement par les parents des enfants qu’elles accueillent et relevant de la branche des Salariés du particulier employeur.
Dans les travaux réalisés par l’Observatoire des emplois de la famille, les parents employeurs de gardes d’enfants à domicile apparaissent globalement satisfaits de leur mode d’accueil sur de nombreux plans. Pour autant, celle-ci continue à souffrir d’une mauvaise image, restant considérée, au regard des critères de qualité des modes d’accueil aujourd’hui mobilisés en France et en Europe, comme un mode d’accueil de faible qualité. En outre, la garde à domicile n’est toujours pas reconnue comme un véritable métier. Bien que la branche professionnelle des Salariés du particulier employeur ait mis en place de nombreux dispositifs visant à encourager la professionnalisation de ce métier, développer la garde d’enfants et garantir la qualité des intervenantes relève aujourd’hui, dans le paysage de l’accompagnement de la petite enfance, tel qu’il s’est structuré dans les dernières décennies, de la volonté coordonnée de plusieurs acteurs sur un territoire donné : commune, Caisse d’allocations familiales (Caf) et conseil départemental. En effet, la garde à domicile ne relève pas en tant que telle du périmètre du conseil départemental, pourtant en charge, via la protection maternelle et infantile (PMI) notamment, de la qualité de l’accueil individuel sur le territoire.
Pour autant, notre enquête de terrain montre que la relative absence de la puissance publique sur le champ de la garde d’enfants à domicile n’empêche pas de nombreuses initiatives de voir le jour. Généralement locales, portées par des acteurs publics et des acteurs privés, elles s’appuient très souvent sur l’offre de formation de la branche professionnelle des Salariés du particulier employeur, et visent l’accompagnement des salariées, comme des parents qui les emploient, dans la mise en œuvre d’un mode d’accueil de qualité. Cette étude, elle aussi réalisée avec le soutien de la DGE, s’est appuyée sur un ensemble de lectures et sur une série d’entretiens menés auprès d’acteurs et de régulateurs du champ de la garde d’enfants à domicile exclusivement franciliens. L’objectif était de mettre en exergue l’ensemble des spécificités de ce métier et de repérer celles qui contribuent à le discréditer dans le champ de l’accueil de la petite enfance. In fine, l’étude vise à comprendre comment, et par le biais de quels acteurs, le champ et le métier de garde d’enfants à domicile sont en train de se structurer. Prenant appui sur le discours de ces acteurs – gardes d’enfants, responsables de structures mandataires privées, responsables de relais petite enfance (dont certains labellisés charte de qualité de la Caf des Hauts-de-Seine), institutionnels et acteurs de la formation portée par les branches Salariés et Assistants maternels du particulier employeur (voir encadré 1) –, nous posons le constat de la nécessité de poursuivre le développement de la qualité de la garde d’enfants à domicile. Puis nous identifions les leviers susceptibles de produire et d’accroître cette qualité demain, et de faire reconnaître, pour les salariées qui s’inscrivent dans cette démarche, un véritable métier dans le champ de la petite enfance, adossé à de réelles compétences.
Ces professionnels sont en quasi-totalité des femmes, c’est pourquoi nous leur appliquerons systématiquement le genre féminin dans l’étude. Nous utiliserons en outre pour les désigner les termes de gardes d’enfants à domicile et d’auxiliaires parentales de façon indistincte, le premier terme étant celui utilisé dans la convention collective dont elles relèvent (celle des salariés du particulier employeur), et le second le terme plus couramment utilisé par les acteurs du champ de l’accueil de la petite enfance, et auquel tiennent tout particulièrement les intéressées lorsqu’elles s’inscrivent dans un parcours professionnalisant et une démarche de valorisation de leur métier4L’étude s’intéresse ici à la garde à domicile comme mode d’accueil pour les enfants de moins de 3 ans, et aux professionnelles qui envisagent cet accueil dans le cadre d’un métier et d’un parcours professionnel dans le champ de l’accueil de la petite enfance. On sait cependant que les statistiques disponibles recensant le nombre de gardes d’enfants, tout particulièrement lorsqu’elles assurent l’accueil périscolaire des enfants de 3 à 6 ans, comptabilisent également un nombre important de salariées dont la présence sur le marché de la garde d’enfants à domicile est purement conjoncturelle : étudiantes, en attente « d’autre chose », etc..
Encadré n°1 : MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE
Dans le cadre de cette étude, seize entretiens semi-directifs en face à face ont été réalisés entre avril et septembre 2016 auprès de personnes exerçant leur activité exclusivement sur le territoire francilien :
- trois acteurs institutionnels de la petite enfance : conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, Agence départementale de développement de l’accueil individuel (ADDAI) du département de la Seine-Saint-Denis, Caf des Hauts-de-Seine ;
- cinq personnes du champ de la formation : trois personnes d’IPERIA l’Institut, organisme mandaté par les branches professionnelles du particulier employeur pour créer et développer les outils et services de professionnalisation, et deux organismes de formation, Aritas et Planète enfance ;
- trois personnes pilotant des relais petite enfance dont deux labellisés charte de qualité de la Caf des Hauts-de-Seine : relais petite enfance Pistache à Vanves, relais Enfance et Familles à Saint-Cloud, et un relais petite enfance Sur le Toit à Montreuil ;
- deux responsables de services mandataires privés : les enfants de Jeanne, ABC puériculture ;
- trois gardes d’enfants à domicile.
Lors des interviews, les principales thématiques abordées avec les acteurs régulateurs ont porté sur : les activités développées pour les gardes d’enfants à domicile (l’offre de formation, les activités des relais petite enfance destinées aux gardes d’enfants, le soutien à des projets innovants, les outils et les conseils, etc.) ; les critères et les leviers de la qualité du métier de garde d’enfants à domicile (la formation dans le métier, l’expérience dans le métier, les recommandations des parents, la fréquentation d’un collectif de travail, etc.) ; les spécificités du métier (l’exercice d’un métier chez son employeur, le travail isolé, la gestion de l’attachement avec les enfants, la gestion de la relation d’emploi avec les parents, etc.).
Les entretiens menés auprès des gardes d’enfants à domicile ont porté sur leurs parcours professionnels (l’arrivée dans le métier, leurs expériences), leur rapport à la formation (l’accès à la formation, les formations suivies, l’évolution professionnelle envisagée), l’exercice du métier de garde d’enfants à domicile (la recherche d’employeurs, leur positionnement pendant l’entretien de recrutement, leurs conditions de travail, leurs relations de travail avec les enfants et avec leurs employeurs).
1. La garde d’enfants à domicile, un mode d’accueil à part
1.1. Une contribution marginale à l’offre d’accueil globale des jeunes enfants
En 2014, d’après les données de l’Observatoire national de la petite enfance de la Cnaf5« Chiffres clés de l’accueil du jeune enfant », La Lettre de l’Observatoire national de la petite enfance, n° 1, Cnaf, septembre 2016., la capacité d’accueil théorique des jeunes enfants en France est estimée à 56,1 places pour 100 enfants de moins de 3 ans ; les assistantes maternelles proposent 33,1 places quand l’accueil collectif en offre 17,3. Les gardes d’enfants à domicile ne contribuent que marginalement à l’offre globale, avec 1,7 place. La garde d’enfants à domicile concerne donc peu d’enfants de moins de 3 ans et peu de familles sur le territoire français. Ces derniers se répartissent en outre de façon très hétérogène, avec une distribution marquée par une forte polarisation entre l’Île-de-France – et plus précisément en son sein, Paris et le département des Hauts-de-Seine – et le reste de la France. Cette polarisation est ancienne : en 1997, le taux de recours à ce mode d’accueil6Ce taux de recours est défini par les auteures de l’étude, Jeanne Fagnani et Évelyne Rassat, comme le nombre de familles bénéficiant, à l’époque, de l’AGED, rapporté au nombre de familles allocataires de la Caf éligibles, c’est-à-dire exerçant une activité professionnelle et ayant un enfant de moins de 6 ans. était alors inférieur à 2 % presque partout en France. Il atteignait 2,6 % dans la métropole lyonnaise, mais surtout 6 % à Paris et 7,1 % dans les Hauts-de-Seine7Jeanne Fagnani, Évelyne Rassat, « Les bénéficiaires de l’AGED : où résident-ils, quels sont leurs revenus ? », Recherches et Prévisions, n° 47, Cnaf, 1997..
1.2. Une spécificité parisienne
Aucune étude récente ne permet de comparer de façon rigoureuse la répartition des parents employeurs de gardes d’enfants aujourd’hui avec ce qu’elle était il y a 20 ans. Cependant, les données disponibles confirment la spécificité parisienne. Selon les données d’une enquête menée par l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) pour la Ville de Paris8APUR, L’accueil de la petite enfance à Paris. État des lieux et perspectives, janvier 2014., sur l’ensemble des enfants de moins de 3 ans, 40 % sont accueillis dans un établissement collectif, 6 % par une assistante maternelle et 16 % par une garde d’enfants à domicile. En d’autres termes, parmi les jeunes enfants qui bénéficient d’un mode d’accueil formel à Paris, 64 % sont accueillis dans une structure collective, 10 % par une assistante maternelle et 26 % par une garde à domicile. Si à l’échelle nationale, et sur de nombreux territoires, les assistantes maternelles sont les premières contributrices à l’offre d’accueil globale, il en va très différemment à Paris, où c’est l’accueil collectif qui couvre la plus large part des besoins d’accueil, suivi des auxiliaires parentales qui accueillent 2,5 fois plus d’enfants que les assistantes maternelles.
1.3. Gardes à domicile et assistantes maternelles, à chacune son territoire
Un ensemble de facteurs permettent d’expliquer cette spécificité parisienne. Le coût du logement dans la capitale est la principale explication de la faible participation des assistantes maternelles à l’offre d’accueil effective. Les logements suffisamment grands et adaptés pour accueillir des enfants sont inaccessibles financièrement, excepté dans le parc du logement social, où la localisation a souvent pour conséquence un non-recours de certains parents, et in fine le chômage ou la sous-activité des assistantes maternelles. Par ailleurs, le coût du logement à Paris pousse ces dernières à pratiquer le forfait journalier maximum autorisé, avec pour conséquence un coût final de ce mode d’accueil pour les familles relativement élevé. « Le recours à une assistante maternelle est [ainsi] plus coûteux que le recours à une garde à domicile partagée, quel que soit le niveau de ressources des familles en couple9APUR, Le recours aux assistantes maternelles à Paris, état des lieux et perspectives, juin 2015. ». Ces différents éléments ont pour conséquence directe une offre effective importante de la part des gardes d’enfants à domicile, qui accueillent, elles, les enfants au domicile des parents, et ne sont pas concernées dans l’exercice de leur activité par ces problématiques de coût du logement.
Assistantes maternelles et gardes d’enfants à domicile apparaissent complémentaires dans la mesure où leurs capacités respectives à faire valoir leur offre d’accueil sont fortement corrélées aux caractéristiques des territoires. Les assistantes maternelles exercent le plus souvent en zone rurale, en périphérie des grandes villes ou dans des petites villes. En Bretagne par exemple, région assez largement composée de zones rurales, elles assurent 85 % de l’offre d’accueil effective globale proposée10Sophie Bressé, Céline Bédel, Quels besoins de compétences pour l’accueil des jeunes enfants par les assistantes maternelles en Bretagne à l’horizon 2040 ?, Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, octobre 2013.. À l’inverse, dans les grandes villes, où le coût du logement est plus élevé et la possibilité d’habiter une maison avec un jardin plus limitée, les assistantes maternelles sont moins présentes. On constate d’ailleurs dans ces grandes villes une présence plus marquée des gardes d’enfants à domicile.
1.4. Les parents employeurs de gardes d’enfants à domicile : un profil bien spécifique
Depuis la mise en place de l’allocation de garde d’enfants à domicile (AGED) en 1987, remplacée à partir de 2004 par le complément de libre choix du mode de garde « Emploi d’une garde d’enfants à domicile » et le volet du complément du mode de garde « Structures » dédié à l’accueil à domicile dans le cadre de la Prestation d’accueil au jeune enfant (Paje), le profil des familles utilisatrices de ce mode d’accueil n’a pas fondamentalement changé. Les parents sont généralement des couples bi-actifs, très souvent cadres tous les deux, avec un niveau de revenus relativement élevé.
En effet, comme le soulignaient déjà Jeanne Fagnani et Évelyne Rassat en 1997 : « pour les mères très qualifiées qui poursuivent une carrière, cette option facilite la mise en œuvre d’une stratégie de conciliation de leurs vies professionnelle et familiale11Fagnani, Rassat, op. cit.. »
Très récemment, une étude de la Cellule technique de réflexion et d’aide à la décision de la Cnaf (CTRAD), sur les seuls parents employant une garde d’enfants dans le cadre de la charte de qualité de la Caf du département des Hauts-de-Seine, décrit un profil de parents utilisateurs similaire : ces derniers appartiennent à la catégorie professionnelle des cadres et professions intellectuelles supérieures à 90 %, et 58 % d’entre eux vivent dans un ménage dont les revenus sont supérieurs à 6 000 euros nets par mois. Sans surprise au regard des emplois qu’ils occupent, les besoins d’accueil des parents recourant à la garde d’enfants à domicile sont plus importants. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) estime à 43 heures le temps d’accueil hebdomadaire moyen, par enfant, pour la garde d’enfants à domicile, contre 37 heures pour les assistantes maternelles et 38 heures en crèche12Observatoire national de la petite enfance, L’accueil du jeune enfant en 2012. Données statistiques, Cnaf..
Les parents employeurs de gardes d’enfants interviewés par l’Observatoire des emplois de la famille fin 2015 dans le cadre d’une étude qualitative, tous franciliens, cadres et en couple bi-actif, mettent également en avant les avantages de ce mode d’accueil en termes de conciliation, même si c’est le bien-être de leurs enfants, à travers le respect de leur rythme de sommeil et leur sécurité affective, qu’ils mettent en avant comme premier point fort de la garde à domicile.
Les données disponibles, de sources multiples, donnent à voir des caractéristiques récurrentes en termes de profil socio-professionnel des parents employeurs de gardes d’enfants et de répartition sur le territoire, mais laissent également entrevoir des évolutions.
1.5. La garde à domicile, un mode d’accueil amené à se développer
La garde d’enfants à domicile est un mode d’accueil qui se développe : d’après les données publiées par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), entre le premier trimestre de l’année 2004 et le premier trimestre 2016, le nombre de parents employeurs de gardes d’enfants à domicile déclarant leur salarié(e) via la Paje est passé de 65 000 à près de 93 000, soit une augmentation de 43 % en douze ans13Sandrine Maj, Viviana Zamfir, « Les particuliers employeurs au premier trimestre 2016 », Acoss Stat, n° 233, Acoss, juillet 2016.. Après avoir stagné et même un peu régressé entre 2012 et 2014, ce nombre est de nouveau en augmentation depuis le dernier trimestre de l’année 201414Mélanie Gromer, « Les parents employeurs : un bilan des dix dernières années », Baromètre des emplois de la famille, n° 17, Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, avril 2016..
Par ailleurs, les parents employeurs de gardes d’enfants sont maintenant présents dans la plupart des grandes villes françaises, celles qui concentrent les emplois de cadres, et attirent les jeunes parents ayant des besoins de garde importants, et en capacité financière de recourir à ce mode d’accueil. Même si la zone d’emploi de Paris concentre toujours à elle seule une part importante des parents employeurs de gardes d’enfants à domicile en métropole (44 %), les zones d’emploi correspondant aux grandes villes françaises en regroupent 29 %15Données Acoss sur les particuliers employeurs ventilées par catégorie d’emploi et par zone d’emploi au 1er trimestre 2015, transmises dans le cadre du partenariat scientifique entre l’Observatoire des emplois de la famille et la Direction des études, des statistiques et de la prospective de l’Acoss..
Dans le contexte budgétaire contraint actuel où la création de nouvelles places en crèche n’est le plus souvent plus à l’ordre du jour dans les collectivités, ces évolutions balbutiantes devraient se confirmer. Pour répondre aux enjeux d’accueil de demain, les collectivités devront donc miser sur le développement de l’accueil individuel, en proposant une offre suffisamment diversifiée pour répondre aux besoins de chaque famille. Jusqu’ici, les conseils départementaux ont surtout développé l’offre d’accueil des assistantes maternelles, en délivrant de nombreux agréments. Mais le vieillissement des assistantes maternelles, dont le renouvellement apparaît urgent dans certains territoires, et le chômage ou la sous-activité de certaines d’entre elles, incitent à poser la question de la territorialisation du développement de l’offre d’accueil. Enfin l’attractivité des territoires repose sur leur capacité à créer des emplois certes, mais également à proposer une offre d’accueil diversifiée et effective qui permette aux jeunes parents qu’ils cherchent à attirer d’exercer leur activité professionnelle sereinement. Dans ce contexte, il semble que la garde d’enfants à domicile ait son rôle à jouer, sous réserve de prouver qu’elle peut être un mode d’accueil de qualité.
2. Spécificités de la garde d’enfants à domicile et critères de qualité des modes d’accueil
La garde d’enfants à domicile est un mode d’accueil qui, bien que solvabilisé par la Caf via le dispositif de la Paje, bénéficie d’une relativement faible reconnaissance de la part des institutionnels et des acteurs du champ de l’accueil de la petite enfance. Le rapport de la mission portée par Sylviane Giampino remis en mai 201616Sylviane Giampino, Développement du jeune enfant, modes d’accueil, formation des professionnels. Rapport remis à madame Laurence Rossignol, ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des Femmes, mai 2016., qui ne consacre que quelques lignes à ce mode d’accueil et au métier de garde d’enfants à domicile, rappelle ce constat : « Les pouvoirs publics subventionnent dans des proportions non négligeables le recours à ce mode d’accueil, alors qu’à ce jour aucun élément ne permet d’en mesurer la qualité au regard du développement et de l’épanouissement de l’enfant. »
Ce positionnement « à part » dans le champ des modes d’accueil de la petite enfance est le résultat de la combinaison d’un faisceau d’éléments que nous tentons de mettre au jour dans cette étude. Nous verrons ensuite pourquoi et comment les territoires et les acteurs et régulateurs du champ de la garde d’enfants se saisissent – ou non – de la question et mettent en œuvre des actions qui visent à faire émerger la notion de qualité autour de ce mode d’accueil.
2.1. Aux racines du métier de garde d’enfants
Sans se lancer dans une analyse historique fine de l’émergence de la garde d’enfants à domicile en tant que mode d’accueil, se placer dans une perspective historique permet de comprendre et de situer les racines de représentations associées à celui-ci, qui perdurent encore très largement aujourd’hui. Dans la première moitié du XXe siècle, pour ne pas remonter plus loin encore, les mères qui se faisaient aider à leur domicile pour garder leurs enfants étaient des femmes d’un certain milieu, relativement aisées, souvent au foyer. Ces dernières employaient à leur domicile, dans un cadre juridique quasiment inexistant17La première convention collective nationale de la branche des Salariés du particulier employeur date de 1980. Auparavant, des conventions collectives départementales existaient, dont la première date de 1948., d’autres femmes de milieu bien plus populaire, pour les aider, le plus souvent en leur présence, à assumer l’ensemble des tâches attachées à l’entretien du foyer et au soin des enfants, souvent nombreux. En d’autres termes, les « ancêtres » des gardes d’enfants à domicile sont des employées de maison qui, certes, s’occupent des enfants, mais sont d’abord employées pour fournir une aide à l’ensemble des tâches ménagères du foyer. De ce tableau très superficiel, on peut retenir deux éléments qui nous permettent d’éclairer certaines des représentations négatives associées à ce mode d’accueil aujourd’hui :
- Historiquement, les gardes d’enfants à domicile – qui ne portaient pas encore ce nom, d’abord parce qu’aucune convention collective nationale n’existait pour les désigner, et ensuite parce que leur palette d’intervention était bien plus large – étaient généralement employées par des mères au foyer exerçant, pour certaines, une activité bénévole, et donc issues de milieux relativement favorisés. En héritage de ce passé, la garde d’enfants à domicile a gardé l’image d’un mode d’accueil exclusivement dédié aux foyers les plus aisés, et ancré dans une relation de domesticité.
- L’activité d’éducation et de soin aux enfants était englobée dans un panel d’activités plus larges liées aux tâches ménagères, dans un cadre théorique où s’occuper des enfants et de l’entretien de la maison se faisaient conjointement, et relevaient d’un même champ de préoccupation : prendre soin d’un foyer au sens large, de son cadre de vie comme de ceux qui y vivent. Or la place des tâches domestiques au sein de l’activité de garde d’enfants à domicile constitue aujourd’hui l’un des points d’achoppement pour la reconnaissance de ce métier dans le champ de l’accueil de la petite enfance.
Pour comprendre pourquoi la garde d’enfants à domicile peine à être reconnue comme un mode d’accueil de qualité dans le champ de l’accueil de la petite enfance et, dans le même mouvement, pourquoi les gardes d’enfants peinent à être reconnues comme de véritables professionnelles de ce champ, il faut se pencher sur les spécificités de ce métier, et les mettre en regard des critères qui sont mobilisés pour juger de la qualité des modes d’accueil aujourd’hui, en France, et plus largement en Europe. En quoi l’objet du métier, les pratiques et le cadre d’exercice de ces intervenantes diffèrent-ils ou non de ceux des autres professionnels de l’accueil de la petite enfance ? Quels sont les critères mobilisables pour évaluer la qualité d’un mode d’accueil ? Et en quoi les spécificités du métier de garde d’enfants à domicile nourrissent-elles les doutes sur la qualité de l’accueil qu’elles proposent ?
2.2. Les spécificités du métier de garde d’enfants à domicile
Le champ des modes d’accueil formels en France s’organise globalement autour de deux modalités d’accueil, l’accueil collectif et l’accueil individuel. L’accueil collectif proposé par les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) peut se faire à temps plein, en crèche principalement, ou à temps partiel, notamment en halte-garderie. L’accueil individuel est très largement le fait des assistantes maternelles, et nettement plus marginalement celui des gardes d’enfants à domicile, avec, on l’a vu, des disparités territoriales très fortes. Même si certaines différences existent entre les métiers et les profils des professionnels de l’accueil de la petite enfance, tous ont en commun l’accueil, au sens de prendre soin et d’éveiller, des jeunes enfants avant l’âge de leur scolarisation. Et tous, à leur échelle, souffrent d’un manque de reconnaissance de leur métier, lié en premier lieu à la naturalisation de leurs compétences. Celles-ci sont en effet, pour celles qui relèvent du soin et de l’attention aux enfants, considérées comme naturelles, associées à des qualités humaines identifiées comme propres aux femmes plus qu’à des compétences professionnelles. Et pour d’autres, totalement invisibles : comme l’explique Anne-Lise Ulmann18Anne-Lise Ulmann, « Le travail émotionnel des professionnelles de la petite enfance », Politiques sociales et familiales, n° 109, Cnaf, septembre 2012., dans les métiers de la petite enfance, le travail psychologique à l’égard des enfants, « intégré à la tâche matérielle, fait la spécificité et la complexité du travail de care, mais se repère difficilement car il s’effectue souvent sans parole : un sourire, un regard concentré, un engagement du corps retenu mais prêt à intervenir au cas où… Cette mobilisation subjective, effectuée souvent sans motricité corporelle très manifeste, conduit à sous-estimer la charge mentale éprouvée par les professionnelles dans ce travail de care », et à rendre relativement invisibles les compétences associées à celui-ci.
2.2.1. Quelle place pour les tâches ménagères ?
La convention collective des salariés du particulier employeur précise le contenu du travail des gardes d’enfants à domicile. Ces dernières, « selon les directives des parents, assurent le travail effectif lié à la présence des enfants, notamment : préparation de leurs repas, entretien du linge, habillement, toilettes, promenades, trajets, nettoyage de leurs chambres, salle de bains, cuisine, etc. ; et contribuent à l’éveil des enfants19Convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999. ». Si l’accueil et le soin de l’enfant occupent une place centrale dans l’activité des gardes d’enfants, celles-ci ont aussi en charge les tâches domestiques associées à l’environnement de l’enfant – nettoyer la cuisine après les repas, remettre en ordre les espaces utilisés par les enfants etc. – alors que les tâches ménagères de la famille (repassage etc.) ne relèvent pas de leur champ d’intervention. En d’autres termes, on attend d’elles qu’elles prennent soin des enfants en l’absence des parents mais également qu’elles leur restituent un domicile en ordre à leur retour. Ces attendus constituent une spécificité du métier de garde d’enfants à domicile.
Structure mandataire privée : Moi je me positionne dans la loi, dans la légalité, comme ça c’est simple. Le job, c’est clair, c’est entretenir les lieux de vie des enfants. Donc ce n’est pas le côté le plus glamour, c’est ce que je leur dis, mais entretenir les lieux de vie des enfants, ça fait partie du job, ça ne se discute pas, ça se fait.
Si les assistantes maternelles se doivent de proposer un lieu d’accueil irréprochable sur le plan de l’hygiène, et donc assurent, dans le cadre de leur activité professionnelle, un certain nombre de tâches domestiques au sein de leur propre logement, l’entretien du linge des enfants, par exemple, ne leur incombe pas, et le sentiment de déclassement associé à la réalisation de tâches ménagères dans le cadre de leur métier d’accueil de jeunes enfants est nécessairement moindre dès lors qu’elles prennent en réalité soin de leur propre logement. D’une manière générale, la frontière, poreuse et floue, entre ce qui relève des tâches domestiques liées à l’enfant et les tâches ménagères de la famille n’a pas à être définie au domicile de l’assistante maternelle, alors que cette question apparaît centrale dans la définition des tâches des gardes d’enfants à domicile qui exercent leur activité au sein du domicile parental. Le lieu d’exercice de l’activité est finalement à l’origine d’un certain nombre de spécificités métier, comme le fait de donner le bain aux enfants, mais génère également un espace de négociation sur la réalisation de tâches qui ne font pas partie du périmètre du métier de garde d’enfants à domicile, mais peuvent s’intégrer dans l’emploi.
Structure mandataire privée : Ça peut être faire la machine des enfants, passer un coup d’aspirateur dans le salon parce que le lieu de vie est dans le salon et qu’ils font du quatre pattes toute la journée, et que ce serait bien que ce soit propre… faire le lit et ranger les jouets, ça ça ne se discute pas, c’est le job… évidemment le repas, ranger après avoir utilisé les choses bien sûr… après si on passe du côté des familles, ça ne fait pas partie de leur job, mais ça peut se négocier parce qu’il y a plein de nounous et il y a plein de parents qui sont d’accord… Il y a des parents qui veulent réduire les frais de la femme de ménage, et puis il y a la nounou qui va être d’accord parce qu’elle va gagner plus d’argent, et que grosso modo quand elle ne garde qu’un enfant, pendant qu’il fait dodo, si elle repasse quelques chemises, elle va gagner plus d’argent et elle sera très contente, et tout le monde est gagnant… mais alors ce que je dis toujours (aux parents) c’est que le ménage des familles, ça ne fait pas partie du job, que ça peut évidemment se négocier avec la nounou parce qu’il y a des nounous qui peuvent être tout à fait intéressées, que moi je ne sais pas du tout comment elles repassent une chemise et que ça ne m’intéresse pas… donc libre à elles de se mettre d’accord ensemble, et je décline toute responsabilité concernant la qualité des prestations dans le ménage.
Avec la nouvelle grille de classification des métiers et des compétences de la branche Salariés du particulier employeur20Une nouvelle grille des métiers s’applique à tous les salariés employés au domicile d’un particulier employeur depuis le 1er avril 2016., les différentes missions confiées à la garde d’enfants sont décomposées de façon à permettre à chaque binôme garde d’enfants/parent employeur de construire un poste singulier au sein d’un cadre réglementaire. La convention collective fixe un cadre, au sein duquel le poste s’élabore, et se rémunère en conséquence, sur la base d’une négociation entre les parties. Mais la question des tâches ménagères continue de cristalliser les tensions, car leur réalisation rend possible une augmentation de la rémunération, en même temps qu’elle éloigne la possibilité de reconnaissance du métier de garde d’enfants à domicile dans la sphère professionnelle de l’accueil de la petite enfance.
2.2.2. Une activité exercée de façon solitaire
L’accueil du jeune enfant par une garde d’enfants à domicile diffère de l’accueil en établissement d’accueil collectif par son caractère individuel, à un double niveau : contrairement à ce qui se passe en crèche, l’enfant est gardé seul ou avec un autre enfant, et par une intervenante unique, exerçant son activité professionnelle de façon solitaire, là où l’accueil en EAJE est organisé autour de plusieurs professionnels au sein d’une section – et parfois avec des échanges entre les différentes sections – donnant à l’enfant, comme aux professionnels, l’occasion de contacts et d’échanges avec une pluralité d’intervenants. Du point de vue de cette forme d’isolement dans l’exercice de leur activité professionnelle et de l’absence de collectif de travail, le métier de garde d’enfants à domicile se rapproche de celui d’assistante maternelle.
Même si pour cette dernière, un conjoint, une voisine, ses propres enfants pourront régulièrement, ou partager le logement avec elle pendant la garde (quand le conjoint est retraité ou au chômage notamment) ou y passer momentanément, et ainsi réduire le sentiment de solitude associé au confinement avec des enfants dont le langage est encore peu développé.
2.2.3. Au domicile du parent employeur
Un autre point structurant distingue l’accueil individuel assuré par les gardes d’enfants à domicile et par les assistantes maternelles, de l’accueil collectif : le premier a lieu dans un domicile privé, dans un lieu de vie, celui des parents pour les gardes d’enfants et celui des professionnelles pour les assistantes maternelles, alors que le second est proposé dans un lieu extérieur au domicile et dédié uniquement à cette activité d’accueil.
Ces dernières sont, les unes comme les autres, inscrites dans une relation d’emploi hiérarchique avec les parents des enfants qu’elles accueillent, ce qui requiert une disposition à l’écoute et à la prise en compte des attentes de ces parents, et une capacité de communication avec ces derniers, au-delà de la nécessaire communication de qualité qu’elles doivent mettre en œuvre avec les jeunes enfants dont elles s’occupent toute la journée. En ceci les métiers d’assistantes maternelles et de gardes d’enfants se distinguent très nettement de ceux des professionnelles exerçant en établissement d’accueil collectif, où un règlement intérieur, une organisation, des activités pour les enfants sont en quelque sorte imposés aux parents. En revanche, on peut supposer que les attentes parentales s’imposeront différemment, et plus ou moins puissamment, dans l’organisation de l’accueil, selon que celui-ci a lieu chez les parents ou chez l’assistante maternelle, même si le postulat de départ est bien dans les deux cas celui d’un nécessaire échange de points de vue respectueux de ces attentes.
2.2.4. Sans formation ni qualification préalable obligatoire
Les assistantes maternelles sont agréées par la PMI, organe du conseil départemental, une fois leur logement évalué, et après avoir suivi une formation de 120 heures, dont les 60 premières doivent être suivies avant l’accueil du premier enfant, et les 60 suivantes dans les deux ans qui suivent la première embauche par des parents. Même si ce niveau de formation n’est pas équivalent au CAP petite enfance, niveau de diplôme minimum pour exercer en crèche publique, il sanctionne un socle minimal de compétences nécessaires à l’exercice du métier. Alors qu’à l’inverse, aucune formation ni qualification ne sont requises pour exercer le métier de garde d’enfants à domicile. En d’autres termes, le métier de garde d’enfants à domicile est ouvert à tous.
2.3. Un métier discrédité par un faible niveau de qualification et l’absence de pratiques collectives
Tracé rapidement et de façon neutre, ce tableau des spécificités du métier de garde d’enfants à domicile permet déjà d’entrevoir les procès qui peuvent être faits à la garde à domicile en tant que mode d’accueil. Sa première faiblesse est évidemment l’absence de formation préalable obligatoire. Avec pour conséquence un marché des gardes d’enfants dérégulé, au sein duquel postulent des personnes qualifiées pour faire ce métier, mais également tout un ensemble de personnes n’ayant aucune expérience de la garde d’enfants.
Observatoire FEPEM : Et pour vous, le frein au départ, ce qui empêche de s’engager sur la voie de la garde d’enfant à domicile, c’est quoi ?
Conseil départemental : C’est parce que ce ne sont pas des professionnelles vraiment formées, qu’il n’y a pas vraiment une formation reconnue, parce que ce n’est pas un métier vraiment formé, il n’y a pas une obligation de formation pour l’exercer, et je pense que c’est ce qui freine vraiment, en tout cas au niveau de la PMI.
2.3.1. Qualité de l’accueil et niveau de qualification des intervenants
Comme le souligne Catherine Collombet21Catherine Collombet, « Qualifications des professionnels de la petite enfance : quels enjeux et quels modèles en Europe ? », Politiques sociales et familiales, n° 121, Cnaf, 3e et 4e trimestre 2015 dans une étude sur les qualifications des professionnels de la petite enfance en Europe : « l’impact de la qualité des modes d’accueil des jeunes enfants sur leur développement est aujourd’hui très bien documenté, et parmi les différentes dimensions de la qualité, le niveau de qualification des professionnels apparaît comme l’un des plus importants ». Un niveau d’éducation plus élevé apparaît ainsi associé à une plus grande capacité du professionnel à « s’adapter aux particularités de chaque enfant et à lui proposer des expériences cognitives et un langage riches et stimulants ». Selon cette même étude, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) affirme également que « les nombreux bénéfices de l’accueil et de l’éducation des jeunes enfants sont conditionnés à la qualité suffisante des temps d’échanges et de réflexion entre professionnelles sur leurs pratiques pédagogiques », la supervision et le suivi de la qualité de l’accueil, à travers les dispositifs de formation continue et d’échanges de pratiques, apparaissant finalement aussi importants que le niveau de qualification initial des professionnels.
La mission dirigée par Sylviane Giampino22Giampino, op. cit. confirme et précise les raisons de la nécessité de ces échanges entre professionnelles relatifs aux pratiques et aux difficultés rencontrées, à la fois professionnalisants, apaisants et préventifs.
Extrait du rapport Giampino : La question pédagogique en petite enfance est plus complexe qu’il n’y paraît. Les très jeunes enfants sont exigeants car il leur faut encore apprendre à différer la satisfaction de leurs besoins, débordants car ils sont voraces de relation, irascibles car ils n’ont pas encore les codes et les mots pour se faire entendre, bruyants et bougeants car corporels, fatigants car ils veulent tout expérimenter. La transgression des limites et des règles fait partie de ce qui leur permet d’intérioriser et accepter celles-ci, et cela prend du temps… Ce faisant, ils « désordonnent » les adultes qui prennent soin d’eux. Les corpus de connaissance, les cadres d’orientation, les contrats, les projets de travail écrits, les savoir-faire, sont un étayage nécessaire mais non suffisant. C’est pourquoi la socialisation professionnelle (parler de son travail avec d’autres sans être jugé) et les temps de réflexivité réguliers institutionnalisés et en dehors de la présence des enfants, sont à la fois professionnalisants et triplement préventifs : des violences latentes ou effectives sur les enfants, des dérapages dans les relations avec les parents, de la souffrance au travail des adultes.
Pour garantir la qualité de l’accueil, un niveau de formation initiale relativement élevé serait donc souhaitable, peu compatible avec les niveaux de salaires proposés par les structures d’accueil pour exercer les métiers, même les plus qualifiés, du champ de l’accueil de la petite enfance. Mais cette qualité de l’accueil est nécessairement à considérer dans la durée et non à un instant T, et ne peut perdurer qu’à travers la mise à jour régulière des compétences via la formation continue et le partage des bonnes pratiques dans le cadre d’échanges entre professionnels.
Les « régulateurs » interrogés en France dans le cadre d’une étude sur la qualité de l’accueil proposé par les assistantes maternelles23Geneviève Cresson, Sandie Delforge, Dominique Lemaire, « La « qualité » du travail dans le métier d’assistante maternelle. Le point de vue des « régulateurs » de ce métier », Politiques sociales et familiales, n° 109, Cnaf, septembre 2012., non assimilable mais comparable par bien des points à celui des gardes à domicile, ne disent pas autre chose, même si leurs réflexions semblent mettre plus en avant le bien-être de l’enfant, la connaissance de ses besoins spécifiques (sommeil, nutrition, besoins affectifs), non pas au détriment de sa stimulation cognitive mais au moins au même niveau. De leurs propos, les auteurs ont fait émerger quatre dimensions de la qualité de l’accueil :
- la dimension matérielle, à travers l’hygiène du logement de la professionnelle et la sécurité physique de l’enfant qu’il est censé garantir ;
- la formation, considérée comme indispensable pour un accueil de qualité, son absence constituant « la limite la plus importante à la qualité de l’accueil en privant l’assistante maternelle des réponses professionnelles pertinentes », doit être ici aussi inscrite dans la durée et tournée vers la pratique et la réflexivité, et ainsi permettre « la prise de recul par rapport à l’expérience profane et le positionnement en tant que professionnelle » ;
- la disponibilité et l’écoute, à l’égard des enfants bien sûr, pour être en mesure de discerner et de comprendre leurs besoins, mais également à l’égard des parents, pour repérer et entendre les besoins exprimés, « dans une posture faite de respect, de compréhension et de recherche d’arrangements et de compromis satisfaisants » ;
- la dimension collective du travail et de l’accueil, avec le collectif constitué des enfants accueillis en même temps et de leurs parents, le collectif formé du groupe des assistantes maternelles « avec qui partager informations et expériences », et enfin le collectif dont relèvent toutes les assistantes maternelles supervisées par la même institution. Dans ce cadre, fréquenter le relais d’assistantes maternelles de son quartier (Ram) et ainsi se confronter à d’autres pratiques sous le regard de l’animateur est un indicateur de qualité du travail de l’assistante maternelle dont les bénéfices rejaillissent sur celle de l’accueil. Pour autant si les « régulateurs » interrogés insistent sur la nécessaire dimension collective du travail des assistantes maternelles, c’est souvent pour en déplorer la rareté, et pour mettre en avant la nécessité du contrôle et du suivi de leur activité, particulièrement difficile au domicile.
2.3.2. Pas de qualité sans réflexivité
Il ressort de ces éléments que la garde d’enfants à domicile comme mode d’accueil présente des spécificités qui lui portent préjudice pour être reconnue comme un mode d’accueil de qualité. Les gardes d’enfants à domicile n’ont besoin d’aucun diplôme ni d’aucune formation pour exercer leur activité ; ce constat a pour conséquence, malgré la présence de personnes formées parmi celles-ci, un procès en incompétence généralisé à l’ensemble de la profession. Elles exercent seules, sans contact formalisé et organisé avec d’autres professionnelles. Elles ne sont ainsi intégrées à aucun collectif de travail qui leur fournirait l’occasion d’échanger sur leurs pratiques et leurs postures vis-à-vis des enfants, de les mettre en question, pour in fine définir un socle commun de bonnes pratiques associées à leur métier, de mettre à jour leurs compétences et leurs connaissances relatives au développement du jeune enfant – dans un domaine où la recherche met constamment en avant de nouveaux apports et de nouvelles approches –, de prendre conseil en cas de difficultés auprès de pairs et de personnes plus expérimentées. Or l’absence de collectif de travail empêche ou réduit considérablement le sentiment d’appartenance à une famille professionnelle.
2.3.3. La qualité de l’accueil prise dans la relation d’emploi
Enfin, elles exercent leur activité au sein d’un domicile privé, où personne n’est habilité à entrer pour juger du caractère professionnel et adapté de leur pratiques, qui de surcroît n’est pas le leur et au sein duquel il est attendu d’elles qu’elles organisent l’accueil des enfants dont elles ont la charge dans le respect des attentes et des souhaits exprimés par les parents. La relation d’emploi qui unit le parent et la garde d’enfants a donc des répercussions sur les pratiques d’accueil, et son organisation, et la définition globale des tâches à réaliser, incluant les tâches ménagères liées à l’enfant, et parfois, après négociation, certaines tâches ménagères de la famille. En résumé, la relation d’accueil est prise dans une relation d’emploi qui, lorsqu’elle n’est pas bien gérée, a des répercussions sur la qualité de l’accueil de l’enfant.
Ces différents éléments, qui peuvent bien sûr s’entendre, mais également se discuter (c’est l’un des objets de cette étude), se manifestent généralement en creux, à travers des comparaisons avec les professionnelles des crèches et les assistantes maternelles – « ce ne sont pas les mêmes professionnelles » – plus que dans des discours élaborés et des argumentaires construits, qui manifestent une forme de confusion entre le jugement porté sur la qualité du mode d’accueil en lui-même, et le constat posé sur les intervenantes qui proposent ce mode d’accueil, et dont certaines caractéristiques – elles sont souvent non qualifiées et issues de l’immigration – seraient de nature à limiter la qualité de l’accueil proposé. Comme si la réflexion sur la qualité de la garde d’enfants à domicile comme mode d’accueil se limitait à des a priori.
2.4. Un mode d’accueil individuel hors du champ de compétences du conseil départemental
Pourquoi ? La principale explication réside dans le positionnement particulier de la garde d’enfants à domicile dans le champ de l’accueil de la petite enfance, tel qu’il s’est structuré au cours des dernières décennies. Les échanges avec les institutionnels sont de ce point de vue très éclairants : avant même d’interroger la qualité de la garde d’enfants à domicile comme mode d’accueil, celui-ci est en quelque sorte déjà discrédité par le fait qu’il est le seul mode d’accueil individuel qui ne relève pas du champ de compétences de la PMI et plus largement du département, en charge de l’agrément des assistantes maternelles sur les territoires. Dès lors, la garde d’enfants à domicile n’est de facto pas incluse dans la réflexion, et encore moins dans les plans d’action, relatifs aux modes d’accueil individuels.
Conseil départemental : C’est vrai que le conseil départemental n’a pas vraiment de mission vis-à-vis des gardes à domicile. Moi quand je suis arrivée sur ce poste, il n’était même pas question de parler de la garde à domicile. Ce n’était pas du tout un mode d’accueil qui était discuté puisque ça ne faisait pas partie de l’agrément, ce n’était pas dans les missions de la PMI donc on n’en parlait pas… Le conseil départemental n’a pas de mission légale sur la garde à domicile.
Observatoire : Et vos assistantes maternelles qui sont au chômage, peut-être pour des raisons liées à leur logement ou ce genre de choses, par exemple pour ces personnes-là, vous ne vous dites pas… Vous savez qu’elles ont été formées etc., vous pourriez les diriger vers des emplois de garde d’enfants chez des parents demandeurs…
Conseil départemental : Ah non, parce que si elles gardent à domicile, elles doivent renoncer à leur agrément, les deux ne sont pas compatibles, elles sont agréées pour travailler à leur domicile.
Observatoire : Mais pourquoi ?
Conseil départemental : Mais parce que la PMI n’a pas… Elle n’est pas sur la garde au domicile des parents.
Ce positionnement un peu « hors-sol » de la garde d’enfants à domicile dans le champ des modes d’accueil incite à faire l’économie de la réflexion sur sa qualité et sur les leviers qui permettraient de développer ce mode d’accueil et de garantir sa qualité, puisqu’aucune institution publique n’est en charge de cette mission.
Du point de vue des institutionnels et des chercheurs en sciences humaines qui s’intéressent aux questions d’éducation et de développement des jeunes enfants, on comprend bien le cheminement intellectuel qui amène à ne pas placer la garde d’enfants à domicile au même niveau que les autres professionnels de l’accueil de la petite enfance : elles sont souvent peu ou pas qualifiées au départ, rien ne les oblige à s’inscrire dans une trajectoire de professionnalisation, et leur métier s’exerce de façon isolée, les privant d’occasions d’échanger sur leurs pratiques, et donc d’opportunités de progresser dans leur métier. En s’appuyant sur cette photographie, garantir la qualité de la garde d’enfants à domicile comme mode d’accueil s’avère donc impossible. Et toujours de ce point de vue, c’est au sein des crèches que l’on trouve réunies la plupart des conditions permettant de produire la qualité de l’accueil.
Mais dans le même temps, un autre discours est tenu par les acteurs et régulateurs du champ de la garde d’enfants, dont beaucoup sont impliqués dans le champ plus large de l’accueil de la petite enfance, un discours posé par touches, qui se détache du discours général sur les modes d’accueil, assumé à titre personnel, mais pas toujours à titre professionnel. Un discours qui met en avant une moindre compatibilité de l’accueil collectif avec le respect du rythme et la sécurisation affective des tout-petits, un intérêt du collectif pour l’enfant qui ne deviendrait réel qu’à partir de 18 mois, lorsque l’enfant marche et que s’enclenche l’acquisition du langage. Et qui laisse entendre que les modes d’accueil individuels pourraient être plus adaptés à la prise en charge du très jeune enfant, a fortiori lorsque cet accueil se fait dans son propre domicile.
Relais petite enfance : J’ai travaillé en crèche collective, en tant que directrice. Le projet avec l’équipe était toujours le même, être au plus près, l’accompagnement des enfants, le rythme… mais la collectivité, ça a des limites… pour moi ce n’est pas si idéal que ça. […] La collectivité ce n’est pas forcément facile pour tous les enfants et de toute façon toutes les directrices de crèche vous le diront, la crèche ce n’est pas ce qu’il y a de plus adapté pour les tout-petits. Ensuite ils aiment bien quand ils sont grands. Même si le rythme peut être fatigant. Mais certains enfants sont très à l’aise avec ça.
Structure mandataire privée : On n’a pas de place en crèche, alors qu’évidemment c’est le sésame… c’est le sésame parce que c’est structuré donc ça rassure, alors que pour l’enfant en tant que tel, je pense que jusqu’à ses 18 mois, c’est pas forcément ce qu’il y a de mieux, je ferme la parenthèse.
Pourtant, de façon semble-t-il peu coordonnée, des initiatives pour travailler autour de la qualité de ce mode d’accueil existent sur le territoire.
3. Développer la qualité de la garde d’enfants à domicile
3.1. Les recommandations de la Cnaf…
La branche Famille, dans la convention d’objectif et de gestion qui la lie à l’État pour la période 2013-2017, vise la mise en œuvre d’une « égale exigence de qualité pour l’accueil collectif et individuel ». Cependant elle précise que « les assistants maternels offrent la majeure partie des solutions d’accueil en France, de sorte que l’ensemble des objectifs fixés par la présente convention impliquent une attention accrue portée à l’accueil offert par ces professionnels ». Il est tout de même indiqué qu’ « afin de renforcer la qualité de l’accueil individuel, la Cnaf réalisera en partenariat avec la Mission des services à la personne (MISAP), une « charte qualité » relative aux services d’accueil à domicile »24COG entre l’État et la branche Famille pour la période 2013-2017..
La Cnaf émet une série de recommandations. Elle a ainsi tenté avec la circulaire de 201125Lettre-circulaire n° LC- 2011- 020., d’inciter les Caf, en s’appuyant sur le réseau existant des Ram, à « améliorer la qualité, la professionnalisation et la structuration de l’accueil à domicile », objectif inscrit dans la convention d’objectifs et de gestion précédente entre l’État et la branche Famille. Il s’agit concrètement d’ouvrir les Ram, qui dépendent de la PMI, aux gardes d’enfants à domicile, et d’y développer une fonction de Rap (relais d’auxiliaires parentales), en apportant aux gardes d’enfants à domicile des informations et des réponses en lien avec leurs préoccupations (questions métier, gestion de la relation avec les parents, prise d’initiative au domicile de l’employeur, etc.), et en leur proposant, comme c’est généralement le cas avec les assistantes maternelles, de participer à des temps collectifs permettant d’une part la socialisation des enfants, et d’autre part une forme de professionnalisation des gardes à domicile via l’échange des pratiques entre professionnelles encadré par des référentes expérimentées du relais. Mais à peine l’objet de la circulaire est-il mentionné qu’il est déjà précisé qu’ « il n’appartient pas à la Cnaf de modifier les missions et l’appellation des Ram, laquelle a été codifiée à l’article L. 214-2-1 du Code de l’action sociale et des familles. Cette appellation ne peut donc être modifiée que par la voie législative ».
3.2. … à l’épreuve des priorités et de la volonté des communes
En d’autres termes, la circulaire n’a qu’un faible caractère contraignant pour les Caf. Il faut donc, pour qu’un tel objectif soit atteint, miser localement sur un travail collaboratif important entre la Caf et le conseil départemental, et sur une volonté réelle des communes.
Observatoire (à propos des Ram qui peuvent être amenés à renseigner des gardes d’enfants à domicile) : C’est plus une adaptation à la situation qu’un projet à part entière ?
Conseil départemental : Tout à fait, la majorité du temps oui c’est ça, par défaut, tout à fait. Je sais que vous avez rencontré le relais de Montreuil. Là ils ont quand même le projet de monter quelque chose de spécifique, il y a quelques communes qui sont en réflexion ici parce qu’elles (les gardes d’enfants) sont de plus en plus nombreuses chez elles. Ce n’est pas tout à fait la même façon d’exercer que les assistantes maternelles donc ils ne veulent pas trop les mélanger non plus. Et puis elles n’ont pas forcément des places pour les accueillir… Donc il y a des choses qui sont en train de se réfléchir et des projets. Le département, c’est vrai, a commencé un petit peu à le prendre en compte comme mode d’accueil mais pas pour se mettre dans le positionnement de « qu’est-ce qu’on fait avec eux ? » Pour nous en tout cas il y a les relais, les relais c’est dans les communes, et c’est à elles seules de voir comment elles le prennent en charge. La Caf aussi peut mettre en place des moyens pour la garde à domicile, tout l’accompagnement…
Observatoire : D’accord. Et vous, par exemple sur ces projets de relais petite enfance ou Rap, il n’y a aucun financement du département ?
Conseil départemental : Non, ce sera uniquement la Caf. Alors après les projets, par contre pour monter les projets, selon les communes, la PMI va peut-être être associée parce que quand même ils ont des compétences qu’ils peuvent apporter, mais après ce sera à la bonne volonté de chacune et puis des relations qu’il y a entre elles…
Si toutes les Caf ne s’y attèlent pas, c’est d’abord parce que sur certains territoires, le recours à ce mode d’accueil est tellement marginal que l’investissement ne se justifie pas. Bien avant cette circulaire, la Caf des Hauts-de-Seine, qui compte une proportion importante de parents recourant à la garde d’enfants, avait pour sa part fait « depuis longtemps déjà, de la garde d’enfants au domicile des parents une de ses préoccupations majeures puisque, dès 1998, elle a élaboré et signé, en partenariat avec le département et l’État, la charte de qualité relative à la garde d’enfants à domicile26Évaluation de la charte de qualité dans les Hauts-de-Seine, CTRAD, service d’études des Caf en Île-de-France, juillet 2015. ».
3.2.1. Les engagements de la charte de qualité de la Caf des Hauts-de-Seine
Dans le cadre de cette charte, les gardes d’enfants à domicile sont présélectionnées par des services municipaux ou associations agréées au titre des services à la personne – eux-mêmes subventionnés par la Caf – ou co-recrutées par ces derniers et les parents. Une expérience minimum et/ou un certain niveau de qualification sont exigés. Elles sont ensuite suivies dans le cadre de leur activité, en recevant la visite au domicile des parents, donc dans leur cadre de travail, de ces associations, et en participant à un ensemble de rencontres collectives et ateliers organisés par celles-ci et encadrés par un professionnel reconnu de la petite enfance. Par ce biais, elles accèdent à des temps de travail collectifs qui contribuent à l’amélioration constante de leurs connaissances et de leurs compétences ; elles sont en outre incitées à se professionnaliser en s’inscrivant à des sessions de formation dans le cadre de la formation continue. La charte repose sur l’engagement volontaire des parents, des professionnelles et des services et associations. Les familles employeuses s’engagent notamment « à respecter les dispositions contractuelles auxquelles sont assujettis les employeurs, à faciliter les regroupements des assistantes parentales prévus dans l’encadrement pédagogique, et sur le principe de ne confier que des tâches relevant de la surveillance et du bien-être de l’enfant gardé ». La charte de qualité des Hauts-de-Seine repose donc sur trois axes structurants : la présélection des auxiliaires parentales, leur suivi et leur professionnalisation. Elle introduit ainsi la mention de « qualité » pour ce mode de garde retenu par les familles, mais également de professionnalisation de l’activité de garde des enfants à domicile.
L’évaluation de ce dispositif réalisée en 2015 met en avant une forte satisfaction de toutes les parties prenantes, notamment des parents, qui se réjouissent des opportunités de socialisation et d’épanouissement de leurs enfants que fournissent les ateliers pédagogiques, et se disent sereins quant à la qualité de l’accueil de leurs enfants. Les professionnelles se déclarent elles aussi très satisfaites de ces occasions de socialiser, qui permettent de rompre l’isolement dans lequel elles exercent leur activité, et sont surtout sources d’apprentissage et d’échanges autour de leur métier. En outre, la formation continue, fortement valorisée et soutenue par les associations et relais, si elle demande un engagement sur leur temps personnel, est un vrai facteur de professionnalisation pour les gardes d’enfants à domicile, dont la conséquence directe est le sentiment d’appartenance à une famille professionnelle et la conscience d’exercer un vrai métier. C’est en effet bien « l’esprit de la charte et de ses acteurs qui, en suivant les assistantes parentales dans leur cursus professionnel, valorisent les compétences et permettent la reconnaissance de ce métier en tant que tel ».
Au-delà de la sélection des gardes à domicile et de l’amélioration de leurs compétences métiers, les structures labellisées charte de qualité proposent également, aux professionnelles comme aux parents, un accompagnement à la mise en place (élaboration du contrat, négociations des congés, etc.) et à la gestion de la relation d’emploi (médiations en cas de tensions). En effet, la qualité de l’accueil proposé à l’enfant est indissociable d’une bonne communication, d’une bonne entente relationnelle entre les parents et les gardes d’enfants. En permettant d’anticiper les malentendus, en désamorçant les éventuels désaccords, en réintroduisant la confiance de part et d’autre en tenant le même discours aux deux parties et en mobilisant le cadre conventionnel pour exercer des arbitrages neutres, les associations et les services labellisés charte de qualité jouent pleinement leur rôle de catalyseur de la qualité, et permettent véritablement la mise en place de conditions favorables à un accueil de qualité pour l’enfant.
Ce dispositif ambitieux et efficace, plébiscité par ceux qui en bénéficient, parents comme professionnelles, présente néanmoins deux limites. Premièrement, il est loin de concerner tous les parents employeurs de gardes d’enfants à domicile du département puisque seules 700 familles en bénéficient en 2014 quand l’Acoss y dénombre, en moyenne sur cette même année, environ 16 000 familles employeuses de gardes d’enfants à domicile27L’écart est considérable, cependant il faut souligner que ce chiffre comprend également les familles employant une garde d’enfants pour des enfants de 3 à 6 ans alors que les 700 familles employant une garde à domicile dans le cadre d’un dispositif labellisé « charte de qualité Caf 92 » font a priori garder, à temps plein, des enfants non scolarisés.. Deuxièmement, il n’a pas essaimé et enclenché de dynamique similaire dans d’autres départements. La Ville et la Caf de Paris, qui ont concentré jusqu’ici leurs efforts sur le développement de structures d’accueil collectives, ont attendu l’année 2015 pour s’inspirer de ce dispositif. Elles ont ainsi mandaté, dans le cadre d’un appel d’offres public, l’association ABC puériculture, pour travailler sur une charte de qualité qui permette d’encadrer et de développer la qualité de la garde d’enfants à domicile comme mode d’accueil à Paris. À l’heure où nous écrivons ces lignes, cette charte serait prête mais n’a pas encore été annoncée officiellement.
Pour autant, certains territoires commencent à jouer le jeu de la circulaire Cnaf de 2011, et contribuent, à une autre échelle, à la structuration et la professionnalisation du métier d’auxiliaire parentale, toutes deux sources de qualité de la garde d’enfants à domicile en tant que mode d’accueil. IPERIA l’Institut, organisme mandaté par les branches Salariés du particulier employeur et Assistants maternels du particulier employeur pour mettre en œuvre leur politique de professionnalisation, confirme ce tournant et rencontre de plus en plus de responsables de Ram intéressés par une information sur l’offre de formation à destination des gardes d’enfants à domicile.
IPERIA l’Institut : On a rencontré toutes les Caf, donc beaucoup de réunions, beaucoup de déplacements, beaucoup d’informations, et quand on a commencé il n’était question que des assistantes maternelles, et maintenant, ça fait à peu près deux ans on va dire, quand on va organiser nos réunions d’information collective auprès du réseau des Ram, là on nous demande de rajouter la partie garde d’enfants à domicile. On va dire que sur une cinquantaine de présents (responsables de Ram), on va avoir une petite dizaine concernée par un public gardes d’enfants.
Observatoire : Donc ça se développe sur tout le territoire ? Ce n’est plus seulement parisien la garde d’enfants à domicile ?
IPERIA l’Institut : Oui. On a rencontré le cas, j’ai envie de dire, dans toutes les grandes villes… En tout cas, elles sont preneuses pour un départ en formation pour les gardes d’enfants, parce qu’elles sont amenées, au même titre que les assistantes maternelles, à les renseigner sur la professionnalisation. On va dire que c’est plutôt fébrile hors IDF. Notre plus gros départ en formation se fait bien sûr sur Paris, je ne parle même pas de l’IDF, je parle de Paris, où on a des gros organismes de formation qui font beaucoup de départs pour les gardes d’enfants à domicile.
3.2.2. Le relais petite enfance de Montreuil, un Ram-Rap volontariste
C’est le cas de la commune de Montreuil, au sein de laquelle la collaboration entre la ville, la PMI et la Caf donne des résultats intéressants, sans pour le moment créer de nouveau dispositif. La structuration de l’offre d’accueil y a semble-t-il beaucoup changé dans les toutes dernières années, et c’est sans doute à partir de ce constat que les différentes institutions ont décidé d’ouvrir les portes des Ram de la commune aux auxiliaires parentales, en les renommant relais petite enfance, un terme plus générique donc plus englobant, et plus accueillant. La directrice de l’un des trois relais de Montreuil, interviewée dans le cadre de cette étude, indique même que la création d’un quatrième relais, exclusivement dédié aux auxiliaires parentales, est envisagée. À partir de statistiques élaborées au niveau de la commune, elle compte aujourd’hui 347 assistantes maternelles en activité à Montreuil, pour 257 auxiliaires parentales. Cependant, les moyens dont elle dispose sur son propre relais ne lui permettent pas d’accueillir les gardes d’enfants à domicile sur des demi-journées d’accueil collectif, comme cela est proposé aux assistantes maternelles sur inscription (et donc seulement à certaines d’entre elles).
Observatoire : Donc si vous ne pouvez pas les accueillir dans une structure…
Relais petite enfance : On reste disponible pour le suivi téléphonique, pour venir un après-midi avec les enfants… Mais pas dans un espace collectif, on ne pourra pas les mettre dans le roulement des 6 demi-journées d’accueil collectif.
Elle rencontre néanmoins les gardes d’enfants qui la sollicitent (tout comme les parents qui les emploient) en entretien individuel pour répondre à leurs questions relatives à la gestion de la relation d’emploi aussi bien que sur les questions éducatives, organise au besoin des séances de médiation entre la professionnelle et ses employeurs, et participe ainsi, comme les structures labellisées charte de qualité des Hauts-de-Seine, à l’atténuation d’éventuelles tensions susceptibles de nuire à la qualité de l’accueil des enfants.
Relais petite enfance : Aujourd’hui, le constat c’est vraiment qu’on a très très peu de questions sur le montage du contrat pour les gardes d’enfants à domicile. Là où on a des questions, c’est sur les difficultés relationnelles entre le parent et l’auxiliaire.
En outre, ces rencontres individuelles sont aussi l’occasion de transmettre aux gardes d’enfants les informations relatives à leurs droits en matière de formation continue, et de valoriser toutes les formes de professionnalisation qu’elles peuvent mobiliser (obtention du certificat de niveau V « assistant maternel/garde d’enfants » via la VAE, modules de formation continue etc.). Avec peu de moyens, et des moyens qui restent malgré tout d’abord fléchés sur les assistantes maternelles, elle réussit tout de même à cocher les cases « formation » et « communication et gestion d’une relation d’accueil inscrite dans une relation d’emploi », qui permettent déjà de rompre une forme d’isolement. Mais elle est pour le moment dans l’impossibilité de proposer aux gardes d’enfants des temps d’accueil collectif avec les enfants, qui impliquent de confronter leurs propres pratiques à celles des autres gardes à domicile et d’accepter le regard extérieur sur leurs pratiques professionnelles.
Et elle est également en difficulté pour leur proposer des temps d’échanges sans enfants autour de leurs pratiques professionnelles, faute de disponibilité de part et d’autre. Pourtant, on l’a vu, ces échanges sont un élément structurant de l’identité professionnelle et contribuent à accroître la qualité des pratiques professionnelles d’accueil et de soin du jeune enfant, en perpétuelle évolution, constituant ainsi un des axes fondamentaux de la professionnalisation.
Observatoire : Pour vous, la professionnalisation de ces métiers qui s’exercent de façon isolée, c’est en créant du collectif…
Relais petite enfance : Oui de créer du collectif avec les enfants parce que du coup on va travailler l’observation, l’accompagnement, mais c’est aussi pouvoir créer du collectif sans les enfants, c’est-à-dire des temps d’échanges autour de leurs pratiques ou de pouvoir leur donner de l’information et c’est ce qu’on a un peu plus du mal à faire avec le public auxiliaires parentales. Parce que du coup c’est un public qui finit tard, qui après doit partir récupérer leurs propres enfants et que même le samedi matin c’est compliqué. Du coup on a du mal à les toucher, par courrier c’est aussi compliqué donc ce n’est pas facile. Ça commence à venir de se dire qu’on se voit à une réunion à 19 h 30 mais il faut qu’il y ait quelque chose de très motivant. Là je pense que c’est venu autour du juridique, ça viendra peut-être après sur l’éducatif parce qu’on commence à bien les connaître. Disons qu’on pourrait nous aussi favoriser plus de rencontres le soir mais simplement on n’a pas la possibilité parce que du coup on essaye déjà d’ouvrir le soir pour les ass. mat.
Consciente de cette limite, elle a fortement incité les auxiliaires parentales à se constituer en association, à créer elles-mêmes leur propre collectif, elle les a accompagnées dans les démarches et leur prête une salle régulièrement. C’est ainsi qu’est née l’Association des auxiliaires parentales à Montreuil.
Garde d’enfants, présidente de l’Association d’auxiliaires parentales à Montreuil : Voilà et j’ai commencé à faire du bouche à oreille. Quand je voyais des auxiliaires parentales, des gardes à domicile, je disais : « J’ai l’intention de créer une association pour défendre nos intérêts et pour qu’on puisse échanger, se regrouper avec les enfants, pour rassurer les parents. »
Là où les dispositifs mis en œuvre dans le cadre de la charte de qualité, grâce à l’engagement financier de la Caf et du département des Hauts-de-Seine, permettent la transformation et la professionnalisation de l’exercice du métier de garde d’enfants via l’inscription dans un véritable collectif de travail et dans une trajectoire professionnalisante, les relais petite enfance qui s’ouvrent aux auxiliaires parentales sans réels nouveaux moyens à leur disposition n’apparaissent pas en capacité de proposer une réelle participation et intégration dans un collectif de travail. Pour autant, les dispositifs charte qualité ciblent leur action sur une minorité de gardes d’enfants présélectionnées, avec l’objectif clair d’augmenter la qualité du mode d’accueil proposé aux parents concernés, quand les relais sont ouverts à toutes les professionnelles susceptibles d’y être intéressées, avec une mission plus large de professionnalisation de l’ensemble de la profession sur un territoire.
4. L’offre de formation, socle de la professionnalisation des gardes d’enfants
Dans les deux cas, les relais peuvent quoi qu’il en soit s’appuyer sur l’offre de formation des branches Salariés et Assistants maternels du particulier employeur pour enclencher une dynamique de professionnalisation des gardes d’enfants à domicile. Cette offre se compose d’un volet formation continue, pour les salariés en emploi, et donc également les salariés en sous-activité, inscrits à Pôle emploi dans la catégorie des personnes qui souhaiteraient travailler plus, et d’un volet formation certifiante, ouverte en formation initiale ou aux personnes en recherche d’emploi, et également accessible via une VAE (voir encadré 2). Le titre de branche de niveau V « assistant maternel/garde d’enfants » est inscrit au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) depuis 2009.
4.1. La garde au domicile au cœur des dispositifs de POEC sur les territoires
Le titre professionnel intéresse aujourd’hui, et c’est une nouveauté, les conseils régionaux, Pôle emploi et l’Agefos-PME, organisme paritaire de collecte agréé (OPCA) des branches Salariés et Assistants maternels du particulier employeur, qui peuvent s’appuyer sur cette certification pour mettre en place des préparations opérationnelles à l’emploi collectives (POEC) efficaces et pertinentes. Le principe est de mettre en place une formation qualifiante à destination de demandeurs d’emploi, dans le but de faire se rencontrer une offre et une demande sur un territoire donné. Les OPCA reçoivent en effet une enveloppe du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels pour financer des POEC, sous réserve que 80 % des demandeurs d’emploi formés trouvent un emploi dans les mois qui suivent leur formation (y compris dans une autre branche que celle qui porte la POEC), vérifiant ainsi la pertinence de l’adéquation entre la formation dispensée – et donc les qualifications produites – et la demande d’emploi qualifié sur le territoire. Dans le cas des gardes d’enfants à domicile qualifiées, le risque d’échec de la POEC (généralement organisée pour une dizaine de stagiaires) est pratiquement nul dans la mesure où celles-ci se font rares sur le marché, parce que les parents employeurs, même sur les territoires où ils sont peu nombreux, sont en demande de professionnelles de confiance et de qualité, et parce que les gardes d’enfants formées sont employables non seulement par des parents, directement ou via des structures mandataires, mais également par des structures prestataires.
4.2. La formation continue : un levier de professionnalisation
Au sein des relais petite enfance et des Ram qui, sans changer de nom, accueillent également les auxiliaires parentales de leur territoire, c’est le plus souvent l’offre de formation continue qui est mise en avant – les gardes à domicile en emploi peuvent prétendre à 40 heures de formation continue par an – notamment parce qu’elle constitue une entrée accessible dans la formation pour des publics qui en sont éloignés et très peu familiers.
Le titre de branche, comme les modules de formation continue, qui s’adressent indifféremment aux assistantes maternelles et aux gardes d’enfants, s’articule aujourd’hui autour de trois grands ensembles de compétences, qui seront à partir de 2017 déclinés en sept blocs de compétences. Globalement, un ensemble de modules traitent des questions d’organisation et de sécurisation de l’espace de travail, espace qui peut être leur propre domicile dans le cas des assistantes maternelles, ou celui du parent employeur dans le cas des gardes d’enfants ; un autre est centré sur les questions de relations et de communication entre la professionnelle et le parent employeur ; le dernier ensemble, le plus conséquent en volume, aborde les compétences métier, c’est-à-dire les connaissances et les pratiques professionnelles relatives au soin et au développement du jeune enfant. Mais le catalogue d’offre prioritaire de la formation continue propose également des modules beaucoup plus généralistes, comme « Améliorer son français dans le cadre de sa pratique professionnelle », et c’est souvent sur ce type de module que les relais réussissent à éveiller l’intérêt des auxiliaires parentales pour la formation.
L’absence de formation ou de qualifications requises pour exercer ce métier a évidemment pour corollaire une présence accrue parmi les effectifs de personnes sans aucune qualification, très souvent issues de l’immigration, pour lesquelles la nécessité et les modalités de la professionnalisation via la formation professionnelle sont loin d’être des évidences au départ. Ainsi, si la formation et leur professionnalisation en tant que gardes d’enfants est au départ très loin de leurs préoccupations, l’apprentissage de la langue française est en revanche très important pour elles.
IPERIA l’Institut : On travaille avec les gardes d’enfants, comme on a travaillé avec les assistantes maternelles au départ, c’est-à-dire avec l’objectif de leur donner l’envie. On avait surtout commencé avec des modules de formation type sécurité. Donc là, ça avait pris de cette manière-là. Pour les gardes d’enfants, la sécurité, ça peut être une chose. On en a pas mal qui candidatent aussi pour le permis de conduire. Et la majorité suivent le module « Améliorer son français dans le cadre de sa pratique professionnelle ». On a un gros nombre de départs sur ce type d’actions-là.
Dans cette branche professionnelle comme dans d’autres, mais c’est notamment remarquable pour les métiers du care28Michèle Mansuy, Rémy Marquier, « Les aides à domicile, un engagement dans la formation tributaire du mode d’exercice », Formation emploi, n° 123, CEREQ, 2013., l’entrée dans une dynamique de formation continue est difficile à enclencher, d’abord parce que les compétences sont naturalisées, les professionnelles pensant savoir faire puisqu’elles font déjà, et ensuite parce qu’elles ne voient pas a priori ce que la formation peut leur apporter. Il s’agit donc, pour les attirer dans une trajectoire vertueuse de professionnalisation, de leur démontrer ce qu’elles ont à y gagner.
IPERIA l’Institut : Dans une première approche formation continue, quand on dit à quelqu’un : « Allez vous former à conter une histoire », il va dire : « Je fais ça depuis 15 ans, je sais faire ». En revanche quand on leur dit « module de sécurité », « comment vous prémunir, vous êtes chez un particulier employeur, comment vous prémunir, protéger l’enfant et vous ? » Là ça fait plus écho. Donc même s’il fait le métier depuis 15 ans, il a tout à fait conscience qu’il va apprendre des choses, alors que si on lui propose un module de formation cœur de métier…
Organisme de formation : Il n’y a pas mieux qu’un salarié content, satisfait de sa formation, qui voit les résultats tout de suite le lendemain quand il retourne travailler, déjà ça lui paraît plus facile, plus clair et à partir de là, ça fait boule de neige !
Mais dès lors qu’elles entrent dans le processus de la formation, le premier stage constitue très souvent un tournant dans la trajectoire professionnelle des salariés. « Une fois la première formation suivie, naît une vraie appétence, y compris pour des salariées qui ont accédé tardivement, dans leurs parcours, à ces emplois29Céline Bédel, Abdia Touahria-Gaillard, Mélanie Tocqueville, Étude sur les assistantes de vie formées au module de formation « Aidant familial d’un parent âgé », Observatoire des emplois de la famille, FEPEM-IPERIA, avril 2016.. » Via la formation continue, elles prennent l’habitude de se retrouver avec d’autres personnes exerçant le même métier, elles prennent goût au collectif, à l’échange autour de leurs pratiques professionnelles. Dans des métiers solitaires comme le sont souvent les métiers de l’emploi direct, cet échange est d’abord l’occasion, au-delà de l’appropriation de nouvelles connaissances et des bonnes pratiques, d’un collectif de travail, créateur de lien social et aux vertus presque thérapeutiques : « La formation a des effets de développement personnel en apprenant à se faire confiance et à se sentir légitime à demander de l’aide30Bédel, Touahria-Gaillard, Tocqueville, op. cit. ». Cette « socialisation professionnelle » au sens de « parler de son travail avec d’autres sans être jugé31Giampino, op. cit. » fournit un espace pour se décharger et s’interroger sur les émotions parfois négatives que peut induire la prise en charge sur des temps longs de très jeunes enfants, dont l’apprentissage des limites passe par leur transgression répétée.
Ainsi, même si l’intérêt pour la professionnalisation en elle-même et l’appétence pour des modules axés sur le cœur du métier ne se manifestent que dans un deuxième temps, l’inscription de la formation dans la durée, et la compréhension par les gardes d’enfants à domicile des enjeux liés au renouvellement régulier de leurs compétences et connaissances par l’apprentissage de nouvelles pratiques et le suivi de modules abordant des questions plus pointues, sont bien réelles. C’est avec elles que naissent le sentiment d’appartenance à une famille professionnelle et la conscience d’exercer un vrai métier.
Organisme de formation : Elles ont compris comme je le disais tout à l’heure, une fois qu’elles ont mis le pied dans la formation, elles ont compris les enjeux, l’importance du fait qu’il faut qu’elles se forment tout le temps. […] L’appétence pour la formation quand on commence à se former, c’est incroyable… Ben oui, elles voient une progression et puis elles ont une réflexion sur leur métier puisque maintenant elles ont beaucoup de formations, elles peuvent choisir, elles avancent en permanence. Pour ça il n’y a pas photo, c’est une révolution pour moi, si je devais résumer la formation, enfin si j’avais ce pouvoir, je leur donnerais encore plus d’heures. Parce qu’elles sont très gourmandes et elles nous quittent en en redemandant. Elles évoluent, elles progressent…
Encadré n°2 : L’OFFRE DE FORMATION DES BRANCHES PROFESSIONNELLES À DESTINATION DES GARDES D’ENFANTS À DOMICILE
L’offre de formation à destination des gardes d’enfants à domicile est portée par les deux branches professionnelles du particulier employeur (Salariés du particulier employeur et Assistants maternels du particulier employeur) et modélisée par IPERIA l’Institut, mandaté par les branches pour créer et développer les outils et services de professionnalisation. La mise en œuvre de cette formation est assurée par 272 organismes de formation, labellisés par IPERIA, répartis sur l’ensemble du territoire. Le financement de la formation est assuré par les contributions financières des particuliers employeurs, collectées par Agefos-PME, l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) du secteur.
La formation professionnelle continue permet aux gardes d’enfants à domicile en activité de suivre des modules de formation (formations courtes) dans le but de se perfectionner dans leur métier et ainsi acquérir de nouvelles compétences. Elles peuvent choisir des modules de formation parmi ceux proposés dans le catalogue prioritaire de formation, édité chaque année par IPERIA l’Institut. Ces formations sont adaptées aux spécificités du métier de garde d’enfants à domicile, elles portent notamment sur la communication avec l’employeur, et sur le domicile de l’employeur dans la prise en charge de l’accueil d’un jeune enfant. En 2016, près de 50 modules de formation, répartis en 6 thématiques, étaient proposés : garder les enfants et communiquer, s’occuper des enfants en situation de handicap, organiser des activités d’éveil et de loisirs, assurer la sécurité au domicile, prévenir les situations difficiles, prendre en charge le domicile, gérer son activité professionnelle. Selon IPERIA l’Institut, les modules les plus suivis par les gardes d’enfants à domicile sont « Gestion du stress et relaxation », « Prendre soin de soi pour prendre soin des autres » et les modules qui portent sur l’éveil de l’enfant. Les branches professionnelles du particulier employeur travaillent à développer la formation continue. Dès lors qu’elles sont en emploi (chez un particulier employeur), les gardes d’enfants à domicile bénéficient de 40 heures de formation par an, financées dans le cadre du plan de formation. Le départ en formation est gratuit et simplifié pour l’employeur. Si la formation se déroule pendant le temps de travail habituel, la rémunération du salarié est maintenue et l’employeur est remboursé par Agefos-PME, une fois la formation terminée. Si la formation se déroule hors du temps de travail, le salarié perçoit une allocation de formation de 3,48 euros par heure de formation.
La formation certifiante qui permet d’obtenir le titre de branche « assistant maternel/garde d’enfants » est accessible soit par la validation des acquis de l’expérience (VAE), soit par la formation, en présentiel ou en formation ouverte à distance (FOAD), qui s’appuie sur un programme de formation de 521 heures (406 heures au sein d’un organisme de formation, 105 heures en situation professionnelle et 10 heures de prévention et secours). Depuis son inscription au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) en 2009, plus de 2 700 personnes ont obtenu le titre « assistant maternel/ garde d’enfants ». Ce nombre de personnes titularisées pourrait prochainement s’accroître en raison de la refonte du titre, en écho aux exigences posées par la réforme professionnelle de mars 201432Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, JO du 6 mars 2014.. À partir de 2017, les gardes d’enfants à domicile en activité et les demandeurs d’emploi ne seront plus les seuls à pouvoir suivre la formation pour obtenir le titre. L’ensemble des personnes qui souhaiteront exercer le métier de garde d’enfants à domicile pourront utiliser leurs heures cumulées dans leur compte personnel de formation (CPF) pour suivre des modules de formation qui composent les blocs du titre. Ces derniers, au nombre de 7, vont remplacer les 3 activités-types, qui composaient jusqu’ici le titre.
Les 7 blocs de compétences suivants composeront le titre « assistant maternel/garde d’enfants » :
- Bloc 1 : Gérer son activité multi-employeur ;
- Bloc 2 : Organiser l’espace professionnel ;
- Bloc 3 : Établir une organisation et une communication efficaces ;
- Bloc 4 : Accompagner un enfant de plus de 3 ans dans la vie quotidienne ;
- Bloc 5 : Contribuer à la nutrition, au développement et à l’éveil de l’enfant de plus de 3 ans ;
- Bloc 6 : Assurer l’hygiène, la nutrition et le développement de l’enfant de moins de 3 ans ;
- Bloc 7 : Prendre en compte les besoins de l’enfant dans son environnement.
Cette nouvelle organisation permet de mieux prendre en compte les spécificités du métier de la garde d’enfants à domicile. La communication, au cœur de la relation d’emploi, va faire l’objet d’un bloc de compétences.
Extrait d’un entretien avec un organisme de formation situé à Paris : « La communication est au cœur de l’action. […] Vous ne pouvez pas donner des ordres aux employeurs mais vous faites des propositions, par rapport à l’enfant. Donc on leur apprend ça, c’est quand même un positionnement qui est plus… […] On a une phrase : « une collaboration équilibrée dans une confiance partagée ». » De plus, les compétences seront davantage adaptées selon l’âge des enfants : moins de 3 ans et plus de 3 ans.
5. Les enjeux de la professionnalisation
D’une façon générale, au-delà du fait que le développement de la qualité de la garde d’enfants à domicile n’est pas véritablement porté de façon centralisée mais résulte plutôt d’initiatives diverses et relativement dispersées sur le territoire, il semble que le raisonnement soit pris à l’envers. Tout se passe en effet comme si la présence importante sur le marché de la garde d’enfants de personnes n’ayant aucune qualification, peu susceptibles de fournir un accueil de qualité au regard des critères examinés précédemment dans l’étude, invalidait en amont toute réflexion sur la possible qualité de ce mode d’accueil en lui-même.
Or celui-ci présente un intérêt évident dans son principe, par le type d’accueil qu’il propose, aux yeux des parents et de nombreux acteurs et régulateurs du champ de la garde d’enfants que nous avons rencontrés. La qualité de cet accueil est en revanche fonction de la qualité, ensemble de compétences et de qualités humaines, des professionnelles qui le mettent en œuvre, mais ceci est vrai pour n’importe quel professionnel de l’accueil de la petite enfance.
5.1. Un mode d’accueil favorable au bien-être de l’enfant
Abordons d’abord ce mode d’accueil du point de vue du bien-être de l’enfant et notamment du tout petit enfant, qui passe par le respect de son rythme de sommeil et de sa sécurité affective. Tous les livres à destination des jeunes parents, et notamment ceux qui visent à démocratiser les connaissances scientifiques récentes sur le sommeil du bébé33Dr Marie-Josephe Challamel, Dr Marie Thirion, Le sommeil, le rêve et l’enfant, Albin Michel, 2011., « nécessité biologique absolue », et sur son fonctionnement, soulignent combien le sommeil est la clé de l’équilibre biologique et psychologique du nouveau-né et de l’enfant qu’il va devenir. Or on sait qu’en collectivité, il est plus difficile, même si l’objectif est toujours affiché comme central dans les projets pédagogiques des établissements, de respecter le rythme de sommeil d’un enfant. Les responsables des relais petite enfance rencontrées dans les Hauts-de-Seine, éducatrices de jeunes enfants et bénéficiant, à ce titre, d’une certaine expérience en crèche, le confirment : en collectivité, il y a plus de bruit, plus de sollicitations, ce qui est riche pour les enfants, mais pas nécessairement adapté aux besoins des tout-petits. Dans les dispositifs qu’elles portent, la garde au domicile du bébé permet le respect de son rythme, et est complétée, de plus en plus à mesure que l’enfant avance en âge, par la fréquentation des ateliers organisés au relais, qui permet la socialisation et l’éveil de l’enfant autour d’activités adaptées à son âge.
Relais petite enfance : Quant aux bébés, ils peuvent venir sur trois créneaux. Mais souvent les bébés dorment le matin, donc quand je peux, je ne ferme pas le midi, comme ça les auxiliaires peuvent venir après que l’enfant ait dormi, ça peut être à midi, à treize heures…C’est moi qui m’ajuste à leur rythme.
Observatoire : Et donc vous ne faites pas de pause ?
Relais petite enfance : Ah non non, je ne fais pas de pause. Il faut savoir ce qu’on veut, j’ai misé sur le fait de faire reconnaître un mode de garde, ce que peut apporter ce type de mode de garde. […] Avec ce mode d’accueil, le bébé évite les côtés négatifs de la collectivité. S’il est fatigué ou malade, il ne vient pas, il se repose dans son lit au calme. Je trouve le côté mixte intéressant, il permet de respecter l’enfant, qui, parfois, a envie de jouer et d’expérimenter avec d’autres, et d’autres fois, aspire à jouer tranquillement chez lui, sans que d’autres enfants viennent casser son jeu par exemple.
La garde à domicile par une intervenante unique est aussi, sans doute, l’un des modes d’accueil qui contribue le mieux à développer la sécurité affective de l’enfant, base de tout apprentissage. Il est plus facile pour le tout-petit de supporter la séparation d’avec ses parents s’il peut tisser des liens rassurants avec une personne privilégiée, tout en restant dans son cadre de vie habituel, dans lequel de nombreux objets peuvent maintenir vivant le lien avec ses parents, et sont l’occasion, même en leur absence, de parler d’eux, de leur relation et de leur affection pour leur enfant.
Sylviane Giampino : En mode d’accueil, l’enjeu est de maintenir une continuité dans la séparation d’avec ses parents. Le petit enfant doit vivre plusieurs heures par jour et plusieurs jours par semaine en dehors de son milieu familial, à une période de son développement où il n’est pas prêt pour vivre cette séparation. Ce qui est traumatique dans la séparation pour un jeune enfant n’est pas tant la séparation elle-même que l’absence de moyens à sa disposition pour l’élaborer tout seul. Le petit enfant doit notamment pouvoir maintenir en lui vivant le lien avec ses parents et dans le même temps construire en leur absence de nouveaux liens rassurants notamment avec une personne privilégiée que l’on appelle « personne de référence » garante de la continuité des univers de vie du bébé.
C’est aussi sur cette sécurité affective que l’enfant prend appui pour découvrir, explorer, aller à la rencontre des autres. Les deux responsables des relais labellisés charte de qualité du département des Hauts-de-Seine interviewées confirment, par des exemples concrets de leur quotidien auprès des gardes d’enfants à domicile et des jeunes enfants, les propos de la mission Giampino.
Relais petite enfance : Prendre l’enfant dans les bras est un besoin essentiel du jeune enfant, d’être rassuré, d’être enveloppé, contenu, etc., ne pas y répondre est là vraiment maltraitant… parce que cela met complètement en vrac l’enfant qui, spontanément… Et les bras, ça ne veut pas dire les bras qui enferment. Les bras sont contenants, sont rassurants, mais les bras s’ouvrent quand l’enfant est prêt à partir. Et les mamans, les familles attendent cela et cela les rassure aussi… Moi, cela me touche toujours, je vois l’enfant qui a besoin… L’autre matin, là, qui court, qui va faire un petit câlin. Il se met comme cela, cela dure quelques minutes, ce dont il avait besoin et puis il repart. Et si ses bras ne s’étaient pas refermés en accueillant ce besoin, cette envie qu’a l’enfant, mais quelle tristesse !
Relais petite enfance : Au relais je trouve ça super parce que l’enfant a une approche très positive du collectif, parce que quand il vient ici, son auxiliaire parentale, donc la personne qui le sécurise, est toujours présente. Il arrive que l’on voit des bébés rester un peu plus longtemps avec leur nounou, et c’est seulement lorsqu’ils se sentent à l’aise qu’ils vont rejoindre les autres. Mais ce sont eux qui décident, ils vont à leur rythme, ils ne sont pas obligés, comme en crèche, de s’adapter en une semaine ou quinze jours. Au final, je trouve que ce mode d’accueil est vraiment très respectueux de la personnalité de l’enfant.
Le bien-être, à travers le respect de leur rythme et de leurs spécificités, et la sécurité affective qu’il offre à leurs enfants, sont bien les points forts de ce mode d’accueil que mettent en avant les parents rencontrés et interrogés dans le cadre de l’étude qualitative réalisée en 2015 par l’Observatoire des emplois de la famille sur les parents employeurs de gardes d’enfants à domicile34Bressé, op. cit.. Beaucoup nous ont confié chercher « une deuxième maman », enveloppante, affectueuse, respectueuse des besoins spécifiques de leurs enfants notamment en termes de sommeil.
En outre, ces parents sont, on l’a vu, souvent tous les deux actifs, cadres, et fortement investis professionnellement. Lorsqu’ils ont trouvé la personne de confiance, ce mode d’accueil devient réellement, a fortiori lorsque la fratrie s’agrandit, une des clés de leur équilibre familial, en permettant la combinaison de tous les emplois du temps, ceux des bébés, ceux des plus grands et les leurs, avec comme point de ralliement unique leur domicile, permettant ainsi de desserrer la contrainte temporelle, source de nombreuses tensions dans la vie des familles. L’un des parents rencontrés dans l’étude sur les parents employeurs de gardes d’enfants à domicile, père de trois enfants et marié à une femme qui, comme lui, exerçait son activité à plein temps et était très engagée professionnellement, résumait ainsi ce que ce mode d’accueil représentait pour leur équilibre familial :
Observatoire : Donc en dehors du fait que ce n’était pas un choix au départ, là aujourd’hui ce mode de garde répond bien à vos contraintes ?
Constantin : C’est plus que ça, c’est-à-dire que aujourd’hui, avec la vie qu’on mène où on a tous les deux des boulots assez intenses, avec la vie qui est un peu réglée à la minute, je pense qu’on ne pourrait pas faire autrement… si on veut que ça marche, et pouvoir tous les deux s’épanouir au boulot, ce qui est aussi un souhait, et en même temps avoir une relation quotidienne avec nos enfants qui soit bonne, et qui soit simple et qui soit constructive pour eux, eh bien de pouvoir avoir ce pilier central de notre vie qui est une personne en qui on a confiance qui est là auprès de nos enfants tous les jours c’est… c’est fondamental. Donc oui c’est très cher, après… c’est tellement important, et c’est tellement bien quand ça se passe bien que… on se dit aussi voilà, c’est la vie de nos enfants, c’est la vie, c’est l’équilibre de notre famille qui est en jeu… enfin toutes nos contraintes, tout est pris en compte dans cette solution…
On ne peut évidemment pas exclure que ce discours relève en partie d’une forme de rationalisation a posteriori, qui permette de valider in fine le « choix » du mode d’accueil35Danielle Boyer, Arnaud Crepin, « Baromètre d’accueil du jeune enfant 2015 », L’e-ssentiel, n° 160, Cnaf, 2015., créant ainsi l’illusion rétrospective que ce choix a toujours été le leur. Cette forme de rationalisation rétrospective est en outre opérée par tous les parents quel que ce soit leur mode de garde : 93 % d’entre eux se disent en effet satisfaits de leur mode d’accueil. Pour autant, dans l’échantillon de parents employeurs de gardes d’enfants interviewés, environ un tiers a finalement obtenu une place en crèche, dont aucun n’a finalement choisi de profiter.
5.2. La possibilité d’un accueil privilegié pour les bébés fragiles
La garde à domicile permet une attention particulière portée à l’enfant, et pour certains enfants, ce cadre un peu privilégié, loin de l’agitation et des microbes de la collectivité, est nécessaire : c’est le cas des bébés nés prématurément, notamment les grands prématurés, auxquels il est fortement recommandé de ne pas fréquenter la collectivité avant leur scolarisation, et qui auront besoin d’être gardés à leur domicile, par des professionnelles préparées et formées à leurs besoins spécifiques. À Toulouse, la structure mandataire Crèche and do qui se consacre à la garde d’enfants à domicile, soutenue par la municipalité, a été sollicitée par le CHU de la ville pour mettre en place la présélection et la formation d’auxiliaires parentales spécifiquement préparées à l’accompagnement des parents de bébés prématurés et à l’accueil de leurs enfants.
5.3. Une solution d’accueil souple pour accompagner les parents en insertion dans l’emploi
Dans un autre registre, l’Agence départementale de développement de l’accueil individuel du jeune enfant à Saint-Denis (ADDAI), mandatée par la Caf et le conseil départemental de Seine-Saint-Denis pour mettre en place des projets innovants autour de l’accueil individuel des jeunes enfants, a créé un service de gardes d’enfants à domicile destinées à intervenir sur des temps partiels pour l’accueil d’enfants dont les parents sont en cours de réinsertion dans l’emploi ou en situation d’emploi précaire sur des horaires atypiques. Pour ces derniers, trouver un mode d’accueil qui leur permette d’honorer leurs engagements dans le cadre d’un véritable emploi, même s’il ne s’agit que d’un temps partiel, ou d’un emploi sur des horaires décalés, incompatible avec les horaires et le temps de fréquentation minimum d’un établissement d’accueil collectif, est primordial. Ici le mode d’accueil apparaît comme un tremplin qui conditionne le retour ou le maintien dans l’emploi des parents ou de l’un d’entre eux. Dans ce cadre, la garde à domicile est ainsi envisagée comme la solution d’accueil la plus souple et la plus adaptée, et comme un véritable soutien à la parentalité, non pas pour des familles aisées, bien placées sur le marché du travail, mais bien pour des familles en situation d’emploi précaire, avec l’enjeu de leur maintien ou de leur insertion dans l’emploi.
ADDAI : Et puis, on a une action déjà sur les gardes à domicile et pour les personnes qui travaillent en horaires atypiques, c’est-à-dire très tôt le matin, très tard le soir, donc généralement ils ne peuvent pas trouver des accueils classiques. Soit aussi, on va dire un petit peu en urgence, donc là ce n’est pas forcément le même public. Vous savez ce public aussi qui est en insertion, qui peut être suivi par la mission locale ou par le service RSA, et puis qui a un besoin très rapidement pour un stage, une formation, des choses comme cela.
5.4. Répondre qualitativement aux enjeux de diversification de l’offre d’accueil sur les territoires
Par ailleurs, dans le contexte budgétaire contraint actuel, la création de nouvelles places en crèche n’étant plus à l’ordre du jour sur de nombreux territoires, c’est l’accueil individuel qui doit se développer, mais également se diversifier, de façon à répondre à la pluralité des besoins d’accueil des familles. À Paris, on l’a vu, les assistantes maternelles contribuent peu à l’offre d’accueil, principalement pour des raisons structurelles (coût du logement et coût supérieur de ce mode d’accueil en comparaison de la garde partagée pour les familles en couple) qui ont peu de chance d’évoluer. Or la demande de mode d’accueil y est forte, et les parents en couple, bi-actifs, cadres et travaillant à temps complet, avec des besoins d’accueil importants pour leurs enfants, y sont surreprésentés. Pour répondre aux enjeux d’accueil de la petite enfance de demain, à l’heure où l’important investissement dans l’accueil collectif observé jusqu’ici à Paris semble ne pas devoir perdurer, la garde à domicile devrait donc se développer encore dans la capitale.
Ce sera sans doute aussi le cas dans la plupart des grandes villes françaises, où les mêmes causes devraient produire les mêmes conséquences : des besoins d’accueil importants de parents fortement engagés professionnellement, des assistantes maternelles qui n’ont pas accès financièrement à des logements suffisamment grands pour accueillir les enfants de certains quartiers, et la recherche in fine par les parents d’auxiliaires parentales pour assurer la garde de leurs enfants dans leur propre domicile.
5.5. Développer les compétences parce que la garde à domicile est un vrai métier
Enfin, même si les parents employeurs de gardes d’enfants n’ont pas nécessairement conscience de rechercher des compétences36Bressé, op. cit., la nécessité de développer la qualité du mode d’accueil que proposent les gardes d’enfants à domicile est avant tout dictée par une réalité : accueillir des enfants à domicile est un vrai métier, qui s’appuie sur des compétences. Et même si on peut déplorer que certaines des professionnelles rencontrées ne le découvrent que bien après avoir commencé à l’exercer, sans parler des parents qui ne s’en rendront compte – peut-être – qu’encore plus tardivement, cela ne change rien aux faits. Tous les régulateurs du champ de la garde à domicile que nous avons rencontrés dans notre enquête de terrain, qu’il s’agisse de l’ingénierie pédagogique d’IPERIA, d’organismes de formation, de structures mandataires qui mettent en relation des parents et des gardes d’enfants triées sur le volet, des relais petite enfance labellisés ou non charte de qualité, tous ceux qui se sont emparés de cette question, qui ont travaillé sur des fiches de poste, passé à la loupe les attendus du métier de garde d’enfants à domicile, sont unanimes : exercer le métier de garde d’enfants à domicile requiert bien tout un ensemble de compétences, techniques, organisationnelles et relationnelles.
Organisme de formation : Il y a le technique d’une part, il y a l’organisation, il y a le relationnel, il y a le comportemental, mais quand on rentre dans chaque particularité de ce métier ce n’est jamais fini et c’est ce qu’on leur dit : « La professionnalisation c’est tout au long de sa vie professionnelle. »
Structure mandataire privée : Par exemple en termes d’autonomie et d’organisation, c’est compliqué de tout gérer, les attentes des parents, les besoins de plusieurs enfants d’âges différents… C’est super compliqué ! C’est clairement un métier extrêmement compliqué.
Ces compétences vont pouvoir se construire dès lors que la salariée (ou la candidate) va prendre conscience que ce qu’on attend d’elle est autre chose que la production de gestes et de tâches déjà effectuées auprès d’enfants – ou que n’importe quelle femme est censée être en capacité d’effectuer de par son statut de femme – éternellement reproduits à l’identique chez n’importe quelle famille et auprès de n’importe quel enfant, parce qu’ « il y a un monde entre des gestes qu’elles savent faire comme ça, innés, et le professionnalisme » (organisme de formation). Et cette prise de conscience commence, avant même l’inscription dans une trajectoire de professionnalisation via la formation professionnelle, dans l’échange qu’elles vont avoir avec ceux qui les recrutent ou les sélectionnent.
Selon les acteurs rencontrés et leurs métiers, l’enjeu est parfois de sélectionner parmi des personnes ayant déjà exercé le métier ou ayant obtenu un diplôme leur permettant de le faire, celles qui seront en mesure d’offrir un accueil de qualité pour les enfants des parents chez lesquels elles seront amenés à intervenir. Mais c’est aussi parfois, pour certains organismes de formation (par exemple dans le cadre de dispositifs d’accompagnement dans l’emploi de demandeurs d’emploi financés par le conseil régional), l’enjeu de sélectionner parmi des candidates éloignées de l’emploi, n’ayant jamais exercé ce métier et dénuées de toutes qualifications, celles qui disposent des aptitudes, sous réserve d’un accompagnement très encadré puisqu’il s’agit parfois de créer de toutes pièces un ensemble de compétences, pour devenir des gardes d’enfants à domicile de qualité.
L’une des aptitudes fondamentales nécessaire pour exercer ce métier de façon professionnelle est bien de comprendre que ces gestes, pour maîtrisés qu’ils soient, seront posés sur des enfants différents, dans des cadres différents, et différemment en fonction des attentes de chaque parent, que ce cadre pourra être discuté et parfois évoluer, mais que le premier des attendus est la capacité d’adaptation à ce cadre, la capacité d’écoute et de prise en compte des attentes des parents et de l’enfant.
C’est l’inscription dans une mission de service auprès de parents qui confient leur enfant, ce qu’ils ont de plus cher, et qui n’attendent pas la réalisation mécanique de gestes et de tâches mais bien la garantie du soin et de la sécurité affective et physique de leur enfant ; en d’autres termes, des parents qui confient à leur salariée une lourde responsabilité.
Organisme de formation : Ce à quoi je suis extrêmement attentive, parce qu’en amont, vous préparez tout ce potentiel de la personne d’exercer ou d’acquérir de nouvelles compétences, moi je suis très attentive à sa posture professionnelle, c’est-à-dire j’interroge la notion de service à travers ce que la personne me dit, est-ce qu’elle est capable de se mettre au service d’une personne, d’une famille, d’un enfant, d’une personne âgée ? Est-ce qu’elle sait le faire ou est-ce qu’elle dit le faire sans adopter la posture nécessaire vous voyez ? Être au service de quelqu’un ça veut dire déjà comprendre ce que la personne souhaite, c’est super important, l’écoute, la compréhension. […] Après on leur dit : « Vous ne savez pas cuisiner, vous allez apprendre. Vous ne savez pas faire un change de couche, tout ça on va vous l’apprendre, mais si au début vous ne situez pas votre responsabilité dans le métier que vous allez faire, ce n’est pas la peine ! »
Au-delà d’un corpus de connaissances et de compétences relatives au soin et à l’éveil d’un jeune enfant, de compétences langagières minimales permettant une bonne communication entre la garde à domicile et ses employeurs, et des conditions favorables à l’apprentissage du langage par les enfants, IPERIA l’Institut a identifié deux grands ensembles de compétences, accessibles par module dans le cadre de la formation continue, ou dans le cadre de la certification globale, spécifiques aux métiers de garde d’enfants à domicile et d’assistante maternelle : le premier traite de l’organisation et de la sécurisation de l’espace de travail, le second des questions de communication et de relations entre employeur et salarié. Si on comprend l’esprit du titre et le dénominateur commun à ces deux métiers qui est de s’inscrire dans une relation de travail avec un particulier employeur, il nous incombe dans cette étude d’examiner les compétences liées au métier de garde d’enfants à domicile.
On a vu que la question de la responsabilité est essentielle dans les métiers d’accueil du jeune enfant. Au domicile, la sécurisation de l’espace, la prévention des dangers, la vigilance nécessaire à la garantie de la sécurité physique des enfants relèvent de la professionnelle. C’est d’ailleurs, on l’a vu, un des modules de formation continue qui éveille en premier lieu l’intérêt des gardes d’enfants comme des assistantes maternelles, avant même leur inscription dans une dynamique de professionnalisation. Et pour les gardes d’enfants à domicile, cette sécurisation est d’autant plus complexe à assurer que l’espace de travail est le domicile des parents. La convention collective explique clairement quels devoirs et responsabilités incombent à chacun dans ce cadre, mais en pratique peu de parents la connaissent. Il s’agit donc pour les gardes d’enfants de s’approprier ces règles, de les appliquer et de les faire appliquer aux parents.
On comprend, à travers l’exemple de la capacité à sécuriser le domicile comme compétence professionnelle, la nécessité de compétences relationnelles, qui ne s’improvisent pas, pour mettre en place une communication respectueuse, basée autant sur la confiance que sur la franchise, qui fournisse le cadre et les conditions indispensables de la qualité de l’accueil de l’enfant. Tous les acteurs rencontrés et les publications sur le champ rappellent combien cette qualité peut être altérée et dommageable pour l’enfant dès lors qu’il sent les tensions et les désaccords, même non exprimés, entre les différentes personnes qui prennent soin de lui.
Sylviane Giampino : En mode d’accueil, l’enjeu est de maintenir une continuité dans la séparation d’avec ses parents. […] Le petit enfant doit notamment pouvoir maintenir en lui vivant le lien avec ses parents et dans le même temps construire en leur absence de nouveaux liens rassurants notamment avec une personne privilégiée que l’on appelle « personne de référence » garante de la continuité des univers de vie du bébé. […] Les parents constituent le point d’origine et le port d’attache du petit enfant avant trois ans. Accueillir un jeune enfant c’est travailler avec ses parents car il ressent les incohérences et en pâtit. […] L’intérêt de l’enfant ne doit jamais se trouver en balance avec l’intérêt de ses parents. Ce n’est pas un principe, c’est une règle de travail que de faire en sorte d’éviter que le problème se pose ainsi.
Et tous accompagnent ce dialogue et le développement des compétences relationnelles et communicationnelles nécessaires pour le faire vivre. Dans les relais labellisés charte de qualité, les responsables interviewées, comme les gardes d’enfants à domicile ayant répondu à l’enquête d’évaluation de la CTRAD, mettent fortement en avant cet accompagnement, qui permet d’anticiper la quasi-totalité des conflits en désamorçant les malentendus, en mettant des mots sur les incompréhensions. Pour les gardes d’enfants c’est aussi au cœur de ce dialogue bienveillant, constructif et argumenté que pourront se discuter le périmètre et le contenu du travail attendu, les fameuses tâches ménagères de la famille, le nombre de sorties journalières etc. Bref, au domicile du parent, compte tenu de l’importance particulière des attentes parentales, les compétences relationnelles et de communication des salariées apparaissent indispensables à l’exercice professionnel du métier et à la qualité de l’accueil proposé à l’enfant in fine. Et l’ensemble des régulateurs du champ de la garde d’enfants, institutionnels engagés pour le développement de la qualité de ce mode d’accueil (Caf 92, 93 et de Paris notamment), structures mandataires privées, relais petite enfance labellisés, Ram-Rap, organismes de formation, placent au cœur de leur démarche le développement de ces compétences relationnelles et la mise en place d’outils et de stratégies de communication.
Structure mandataire privée à Paris : Alors moi j’essaye de donner des conseils là-dessus, sur la communication, parce que c’est vraiment ce qu’il y a de plus important… aux nounous et aux parents ! Et je donne exactement les mêmes, c’est pour ça que ça marche : avoir un cahier de liaison, faire des réunions deux fois par an…
5.6. Soutenir des parcours professionnels de qualité pour des personnes initialement non qualifiées
Comme indiqué précédemment, réfléchir aux leviers du développement de la qualité de la garde à domicile nécessite de prendre en compte les profils et les parcours particuliers des femmes qui se présentent sur ce marché : souvent issues de l’immigration, certaines maîtrisent mal la langue française, et la majorité sont dénuées de qualifications. Pour autant, nombre d’entre elles pourraient monter en compétences, pour peu qu’elles soient accompagnées dans un parcours professionnalisant. Parmi les acteurs du champ que nous avons interviewés, les acteurs de la formation professionnelle, comme les responsables de structures (mandataires privées ou relais petite enfance), sont toujours partis d’attentes parentales et de réflexions sur le bien-être de l’enfant pour définir leur offre d’accueil. Mais tous semblent avoir trouvé, en chemin, un sens supplémentaire à leur mission dans le soutien qu’ils apportent à l’accomplissement de véritables trajectoires professionnelles pour des personnes initialement éloignées de l’emploi et de la réussite scolaire. Et la conviction d’aller dans le bon sens, en soutenant un mode d’accueil qui assure le bien-être et le respect des besoins spécifiques de l’enfant, la sérénité des parents qui confient leurs enfants à des professionnelles épanouies et reconnues, parce que sélectionnées et accompagnées dans leur parcours professionnel autant que dans leur mission quotidienne d’accueil de l’enfant.
Relais petite enfance : Une de mes auxiliaires, elle dit : « Moi, de toute façon, c’est ici, au relais, parce que tout l’accompagnement, tout, etc. Sans parler des formations, il y a tout. Il y a rompre l’isolement, il y a se sentir soutenu, se sentir… » Ce qu’elles disent souvent c’est que cela les aide à montrer que c’est un vrai métier, avec de vraies compétences. Et pour elles, enfin moi, j’ai vu vraiment une évolution, c’est-à-dire qu’elles se forment de plus en plus… Pour la plupart, elles sont arrivées sur un flux migratoire : migration, je n’ai pas de compétences, je n’ai pas de papiers etc. Ou le pire, j’avais un autre métier dans mon pays, mais… ici, je ne peux rien faire d’autre… Les formations leur donnent un socle d’estime de soi… Cela leur apporte beaucoup. Beaucoup parce que cela permet de cheminer, de comprendre. Travailler auprès des enfants, ce n’est jamais neutre, donc cela renvoie toujours un peu à son propre parcours, sa propre histoire, son propre positionnement… On voit que se bâtit vraiment l’estime de soi, elles n’ont pas toujours eu la chance de pouvoir avoir un parcours scolaire avec de la réussite scolaire, de la réussite à des formations, etc., et cela change tout quand on les voit passer, être capables de passer soit le titre là dans le cadre d’IPERIA, assistante maternelle, etc., c’est… très émouvant, voire un CAP…
Structure mandataire privée : Au début c’était surtout pour aider les mamans qui ont traversé le même parcours que moi, aujourd’hui je dirais bien sûr que c’est pour aider les mamans, mais c’est aussi aider les nounous, parce que moi j’ai des bombes… qui sont nulles en entretien ! Et que je suis super contente de leur trouver du boulot, et je sais pourquoi je me lève le matin, avant moi je vendais des plats pyrex donc autant vous dire que… je cherchais du sens, alors que là le sens il est clair !
Conclusion
La garde d’enfants à domicile est donc un mode d’accueil intéressant et de qualité dans son principe même. Respectueux du rythme et des besoins de l’enfant, en particulier du tout-petit, offrant un cadre d’accueil de qualité pour l’enfant, sous réserve que la relation d’emploi entre les parents et la professionnelle, dans laquelle s’inscrit cet accueil, soit elle-même de bonne qualité, c’est-à-dire soutenue par les nombreuses compétences professionnelles qui sous-tendent le métier d’auxiliaire parentale. Pour développer la qualité de la garde d’enfants à domicile comme mode d’accueil, et ainsi contribuer à réguler le marché, il faut donc développer les compétences professionnelles spécifiques à l’exercice de ce métier, et repérer chez les salariées et candidates celles qui peuvent déjà s’en prévaloir, et celles qui disposent des aptitudes pour les acquérir. Et parallèlement encourager toutes les occasions possibles de collectif de travail.
À défaut, aujourd’hui, d’une volonté clairement affichée des pouvoirs publics en ce sens, tous les acteurs et régulateurs d’un champ qui doit poursuivre sa structuration ont, à leur niveau, un rôle à jouer : la branche Salariés du particulier employeur, notamment à travers le dialogue social entre les partenaires sociaux et la politique de formation qui en découle, entre autres ; la Cnaf et chaque Caf sur son territoire ; les communes ; les organismes de formation et les structures mandataires ou prestataires, acteurs publics mais aussi privés. Pour permettre à ce mode d’accueil de trouver sa place dans le champ de l’accueil de la petite enfance, et aux gardes d’enfants à domicile d’être reconnues comme de véritables professionnelles, il faudra, faute de moyens conséquents, s’appuyer, dans le cadre de dispositifs innovants, originaux, à reproduire ou à imaginer, sur le tryptique gagnant mis en exergue dans cette étude : sélectionner, accompagner, professionnaliser. Le même, à n’en pas douter, qui sous-tend l’agrément des assistantes maternelles, et les stratégies des établissements d’accueil du jeune enfant.
Sélectionner, car toutes les personnes qui se présentent sur le marché de la garde d’enfants à domicile ne s’inscrivent pas dans une pratique professionnelle de ce mode d’accueil. Les statistiques disponibles – issues de la Cnaf et de l’Acoss principalement – ne permettent pas de distinguer, parmi les gardes d’enfants à domicile qui accueillent des enfants, si elles le font en tant que baby-sitter, dans le cadre d’un job d’étudiante, à temps plein mais en attendant « autre chose », ou dans la perspective d’exercer ce métier et d’inscrire cette pratique dans un parcours professionnel. Niveau de qualification initial, formations suivies, motivation, intérêt pour l’enfant, chacun des acteurs rencontrés appelés à sélectionner des salariées ou des demandeuses d’emploi a ses propres critères. Chacun s’appuie sur ses outils pour repérer ou faire émerger, à travers des questionnaires et des entretiens élaborés à cet effet, les qualités de bon sens, les compétences maîtrisées, à acquérir ou à consolider, et les aptitudes à l’exercice professionnel du métier de garde d’enfants à domicile. Par aptitudes, on entend ici un ensemble de caractéristiques plus souvent suggérées qu’explicitement définies, mais relevant de qualités d’écoute et d’intérêt pour les attentes exprimées par les parents ou les recruteurs, et d’une posture adaptée de nature à favoriser une bonne communication entre les parents et les professionnelles : une forme d’intelligence humaine et relationnelle finalement. Par sélectionner, on entend aussi la formation ou a minima l’accompagnement des parents au recrutement d’une garde d’enfants compétente.
Accompagner les gardes d’enfants ou les futures professionnelles dans leur trajectoire et dans l’exercice de leur métier au quotidien. Le métier de garde d’enfants à domicile s’exerce, on l’a vu, dans une relative solitude. En être capable nécessite des compétences, mais est presque toujours vécu dans la difficulté, surtout dans la durée. Les gardes d’enfants à domicile s’inscrivent rarement dans un collectif de travail. Pour autant, dès lors qu’elles le font, leurs pratiques évoluent, leur identité professionnelle émerge ou se renforce, et leur envie de poursuivre dans cette voie s’affirme. Tous les régulateurs que nous avons rencontrés proposent un accompagnement sous la forme d’échanges qui permettent aux gardes d’enfants de réfléchir sur leurs pratiques et de les améliorer, de prendre conseil auprès de professionnelles expérimentées en cas de doute ou de difficultés, qu’elles soient techniques ou relationnelles. Les structures mandataires coachent leurs recrues, les conseillent et répondent à leurs questions, les organismes de formation offrent par définition aux futures et actuelles professionnelles des espaces collectifs d’échanges et d’apprentissage, les deux relais labellisés charte de qualité rencontrés offrent réellement à leurs auxiliaires parentales des occasions de travail collectif encadré par une professionnelle expérimentée, et le sentiment d’appartenir à une équipe. L’accompagnement des professionnelles est bénéfique pour le développement de l’identité professionnelle des salariées, mais il permet aussi l’anticipation et le désamorçage d’éventuels conflits entre les gardes d’enfants et les parents, et garantit ainsi la qualité de l’accueil proposé aux enfants.
Professionnaliser le métier de garde d’enfants apparaît comme la pierre angulaire du développement de la qualité de ce mode d’accueil. Il ne s’agira pas tant de ne sélectionner que des personnes qualifiées au départ, que de s’assurer qu’elles s’inscrivent dans un parcours de professionnalisation. Faire connaître l’offre de formation certifiante et continue est au cœur de cet objectif de professionnalisation, d’autant que l’appétit pour la formation s’aiguise en la pratiquant, assurant ainsi le renouvellement et l’approfondissement constant des compétences. Mais plus largement, toute inscription dans un collectif, toute forme d’échange avec des pairs sur ses pratiques et ses difficultés, contribue à faire émerger, pour ces professionnelles souvent sans diplôme, la conscience d’exercer un vrai métier. Toutes les formes de collectifs doivent donc être encouragées, qu’elles soient encadrées ou fruit de l’initiative des professionnelles elles-mêmes, car toutes ces occasions de pratiques réflexives sur leurs expériences et le cœur de leur travail quotidien sont autant de pas sur le chemin de la professionnalisation.
Bibliographie
APUR, L’accueil de la petite enfance à Paris. État des lieux et perspectives, janvier 2014.
APUR, Le recours aux assistantes maternelles à Paris, état des lieux et perspectives, juin 2015.
Céline Bédel, Abdia Touahria-Gaillard, Mélanie Tocqueville, Étude sur les assistantes de vie formées au module de formation « Aidant familial d’un parent âgé », Observatoire des emplois de la famille, FEPEM-IPERIA, avril 2016.
Danielle Boyer, Arnaud Crepin, « Baromètre d’accueil du jeune enfant 2015 », L’e-ssentiel, n° 160, Cnaf, 2015.
Sophie Bressé, Recours à la garde d’enfants à domicile : pratiques, besoins et attentes des parents employeurs, FEPEM, décembre 2015.
Sophie Bressé, Céline Bédel, Quels besoins de compétences pour l’accueil des jeunes enfants par les assistantes maternelles en Bretagne à l’horizon 2040 ?, Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, octobre 2013.
Évaluation de la charte de qualité dans les Hauts-de-Seine, CTRAD, service d’études des Caf en Île-de-France, juillet 2015.
Dr Marie-Josephe Challamel, Dr Marie Thirion, Le sommeil, le rêve et l’enfant, Albin Michel, 2011.
Catherine Collombet, « Qualifications des professionnels de la petite enfance : quels enjeux et quels modèles en Europe ? », Politiques sociales et familiales, n° 121, Cnaf, 3e et 4e trimestre 2015.
Geneviève Cresson, Sandie Delforge, Dominique Lemaire, « La « qualité » du travail dans le métier d’assistante maternelle. Le point de vue des « régulateurs » de ce métier », Politiques sociales et familiales, n° 109, Cnaf, septembre 2012.
Jeanne Fagnani, Évelyne Rassat, « Les bénéficiaires de l’AGED : où résident-ils, quels sont leurs revenus ? », Recherches et Prévisions, n° 47, Cnaf, 1997.
Mélanie Gromer, « Les parents employeurs : un bilan des dix dernières années », Baromètre des emplois de la famille, n° 17, Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, avril 2016.
Sylviane Giampino, Développement du jeune enfant, modes d’accueil, formation des professionnels. Rapport remis à madame Laurence Rossignol, ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des Femmes, mai 2016.
HCF, « Point sur le développement de l’accueil des jeunes enfants », séance du 9 octobre 2014.
Sandrine Maj, Viviana Zamfir, « Les particuliers employeurs au premier trimestre 2016 », Acoss Stat, n° 233, Acoss, juillet 2016.
Michèle Mansuy, Rémy Marquier, « Les aides à domicile, un engagement dans la formation tributaire du mode d’exercice », Formation Emploi, n° 123, CEREQ, 2013.
Observatoire national de la petite enfance, L’accueil du jeune enfant en 2012. Données statistiques, Cnaf.
Observatoire national de la petite enfance, « Chiffres clés de l’accueil du jeune enfant », La Lettre de l’Observatoire national de la petite enfance, n° 1, Cnaf, septembre 2016.
Anne-Lise Ulmann, « Le travail émotionnel des professionnelles de la petite enfance », Politiques sociales et familiales, n° 109, Cnaf, septembre 2012.
- 1Sophie Bressé, Recours à la garde d’enfants à domicile : pratiques, besoins et attentes des parents employeurs, Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, décembre 2015.
- 2Ces familles peuvent recruter directement la garde d’enfant, ou confier ce recrutement à une structure mandataire.
- 3HCF, « Point sur le développement de l’accueil des jeunes enfants », séance du 9 octobre 2014.
- 4L’étude s’intéresse ici à la garde à domicile comme mode d’accueil pour les enfants de moins de 3 ans, et aux professionnelles qui envisagent cet accueil dans le cadre d’un métier et d’un parcours professionnel dans le champ de l’accueil de la petite enfance. On sait cependant que les statistiques disponibles recensant le nombre de gardes d’enfants, tout particulièrement lorsqu’elles assurent l’accueil périscolaire des enfants de 3 à 6 ans, comptabilisent également un nombre important de salariées dont la présence sur le marché de la garde d’enfants à domicile est purement conjoncturelle : étudiantes, en attente « d’autre chose », etc.
- 5« Chiffres clés de l’accueil du jeune enfant », La Lettre de l’Observatoire national de la petite enfance, n° 1, Cnaf, septembre 2016.
- 6Ce taux de recours est défini par les auteures de l’étude, Jeanne Fagnani et Évelyne Rassat, comme le nombre de familles bénéficiant, à l’époque, de l’AGED, rapporté au nombre de familles allocataires de la Caf éligibles, c’est-à-dire exerçant une activité professionnelle et ayant un enfant de moins de 6 ans.
- 7Jeanne Fagnani, Évelyne Rassat, « Les bénéficiaires de l’AGED : où résident-ils, quels sont leurs revenus ? », Recherches et Prévisions, n° 47, Cnaf, 1997.
- 8APUR, L’accueil de la petite enfance à Paris. État des lieux et perspectives, janvier 2014.
- 9APUR, Le recours aux assistantes maternelles à Paris, état des lieux et perspectives, juin 2015.
- 10Sophie Bressé, Céline Bédel, Quels besoins de compétences pour l’accueil des jeunes enfants par les assistantes maternelles en Bretagne à l’horizon 2040 ?, Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, octobre 2013.
- 11Fagnani, Rassat, op. cit.
- 12Observatoire national de la petite enfance, L’accueil du jeune enfant en 2012. Données statistiques, Cnaf.
- 13Sandrine Maj, Viviana Zamfir, « Les particuliers employeurs au premier trimestre 2016 », Acoss Stat, n° 233, Acoss, juillet 2016.
- 14Mélanie Gromer, « Les parents employeurs : un bilan des dix dernières années », Baromètre des emplois de la famille, n° 17, Observatoire des emplois de la famille, FEPEM, avril 2016.
- 15Données Acoss sur les particuliers employeurs ventilées par catégorie d’emploi et par zone d’emploi au 1er trimestre 2015, transmises dans le cadre du partenariat scientifique entre l’Observatoire des emplois de la famille et la Direction des études, des statistiques et de la prospective de l’Acoss.
- 16Sylviane Giampino, Développement du jeune enfant, modes d’accueil, formation des professionnels. Rapport remis à madame Laurence Rossignol, ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des Femmes, mai 2016.
- 17La première convention collective nationale de la branche des Salariés du particulier employeur date de 1980. Auparavant, des conventions collectives départementales existaient, dont la première date de 1948.
- 18Anne-Lise Ulmann, « Le travail émotionnel des professionnelles de la petite enfance », Politiques sociales et familiales, n° 109, Cnaf, septembre 2012.
- 19Convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999.
- 20Une nouvelle grille des métiers s’applique à tous les salariés employés au domicile d’un particulier employeur depuis le 1er avril 2016.
- 21Catherine Collombet, « Qualifications des professionnels de la petite enfance : quels enjeux et quels modèles en Europe ? », Politiques sociales et familiales, n° 121, Cnaf, 3e et 4e trimestre 2015
- 22Giampino, op. cit.
- 23Geneviève Cresson, Sandie Delforge, Dominique Lemaire, « La « qualité » du travail dans le métier d’assistante maternelle. Le point de vue des « régulateurs » de ce métier », Politiques sociales et familiales, n° 109, Cnaf, septembre 2012.
- 24COG entre l’État et la branche Famille pour la période 2013-2017.
- 25Lettre-circulaire n° LC- 2011- 020.
- 26Évaluation de la charte de qualité dans les Hauts-de-Seine, CTRAD, service d’études des Caf en Île-de-France, juillet 2015.
- 27L’écart est considérable, cependant il faut souligner que ce chiffre comprend également les familles employant une garde d’enfants pour des enfants de 3 à 6 ans alors que les 700 familles employant une garde à domicile dans le cadre d’un dispositif labellisé « charte de qualité Caf 92 » font a priori garder, à temps plein, des enfants non scolarisés.
- 28Michèle Mansuy, Rémy Marquier, « Les aides à domicile, un engagement dans la formation tributaire du mode d’exercice », Formation emploi, n° 123, CEREQ, 2013.
- 29Céline Bédel, Abdia Touahria-Gaillard, Mélanie Tocqueville, Étude sur les assistantes de vie formées au module de formation « Aidant familial d’un parent âgé », Observatoire des emplois de la famille, FEPEM-IPERIA, avril 2016.
- 30Bédel, Touahria-Gaillard, Tocqueville, op. cit.
- 31Giampino, op. cit.
- 32Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, JO du 6 mars 2014.
- 33Dr Marie-Josephe Challamel, Dr Marie Thirion, Le sommeil, le rêve et l’enfant, Albin Michel, 2011.
- 34Bressé, op. cit.
- 35Danielle Boyer, Arnaud Crepin, « Baromètre d’accueil du jeune enfant 2015 », L’e-ssentiel, n° 160, Cnaf, 2015.
- 36Bressé, op. cit.